Édition du 23 avril 2024

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Retraites : les syndicats entre radicalisation et exaspération

Signe d’exaspération ou de radicalisation ? Les appels à des grèves reconductibles se multiplient : à la SNCF, à la RATP et dans les transports urbains, chez France Télévisions, à EDF, dans les ports et docks, la chimie, chez les marins. Ils traduisent une exaspération des syndicats qui jugent que les journées d’actions à répétition ne sont pas venues à bout de l’inflexibilité de Nicolas Sarkozy et qu’il faut passer à une étape supérieure.

Alors que les annonces de grèves reconductibles à partir du 12 octobre fleurissent dans plusieurs secteurs, Nicolas Sarkozy a lâché un peu de lest, jeudi 7 octobre au matin, sur sa réforme des retraites. Sans toucher aux piliers de son projet, avec le report de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans et celui de la pension sans décote à 67 ans, le président de la République a fait savoir qu’il demandait à son ministre du travail, Eric Woerth – qui en a fait simultanément l’annonce au Sénat – de déposer deux amendements.
Le premier concerne les parents "qui se sont arrêtés au moins un an dans les trois ans suivant la naissance d’un de leurs enfants". Pour eux, l’âge de la retraite sans décote sera maintenu à 65 ans "pendant une période transitoire de cinq ans". L’autre touche "les parents d’enfants handicapés" qui pourront conserver ce même avantage "de manière pérenne".

Le coût de ces concessions, souhaitées par les sénateurs centristes, est estimé à 3,4 milliards d’euros, financé par de nouvelles recettes. La montée de la fièvre sociale est à l’origine de ces concessions qu’au départ l’Elysée comptait garder en réserve jusqu’à la prochaine journée nationale d’actions – la sixième depuis la fin mai – du 12 octobre. Il est peu probable qu’elles suffisent à faire fléchir la détermination de l’intersyndicale CGT-CFDT-FO-CFTC-UNSA-CFE-CGC-FSU-Solidaires qui demande une refonte complète de la réforme.

Vote du sénat entre le 15 et le 19 octobre

Celle-ci doit se réunir vendredi 8 octobre pour décider des suites de la mobilisation, sachant que le calendrier est de plus en plus serré, le vote du Sénat devant intervenir entre le 15 et le 19 octobre. S’il est exclu qu’elle lance un appel interprofessionnel à des grèves reconductibles – "ce n’est pas de la responsabilité d’une confédération", a déjà rappelé Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière -, elle pourrait organiser une nouvelle journée de manifestations le samedi 16 octobre. Jeudi, sur RTL, Bernard Thibault a écarté tout mot d’ordre de grève générale.

Signe d’exaspération ou de radicalisation ? Les appels à des grèves reconductibles se multiplient : à la SNCF, à la RATP et dans les transports urbains, chez France Télévisions, à EDF, dans les ports et docks, la chimie, chez les marins. Ils traduisent une exaspération des syndicats qui jugent que les journées d’actions à répétition ne sont pas venues à bout de l’inflexibilité de Nicolas Sarkozy et qu’il faut passer à une étape supérieure.

"La contestation sur les retraites, note Marcel Grignard, numéro deux de la CFDT, est en train de devenir le réceptacle à un mécontentement diffus" alors que le comportement de l’Elysée "est une forme violente de mépris vis-à-vis des corps intermédiaires". Pour autant, la radicalisation qui s’esquisse ne sera peut-être pas au rendez-vous au lendemain de la journée du 12 octobre. Le dépôt d’un préavis – qui n’est obligatoire que dans le secteur public, les entreprises privées n’étant pas soumises à cette règle – ne signifie pas qu’il sera suivi d’effets. C’est une manière de se couvrir juridiquement pour le cas où des salariés voudraient poursuivre la grève au lendemain du 12 octobre.

