Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Référendum sur l’indépendance de l’Écosse

Écosse

Regardez bien avant de sauter : l’indépendance serait aux conditions du SNP, pas aux nôtres

NdT : Produit par le Collectif Red Paper - un groupe militant écossais qui se fixe comme objectif « de proposer une alternative ouvrière à l’opposition stérile entre nationalistes et partisans de l’union avec le Royaume-Uni » - ce texte a été mis en ligne sur le site de Left Unity pour alimenter la réflexion de ses collectifs de base.

Alan Mackinnon est du Collectif Red Paper

Traduction : François Coustal

En Ecosse, de nombreux partisans du socialisme, frustrés par quatre années d’une austérité sauvage imposée par un gouvernement Conservateurs / Libéraux-Démocrates - pour lequel les Ecossais n’ont pas voté… - soutiennent aujourd’hui l’idée que l’Ecosse irait mieux dans le cadre d’un Etat indépendant, libre de prendre ses propres décisions concernant son avenir. La perspective d’une économie écossaise en croissance, avec des options socialistes et une politique étrangère indépendante et sans armes nucléaires : c’est attrayant, n’est-ce pas ?
Pourquoi ne pas y souscrire ?

Commençons donc par vérifier les faits. Pour des socialistes, tout changement constitutionnel en Ecosse doit être évalué à la lumière de sa capacité à défier le pouvoir des milieux d’affaires, à mettre l’économie sous contrôle démocratique, à redistribuer les richesses et à promouvoir la propriété publique. Quand les Ecossais vont voter en Septembre prochain, ils ne vont pas se prononcer sur l’indépendance dans l’abstrait. Bien sûr, les conditions concrètes de cette indépendance ne figureront pas sur le bulletin de vote, mais elles ont été clairement énoncées dans le Livre blanc du gouvernement écossais. Cette Ecosse aura la Reine pour chef d’Etat, la livre sterling pour monnaie ; elle sera membre de l’Union européenne et de l’OTAN.

Cette année, lors de la Conférence de printemps du SNP, Alex Salmond (NdT : dirigeant du SNP et Premier ministre du gouvernement écossais) a affirmé que si le « Oui » l’emportait, le gouvernement écossais entamerait immédiatement des négociations avec le gouvernement britannique. Malheureusement, en Ecosse, la gauche socialiste n’a pas de soutien de masse, pas de base électorale et pas de députés. En conséquence, les négociations portant sur les conditions de l’indépendance seront menées (du côté écossais) par la direction du SNP avec au mieux, une représentation symbolique de la gauche. Il en sera de même pour la convention constitutionnelle qui déterminera les formulations de la nouvelle constitution de l’Ecosse.

Le Livre blanc défend le maintien de la livre sterling comme monnaie pour l’Ecosse. Cela est sans doute rassurant pour les électeurs écossais qui ont regardé avec un grand intérêt le filmd’horreur de l’explosion de l’Eurozone. Mais les trois partis qui siègent à Westminster ont maintenant affirmé qu’ils ne voulaient pas partager la livre sterling avec une Ecosse indépendante. Bien sûr, il s’agit peut-être simplement d’un chantage d’avant référendum. Ilest tout à fait possible que, finalement, on parvienne à un accord. Mais ce sera un nouveaumoyen de pression entre les mains du gouvernement du Royaume-Uni. Et il y aura un coût…

Le coût minimum sera le contrôle de la Banque d’Angleterre sur le budget de l’Ecosse. Pourprix de son rôle de prêteur en dernier recours, la Banque d’Angleterre insistera sur une espèce de « pacte de stabilité » qui lui conférera la supervision de la fiscalité écossaise, ainsi que des plans de dépenses et d’emprunts. L’austérité sera imposée à une future économie écossaise aussi sûrement qu’elle l’est aujourd’hui, mais nous aurons renoncé à toute représentation à Westminster qui a toujours le pouvoir de ramener la Banque d’Angleterre sous contrôle démocratique. Par ce choix, le gouvernement écossais a renoncé à tout contrôle sur les leviers-clés de l’économie écossaise, comme les taux d’intérêt ou la création de monnaie.

