Édition du 23 avril 2024

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Arts culture et société

Ruggero Leoncavallo (1857 – 1919)

Paillasse (1892)

Paillasse (Pagliacci[1]) est un opéra italien en deux actes et un prologue dans lequel Tonio explique aux spectatrices et aux spectateurs qu’elles et qu’ils vont assister à un spectacle dans lequel la réalité et la fiction se confondent. L’œuvre est fidèle à l’exigence dramatique du théâtre classique selon lequel, « qu’en un jour, qu’en un lieu, un seul fait accompli tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli » (Boileau). Il a été composé en 1892 par Ruggero Leoncavallo (musique et livret) et dure environ 1 heure et dix minutes.

Paillasse. Leoncavallo. Georges Prêtre et l’Orchestre du théâtre la Scala, Milan. Decca, 2007.

Résumé

Il s’agit de la tragique histoire d’un clown, Canio, directeur d’une troupe de comédienEs ambulantEs. Très amoureux de sa femme Nedda, il la prévient que si sur scène il accepte de prendre l’habit d’un cocu, dans la vie «  il ne faut pas jouer à ça avec lui ». Le soir même de la représentation devant public, convaincu que sa femme le trompe, il se laisse déborder par son rôle. La réalité se confond subitement avec la fiction qu’il est en train d’interpréter. Il assasine Nedda et son amant. La pièce se clôt sur la célèbre réplique : « La comedia è finita » (« La comédie est finie »).

1er Acte

L’histoire se passe le jour de la fête de l’Assomption de Marie (le 15 août). Une troupe de théâtre ambulante arrive dans un nouveau village. Canio (le clown), Nedda (sa femme), Tonio (le bouffon) et Beppe (l’Arlequin), annoncent le spectacle du soir. Amusés, les villageois invitent les hommes de la troupe à boire un verre à la taverne. Tonio prétexte une occupation pour rester seul avec Nedda. Les villageois l’accusent de vouloir faire la cour à la jolie femme. Canio, en époux jaloux et possessif, affirme que si c’était le cas, la mort pour les deux serait inévitable. Seul avec Nedda, le bossu Tonio lui fait une déclaration d’amour et exige d’elle un baiser. Nedda le repousse et le frappe au visage. Humilié, Tonio entend bien se venger. Arrive Silvio, l’amant secret de Nedda. Il confirme à sa maîtresse que leur fuite aura lieu le soir même après le spectacle. Tonio a tout entendu. Il s’empresse d’aller raconter le tout à Canio qui arrive juste à temps pour entendre les dernières paroles d’amour de sa femme à son amant. Il se lance à la poursuite de Silvio. Il ne parvient pas à l’attraper et ignore par conséquent son identité. Enragé, il veut tuer sa femme Nedda. Tonio et Beppe l’en empêchent. Malgré ses états d’âme, le spectacle doit quand même avoir lieu le soir même. À la fin du premier acte, Canio interprète le célèbre air de l’opéra italien : Vesti la giubba - Ridi Pagliaccio.

2e Acte

La comédie commence, le public est débordant de joie. C’en est trop pour Canio. Il oublie son rôle de Paillasse et incapable de contenir sa douleur et sa souffrance, il se rue sur sa femme en exigeant le nom de son amant. Nedda, (qui interprète le rôle de Colombine), tente de faire diversion en chantant une rengaine légère. C’est en vain. Son rire se fige lorsqu’elle réalise que son époux a entre les mains un couteau. Terrorisée, elle abandonne la scène pour rejoindre le public et appelle son amant Silvio à l’aide. Le public réalise que ce qui se déroule sous ses yeux n’est plus de la comédie. C’est alors que Canio poignarde sa femme et l’amant. Suite à ce double meurtre, il s’écrie[2] : « La comedia è finita ».

Conclusion

L’opéra s’inspire d’une affaire extraconjugale que le père du compositeur a eu à juger quelques années plus tôt. L’opéra appartient à un genre nouveau à l’époque : le vérisme (un mouvement artistique italien de la fin du XIXème siècle qui s’est manifesté en littérature, en peinture, mais aussi dans les opéras). Ce courant puise ses sources du naturalisme d’Émile Zola (1840-1902) dont les sujets s’inspirent de faits réels de la vie contemporaine des « pauvres gens » qui subissent des injustices sociales. Paillasse mélange le sordide et le sensationnel en mettant en scène des meurtres provoqués le plus souvent par la jalousie amoureuse chez des personnes issues des milieux défavorisés. L’opéra Paillasse tente par le fait même de rapprocher la réalité et la fiction, jusqu’à ce qu’elles se confondent totalement. De plus, avec Paillasse, Leoncavallo met en scène le paradoxe du comédien dont le métier consiste à faire ressentir ce qu’il ne ressent pas. C’est dans l’air « Vesti la giubba »[3] où Canio, en plein désarroi après la découverte de l’infidélité de sa femme, on le voit se forcer à monter sur scène et à paraître malgré tout joyeux, uniquement pour amuser le public.

Cet opéra vériste a eu pour vocation de rejoindre un vaste public en racontant une histoire qui les touchait de près. Ici ce n’est pas une histoire qui ne traite de la vie des grands personnages. Il s’agit d’une histoire dramatique ayant pour dénouement un féminicide et une vendetta. Au début, la critique s’est montrée assez sévère. Il a même été question d’un « manque de goût » (Hanslich, cité par Liebermann). Paillasse est considéré aujourd’hui comme « un opéra puissant, d’une rare intensité expressive » (Leibowitz, cité par Liebermann).

Yvan Perrier

2 juillet 2021

yvan_perrier@hotmail.com

Vesti la giubba - Ridi Pagliaccio.

Me grimer ! Me grimer ! Quand mon coeur saigne !

Quand les sanglots m’étouffent !

Quand je suis fou !

Et pourtant ! il le faut !

Bah ! Suis-je donc un homme ?

(Éclat de rire douloureux).

Je suis Paillasse !

Pauvre Paillasse ! Va donc peindre ta face !

La foule attend, à toi de l’égayer ;

Lorsqu’Arlequin chez toi prendra ta place,

Ris donc, Paillasse ! Ris-donc, ils ont payé !

Change en grimace

Les sanglots de ton coeur !

Qu’un mot cocasse

Déguise ta douleur !

Ah ! Ris donc, Paillasse,

Ris donc de tes malheurs !

Ris des sanglots qui te déchirent le coeur !

BIBLIOGRAPHIE

Batta, Andréas. 2000. Opéra : Compositeurs, Œuvres, Interprètes. Könemann : Cologne, p. 274 à 277.

Kobbé, Gustave. 1999. Tout l’opéra : Dictionnaire de Monteverdi à nos jours. Paris : Robert Laffont, p. 413 à 415.

Oussenko, Sylvie. 2009. L’opéra tout simplement. Paris : Eyrolles, p. 143.

Plusieurs auteurs. 1977. Dictionnaire de l’opéra. Paris : Ramsay, p. 350 à 351.

Tranchefort, François-René. 1978. L’opéra : 2. De Tristan à nos jours. Paris : Seuil, p. 107 à 109.

[1] En Italie, Pagliacci est le nom que l’on donne aux clowns.

[2] Dans la version originale de l’opéra, cette réplique appartient au personnage de Tonio. Caruso, dans le rôle de Paillasse, a été le premier à s’approprier cette phrase finale.

[3] « Mets la veste » ou « Revêts la veste »..

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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