29 mars 2023 | tiré de mediapart.fr-quotidienne-20230330-070226&M_BT=733272004833]
La matinale la plus écoutée de France. Ni plus ni moins. C’est ce que s’est offert le samedi 25 mars, jour de la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), Marc Fesneau, ministre de l’agriculture, pour défendre l’impérieuse nécessité de construire ces immenses retenues d’eau artificielles.
Quelques heures avant la manifestation, en tant qu’invité du « Grand Entretien » du matin sur France Inter, il a pu dérouler sans réelle contradiction ses éléments de langage pour légitimer les mégabassines.
Marc Fesneau, invité au « Grand Entretien » de France Inter le 25 mars 2023. © France Inter
« Les choses se sont faites sur le terrain, rien n’a été imposé du haut »
Pourtant, comme nous l’avons déjà documenté, dans la Vienne par exemple, l’État a bel et bien imposé sa vision sur la politique de l’eau. « Nombre d’élus n’attendent que le dialogue territorial, une concertation sur le sujet, mais depuis trois ans, le préfet ne nous le propose pas », s’était agacée auprès de Mediapart Christine Graval, conseillère régionale d’opposition (EELV) en Nouvelle-Aquitaine.
« Le préfet a bloqué » l’émergence d’un projet de territoire de gestion de l’eau en 2018 « en lançant à la place un bidule bizarre qui est devenu un “protocole” », dénonce Jean-Louis Jolivet, vice-président de Vienne Nature. Ce protocole entériné le 3 février dernier par le préfet Jean-Marie Girier vise à « accompagner » la création de trente bassines à l’ouest de Poitiers. Depuis, une partie de ces projets est sur la sellette puisque des études scientifiques majeures pourraient d’ici peu contredire l’État et statuer qu’il n’y aura pas assez d’eau l’hiver pour remplir ces bassines.
Le cas de la Charente-Maritime est également éloquent. Malgré plusieurs interdictions prononcées par la justice, cinq réserves artificielles privées ont été utilisées pendant six années. Au terme d’une intense bataille juridique, le Conseil d’État a donné raison le 3 février dernier aux écologistes. Les autorisations de ces cinq retenues sont annulées en raison d’études d’impact insuffisantes et d’incompatibilité avec la gestion des eaux du bassin… mais ces ouvrages illégaux sont toujours exploités.
D’autres projets font actuellement l’objet de recours et il n’est pas acquis qu’ils soient in fine autorisés. C’est le cas des seize bassines des Deux-Sèvres, dont neuf ont, jusqu’à aujourd’hui, été retoquées en mai 2021 par le tribunal administratif de Poitiers, des trente bassines du Clain (Vienne), et des neuf bassines de l’Aume-Couture (Charente).
« On a des agriculteurs qui sont engagés [pour Sainte-Soline] sur des diagnostics pour toutes les exploitations sur la réduction des indices de traitements [pesticides]. Les surfaces en bio se sont très largement développées. L’indice de fréquence de traitement s’est réduit de façon très importante. »
Contacté par Mediapart, le chercheur Vincent Bretagnolle, membre du comité scientifique qui accompagne le suivi du protocole scellant la création de la mégabassine de Sainte-Soline, assure : « Il ne nous a jamais été retourné un quelconque bilan chiffré ni même qualitatif de l’usage des produits phytosanitaires par les irrigants. La seule information dont nous disposons, et qui nous a été communiquée à ma demande, est que sur quarante exploitants qui ont signé leur engagement, seuls trois, à titre individuel, se sont engagés dans une réduction des traitements phytosanitaires. Aucun ne s’est converti en agriculture bio. »
Selon lui, l’objectif de réduction de 50 % des pesticides ne sera pas tenu par les irrigants concernés par le projet.