La deuxième question, c’est l’appartenance à l’Union européenne. Que l’UE soit une simple alliance commerciale est un mythe qui a la vie dure. Mais la réalité est assez différente. C’est en fait un Super Etat européen expansionniste, construit pour servir les intérêts des grandes entreprises européennes et contourner la démocratie qui existe dans les Etats membres. Le néolibéralisme est inscrit dans l’ADN de l’Union européenne et est imposé sans pitié.

Regardons le traitement infligé à la Grèce, au Portugal et à l’Irlande ! L’Union européenne met en oeuvre un programme d’austérité et de privatisations à travers toute l’Europe (Grande-Bretagne incluse) ; partout, elle crée du chômage de masse, des travailleurs à temps partiel et réduit les budgets sociaux. Le Traité de Lisbonne a établi la primauté des lois de l’UE sur les lois des états membres. Et les articles de ce traité seraient recopiés dans toute future Constitution écossaise, enracinant les politiques libérales comme la seule règle du jeu possible.

Si la dette nationale de l’Ecosse était négociée en fonction du nombre d’Ecossais, elle se chiffrerait à 80 ou 90% du PNB. Le nouveau « pacte de stabilité » (maintenant appelé : Traité de stabilité, de coordination et de gouvernance) renforce le contrôle budgétaire de l’UE sur les Etats membres dont les déficits budgétaires sont limités à 0.5% du PNB et dont la dette ne doit pas excéder 60%. Cela placerait immédiatement l’Ecosse dans le cadre du Programme des déficits excessifs, ce qui impliquerait des mesures d’austérité aggravée : coupes dans les dépenses publiques, pressions à la baisse sur les salaires, nouvelles privatisations. De plus, les nouvelles régulations mises en place par l’Union européenne confèrent à la Commission européenne une supervision préalable des projets de budget de chaque Etat membre signataire. En d’autres termes, dans une Ecosse indépendante, l’Union européenne et la Banque d’Angleterre disposeraient d’un double verrou d’austérité. L’appartenance à l’Union européenne aurait aussi pour conséquence d’encadrer l’intervention dans l’économie, qu’ils’agisse de subventions publiques ou de la propriété publique des entreprises stratégiques, en fonction de l’argument selon lequel de telles aides publiques constituent des distorsions des marchés et sont anti-compétitives. Or il s’agit à coup sûr de moyens essentiels pour tout gouvernement qui aspirerait au socialisme…

La troisième question est celle de l’appartenance à l’OTAN. La direction du SNP veut qu’une Ecosse indépendante soit membre de l’OTAN. Il s’agit, évidemment, d’une alliance militaire
de Guerre froide dont l’objectif n’a jamais été de contenir une menace contre l’Europe oul’Amérique, mais bien de ligoter les Etats membres au soutien à la politique étrangère desEtats-Unis et à leurs interventions militaires. Si l’Ecosse était dans l’OTAN, ce serait vraimendifficile d’éviter que ses troupes ne soient impliquées dans des conflits et dans les différentesmissions de l’OTAN à travers le monde. Virtuellement, chaque Etat membre de l’OTAN – il yen a maintenant 28 – a eu des troupes qui ont combattu en Afghanistan au cours de ladécennie qui vient de s’écouler.

En réalité, le SNP soutient la guerre en Afghanistan et a soutenu l’intervention en Libye :l’OTAN ne ferait qu’enfoncer une porte ouverte. Encore plus important : l’appartenance à’OTAN rendrait plus difficile sinon impossible de se débarrasser de la flotte britannique desTridents. Les Tridents sont affectés à l’OTAN. Cela voudrait dire demander à faire partied’une alliance militaire dont les armes nucléaires sont la clé de voûte de sa pensée stratégiqueet, en même temps, vouloir se débarrasser de la principale force de frappe nucléaire de cettealliance ! Il est quand même très peu probable que les Etats membres de l’OTAN – àcommencer par les Etats-Unis – s’assoient tranquillement et laissent cela se produire.

