Édition du 16 avril 2024

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International

SRI LANKA : FIN DE LA GUERRE ?

Le président du Sri Lanka qui était en visite en Jordanie est rentré à Colombo pour annoncer lui-même la victoire. Le corps du chef historique Pabahrakan a été exposé. La victoire militaire recherchée depuis les trois dernières années semble maintenant acquise.

LE CALVAIRE DE LA POPULATION

Voilà des mois que la population des provinces du nord et de l’est est prise entre les feux croisés des deux belligérants. La sortie de la zone de combat a toujours été extrêmement difficile. Il semble bien que ni l’armée régulière ni les rebelles n’aient respecté les droits des civils en temps de guerre. La propagande des deux côtés accuse l’adversaire d’obstruction à la libre circulation des habitants privés de nourriture, d’abri de soins et des moyens d’hygiène les plus élémentaires. Il est clair que les Tigres ont mis un maximum d’obstruction à la fuite de la population mais l’armée a de son côté, pilonné le terrain sans tenir compte de sa présence. Elle a nié ces attaques mais le groupe Human Rignts Watch a publié des images prises à l’infra rouge prouvant que les bombardements ont bien eu lieu et ne peuvent être que de son fait ; les Tigres ne possèdent pas d’avion depuis quelques temps…Des hôpitaux ont aussi été bombardés. Un des rares opérant encore dans la zone l’a été trois fois au cours de la dernière semaine. Les civils tentant de fuir ont aussi dû faire face à des barrières physiques sur un terrain déjà peu praticable parce qu’il s’agit d’une zone de bras de mer et de marécages. En plus des pressions contre les départs, les Tigres ont élevé des digues pour empêcher ou ralentir la progression de l’armée et du même coup ont rendu encore plus difficile la fuite.

Ni l’armée sri-lankaise ni les rebelles ne laissent pénétrer les ONG, l’ONU et autres secours humanitaires sur le territoire des combats. Seule la Croix-Rouge internationale et le Programme mondial pour l’alimentation ont pu apporter un peu d’aide, souvent à la périphérie et rapporter quelques informations sur l’état de la situation des populations subissant les combats. Car, ni l’un ni l’autre combattant ne permet aux journalistes, quels qu’ils soient, de pénétrer sur le terrain. Les informations les plus fiables viennent donc en bonne partie des réfugiés si on peut leur parler. Car une fois sortie de la zone des combats, le calvaire de ces gens est loin d’être terminé. Pour ne pas mourir, ils sont obligés d’utiliser les camps de réfugiés organisés par l’armée où ils sont « triés, interdits de circulation et de communication avec l’extérieur ». L’armée cherche à distinguer les supporters de Tigres et les autres.

De plus en plus, les ONG, dont des cyngalaises, dénoncent les conditions qui sont faites aux réfugiés dans ces camps qu’elles qualifient de camps de concentration. On rapporte que des civils y ont été fusillés par l’armée alors qu’ils tentaient de s’enfuir. [1]. Les condition de vie seraient très déficientes à tout point de vue. L’armée proclame que c’est toujours mieux que ce qu’ils avaient auparavant. On y compterait plus de 200,000 personnes en ce moment. L’ONU sur son site, signale que ces derniers jours, 10,000 civils de plus ont pu sortir du territoire pas encore complètement encerclé.

RACINES D’UN CONFLIT

Les Tamouls constituent une minorité au Sri-Lanka avec sa langue, ses coutumes et sa religion. Ils sont concentrés dans le nord et l’est du pays et avaient l’habitude de vivre en bonne intelligence avec leurs compatriotes musulmans et chrétiens ainsi que de d’autres ascendances. Ils sont présents sur ce territoire depuis le cinquième siècle après Jésus-Christ.
C’est depuis l’indépendance du pays, au début des années soixante, que leur situation a commencé à se modifier. Ils auraient été favorisés par le colonisateur britanique à cause de leur meilleure maitrise de la langue anglaise et de leur meilleur attitude devant le régime. [2] Après l’indépendance, la majorité cyngalaise s’est appropriée le pouvoir laissant peu de place aux autres minorités et singulièrement aux Tamouls. On leur a interdit l’accès aux études universitaires, aux emplois dans la fonction publique, dans l’armée qui ne compte encore que des cyngalais dans ses rangs. On leur a aussi interdit l’apprentissage de leur langue dans les écoles des provinces où ils sont concentrés.
C’est dans ce contexte que la lutte pour la reconnaissance nationale s’est organisée dans les années soixante-dix. Au point de départ, des intellectuels en étaient les dirigeants et elle visait l’intégration dans la vie politique et civique du pays. Cette stratégie n’ayant pas donné les résultats attendus, le combat a fini par prendre l’orientation d’une lutte armée pour la « libération nationale » les Tigres de l’Élam Tamoul en prenant la direction. La guerre de guérilla a commencé en 1983, faisant selon les estimations jusqu’à ces dernières semaines au moins 70,000 morts et provoquant l’émigration de millions de personnes, dans beaucoup de pays dans le monde. La plus grande partie de cette diaspora se trouve à Toronto.