La CGT ne souhaite pas jouer la radicalisation

La fédération CGT des cheminots qui, avec l’ensemble des syndicats de la SNCF, a déposé des préavis de grève reconductible, fait preuve d’une grande prudence, en soulignant que c’est lors d’assemblées générales, convoquées le 13 octobre au matin, que les cheminots décideront ou non de poursuivre leur mouvement "dans un cadre interprofessionnel et unitaire le plus large possible". Didier le Reste, le patron de la fédération CGT, a déjà prévenu que les cheminots n’entendaient pas être les seuls à porter une grève sur les retraites et n’étaient prêts à continuer qu’ "à condition d’être dans un groupe de plusieurs locomotives, de plusieurs secteurs professionnels".

Cette position est conforme à celle de Bernard Thibault qui, soucieux de préserver son alliance privilégiée avec la CFDT qui mène le bal au sein de l’intersyndicale, ne souhaite pas jouer le jeu de la radicalisation. Comme d’autres dirigeants syndicaux, le secrétaire général de la CGT considère qu’une radicalisation risque de faire l’affaire de Nicolas Sarkozy qui ne serait pas mécontent d’affronter une épreuve de force avec le secteur public et d’afficher, aux yeux de son électorat, une inflexibilité à l’arrivée victorieuse, comme cela s’était produit, fin 2007, lors de réforme des régimes spéciaux.

Le 5 octobre, à l’issue d’une réunion de toutes les fédérations de la CGT, Bernard Thibault avait clairement posé la règle que "le principe d’arrêts de travail doit être discuté partout ". La radicalisation, à travers des grèves reconductibles, est d’autant plus incertaine que dans le secteur public, et en particulier à la SNCF et à la RATP, le taux de grévistes a diminué à chaque journée nationale d’actions, notamment de manière sensible le 23 septembre.

À la SNCF, l’hésitation risque d’être d’autant plus grande que les cheminots ont mené en avril, à l’appel de la CGT et de SUD, une grève reconductible de deux semaines sur l’avenir du fret qui s’est soldé par un échec sur toute la ligne. Il s’ajoute aussi le fait qu’en période de vaches maigres sur le pouvoir d’achat, les salariés y regarderont à deux fois avant de se lancer dans une grève qui se solderait par de nouvelles pertes de salaire

Ne pas se couper de l’opinion publique

Les syndicats, et d’abord la CGT et la CFDT, ont comme préoccupation majeure de ne pas se couper du soutien de l’opinion publique qui se confirme sondage après sondage. Or, une grève longue des transports, alors même que la réforme des retraites ne s’appliquera pour les régimes spéciaux qu’à partir du 1er janvier 2017, au lieu du 1er juillet 2011 pour l’ensemble des salariés et des fonctionnaires, risque de devenir vite impopulaire. De plus la loi qu’a fait voter Nicolas Sarkozy sur le service minimum, ou plutôt le service garanti, dans les transports terrestres, limitera la portée d’un mouvement reconductible.
Elle rend de fait impossible les scénarios de l’hiver 1986-1987, où la SNCF a connu la plus longue grève de son histoire – 29 jours – ou de 1995 où les cheminots ont paralysé le trafic pendant une vingtaine de jours. La logique des grèves reconductibles conduit aussi ses protagonistes à demander le retrait pur et simple de la réforme des retraites, une position que seuls FO, Solidaires et la FSU défendent au sein de l’intersyndicale.

Les grèves reconductibles, compte tenu de la détermination de Nicolas Sarkozy, risquent donc d’aboutir à une impasse, situation que Bernard Thibault et François Chérèque veulent à tout prix éviter. "Tout ce qui pourra être gagné, on le mettra à l’actif de la mobilisation", affirmait Eric Aubin, en charge du dossier des retraites à la CGT, dans l’Humanité-Dimanche du 30 septembre. A défaut de faire capoter la réforme de Nicolas Sarkozy, les syndicats ne veulent pas sortir bredouilles de leur combat.

Arracheront-ils de nouvelles concessions ? Bernard Thibault a commencé à déplacer le débat sur le terrain politique, en prévenant dans l’Humanité du 4 octobre : "Je pense qu’un gouvernement, quel qu’il soit, qui ignore à ce point un mouvement social, se condamne pour les prochaines échéances électorales". Rendez-vous en 2012.

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