Rappelez-vous : c’est cette Ecosse-là pour laquelle nous allons voter. Pas abstraitement pourl’indépendance, mais pour une Ecosse indépendante dont le chef d’Etat ne sera pas élu, quin’aura aucun contrôle sur sa propre monnaie, dont les politiques économiques serontcontrôlées par la Banque d’Angleterre et l’Union Européenne et dont la politique étrangèresera dictée par l’OTAN. Autant de caractéristiques qui seront très difficiles à modifier.Et, donc, ce sera une indépendance purement formelle. Ce sera une indépendance auxconditions des milieux d’affaires. C’est pourquoi les milliardaires proches du SNP soutiennentcette perspective. Diminuer les taux de l’imposition sur les sociétés pour qu’ils soientinférieurs de 3% aux taux (déjà historiquement bas) pratiqués dans le reste du Royaume-Unine sera pas seulement une course vers le bas pour les travailleurs écossais : cela impacteraaussi leurs camarades au sud de la frontière, en affaiblissant leurs salaires et conditions detravail et en répandant la division à travers toute la Grande-Bretagne.

Cela divisera etaffaiblira le mouvement syndical, qui est la source de tout progrès social. Dans quelques années, l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni auront des syndicats différents, au fur et àmesure que leurs économies divergeront. Il sera plus difficile de parvenir à de vraischangements sociaux. Un gouvernement écossais, même soutenu par un mouvement de masse, aura les plus grandes peines à peser sur les décisions qui seront prises à Londres, àBruxelles ou à New York. Et surtout les principales activités économiques exportatrices etprofitables - le pétrole et le gaz, la construction électronique, les produits alimentaires et lesboissons (y compris le whisky), la construction navale militaire, les banques et les services, …- seront possédées et contrôlées de l’extérieur. Pour la plupart d’entre elles par la City deLondres ou de plus loin encore. La classe dominante britannique est organisée au niveau duRoyaume-Uni. Ce qui fait sens pour la classe ouvrière est donc de s’unifier et d’agir à cemême niveau. Bien sûr, il peut toujours exister une solidarité internationale au-delà desfrontières nationales… mais ce n’est pas la même chose lorsque ce sont les mêmes syndicatsqui négocient les mêmes salaires et les mêmes conditions de travail dans le cadre d’un mêmeEtat plurinational. C’est cette unité qui serait perdue.

Bien sûr, il existe une alternative. Elle est soutenue par une large majorité d’Ecossais, d’aprèsles sondages d’opinion. Elle a été formulée et détaillée dans l’ouvrage « Les classes, la nationet l’Ecosse » publié en septembre 2013 par le collectif Red Paper. L’accroissement despouvoirs du Parlement écossais permettrait de lancer des emprunts et de mettre les terres, les propriétés et les entreprises sous le régime de la propriété publique. La base industrielle del’Ecosse pourrait être reconstruite à partir des technologies vertes, des énergies renouvelables et des productions à haute valeur ajoutée. Les richesses seraient réparties à travers la Grande-Bretagne, transférées depuis Londres et le Sud Est vers l’Ecosse et les régions pauvres d’Angleterre et du Pays de Galles. Mais, par dessus tout, un mouvement ouvrier uni au niveau britannique est bien plus capable de contester la concentration de la richesse et du pouvoir au niveau du Royaume-Uni et de mettre l’économie sous contrôle démocratique. Ne laissons pas la désespérance politique obscurcir notre jugement. L’indépendance qui est proposée va affaiblir et non renforcer la capacité qu’auront les travailleurs d’Ecosse et dur este du Royaume-Uni à contester l’emprise du grand capital, à redistribuer les richesses et à reprendre le contrôle de leurs vies. Il faut la rejeter.

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