Les Tigres ont mené leur lutte sans grande démocratie. La structure militaire de l’organisation est devenue, petit à petit de plus en plus autoritaire et le culte du chef y a triomphé. De nombreuses critiques ont été faites à leur stratégie. Ils n’ont toléré autour de cette lutte aucun autre groupe militant. Ils ont élimniné physiquement ceux et celles qu’ils considéraient leurs adversaires, décimant ainsi une partie des leaders plus démocratiques qu’eux. En fait, ils n’avaient qu’une stratégie militaire donc les liens avec la population prenaient une allure autoritaire. [3]. Des pressions incessantes ont été faites sur les populations incluant celles de la diaspora, exigeant leur collaboration coûte que coûte. On les accuse d’avoir embrigadé des enfants. Après les événements du onze septembre 2001 aux Etats-Unis, le gouvernement sri-lankais les a vite classés « groupe terroriste ». La plupart des gouvernements occidentaux dont le Canada ont fait de même.

Les Tamouls des pays occidentaux se sont mobilisés dernièrement pour que ces gouvernements forcent celui de Sri-Lankais à décréter un cessez-le-feu unilatéral pour protéger la population vivant sous les bombes. Ils ont parlé de génocide du peuple tamoul. Cela ne semble pas avoir ému outre mesure nos gouvernements et chose certaine, celui de Sri-Lanka n’a pas dévié d’un millimètre de son objectif affirmé haut et fort depuis près de trois ans maintenant : en finir avec la rébellion et ses chefs militairement. Il faut dire que ce gouvernement jouit d’appui solides de la part notamment de la Chine, de la Russie, du Japon qui est son principal bailleur de fonds, de l’Inde, de l’Iran et des pays arabes qui ne pardonnent pas aux Tigres de s’être attaqué à la minorité musulmane il y a quelques années . Ni les appels des pays d’Europe, des Etats-Unis de l’ONU, ni les résolutions du comité de sécurité de l’ONU n’ont fait fléchir de quelque façon ce gouvernement.

FIN DES HOSTILITÉS ?

Il y a lieu de demeurer sceptiques. On peut penser, que compte tenu que le gouvernement sri-lankais n’a donné aucune indication qu’il pourrait prendre en compte les particularités nationales des Tamouls, qu’il n’a jamais été question de négociations avec eux ces dernières années et que toute la nation est pour ainsi dire assimilée aux combattants, les conditions d’une réponse quelconque de la part des Tamouls restent présentes. On parle de chefs encore sur le terrain, ailleurs dans le pays qui ne seraient pas prêts à l’abdication à tout jamais. On ne peut pas dire aujourd’hui que l’organisation des Tigres de l’ÉLAM Tamoul soit détruite. Surtout, l’ensemble de cette population dans le pays ou ailleurs va revoir ses positions et réagir dans le futur plus ou moins proche.

Le sort qui sera réservé immédiatement aux milliers de réfugiés va donner une indication sérieuse des intentions du gouvernement vis-à-vis la population tamoule dans son ensemble. Mais l’organisation concrète qui sera donnée à cette population dans le pays sera déterminante Est-ce qu’elle sera confinée à des territoires restreints du type « bantoustan » ? Est-ce qu’elle deviendra « les Palestiniens de l’Asie » ?

Dans l’immédiat, est-ce qu’une ouverture quelconque sera faite pour que des journalistes et des observateurs indépendants puissent se rendre sur les lieux et rendre compte de ce qu’il s’y passe ? Pour que l’aide humanitaire puisse arriver jusqu’aux réfugiés et à ceux qui sont encore sur le terrain ?

Je pense qu’on ne peut pas encore éliminer la possibilité de massacres de masse dans les circonstances, si le passé est un indicateur un peu fiable.
Le poids des préjugés contre cette population n’est pas fait pour rassurer personne.

L’Inde, qui vient de se donner un gouvernement fort aujourd’hui, et qui a une minorité tamoule ayant des liens étroits avec celle de Sri-Lanka, ne pourra pas continuer à soutenir impunément le gouvernement de l’île dans sa politique anti-Tamouls. Le pacte de 1987 entre les deux pays concernant, entre autre le statut politique des Tamouls, est caduc depuis un bon moment. Elle reste un acteur majeur dans la situation telle qu’elle se présente maintenant et ses interventions seront du premier intérêt, notamment envers le FMI, la Banque mondiale et les autres instances internationales.

Par ailleurs, on ne voit pas pourquoi les autres supporters de ce gouvernement lui retireraient leur appui. Est-ce que l’ONU gagnera en autorité ? Un émissaire devait arriver sur le terrain ces jours-ci de même que celui de la Communauté européenne. Comment leurs préoccupations seront-elles reçues ? Est-ce qu’elles sont à la hauteur des besoins des réfugiés et de la population tamoule dans son ensemble ? Pas facile de dire à un gouvernement et une armée triomphants de prendre en compte les avis extérieurs.


[1Democracy Now, 18 mai

[2Democracy Now, 18 mai.

[3Democracy now, 18 mai

Mots-clés : International
Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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