Un manifestant assis autour de la mégabassine de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), le 6 novembre 2021. © Photo : Xavier Leoty /AFP
L’hydrologue Florence Habets a pour sa part affirmé dans un entretien donné en décembre à Mediapart : « Les agriculteurs s’étaient engagés à s’orienter vers des pratiques plus écologiques afin de limiter la pollution des eaux. Cette partie cependant ne fonctionne pas très bien : la qualité de l’eau n’est pas au rendez-vous. »
« Ce n’est pas une minorité d’agriculteurs [qui bénéficient des mégabassines]. Ce sont des exploitations qui ne font qu’entre 100 et 150 hectares, ce ne sont pas des mégaexploitations. »
Avec 100 à 150 hectares, ce sont bien des agriculteurs possédants de très grandes exploitations qui bénéficient de l’eau des mégabassines puisqu’en France, la taille moyenne d’une ferme est de 69 hectares. Dans les Deux-Sèvres, 89 hectares.
Au sein de ce département, les données agricoles observées ces dix dernières années révèlent que le nombre de structures agricoles a chuté de plus de 20 % car les exploitations s’agrandissent au détriment des petites fermes paysannes.
Christophe Béchu et le mythe du consensus
Le lundi 27 mars, c’était au tour de Christophe Béchu, ministre de la transition écologique, d’être invité par Léa Salamé et Nicolas Demorand au « Grand Entretien » de la matinale, toujours sur France Inter.
Depuis l’intervention de Marc Fesneau, le contexte a basculé puisque la manifestation à Sainte-Soline a fait plus de deux cents blessé·es chez les participant·es et quarante-cinq chez les gendarmes. Un jeune manifestant est depuis dans le coma et les témoignages accablants sur le dispositif de maintien de l’ordre affluent.
Après avoir rappelé qu’il n’est pas partisan des bassines, Christophe Béchu assène « qu’il n’y a aucune autre solution à moyen terme que la sobriété, que la meilleure des retenues ou des bassines, c’est la nappe phréatique »… avant de déployer son argumentaire pour justifier les mégabassines.
Christophe Béchu, invité au Grand entretien de France Inter, 27 mars 2023. © France Inter
« Vous avez un consensus qui s’est fait fin 2018 avec les socialistes de la région, les Républicains du département, et même Delphine Batho [députée écologiste des Deux-Sèvres], qui a paraphé un accord global avec des engagements de la part des agriculteurs. »
En 2018, un protocole d’accord pour « une agriculture durable dans le bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon » actant la création de retenues d’eau, dont celle de Sainte-Soline, a été signé par la préfecture, le département des Deux-Sèvres, la chambre d’agriculture et des associations de protection de l’environnement.
Mais Christophe Béchu ne mentionne pas que, deux ans plus tard, plusieurs parties prenantes du protocole ont claqué la porte des négociations, estimant que les engagements pris par la profession agricole n’étaient pas respectés.
Delphine Batho qui avait initialement accompagné, mais pas signé, le protocole s’en est retirée en 2020, estimant qu’il y avait une « volonté de traîner les pieds en matière de changement des pratiques », notamment sur la réduction des pesticides. Interrogée par Mediapart, elle estime cinq ans après que « le protocole n’est pas respecté et on [le gouvernement] fait comme si ça l’était ».
Deux associations écologistes ont quitté le protocole en 2021, jugeant que les engagements environnementaux n’étaient « pas à la hauteur des enjeux ».
La Confédération paysanne a aussi joué le jeu de la concertation. Le syndicat avait notamment mis deux conditions à l’installation de ces mégabassines : une diminution des pesticides calculée à l’échelle du territoire, et un plafonnement de la distribution en eau à 30 000 mètres cubes par actif agricole à chaque campagne d’irrigation – pour des bassines existantes, certains prélèvent jusqu’à 200 000 mètres cubes d’eau par campagne.
Aucune de ces deux demandes n’ayant été entendue, la Confédération paysanne a refusé de signer le protocole d’accord. Tout comme le collectif citoyen Bassines non merci, qui a dénoncé le manque de transparence dans les discussions.
« Le rapport de l’année dernière du BRGM dit que le projet de Sainte-Soline, en l’état, vaut le coup. »
Une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en 2022 a modélisé l’effet régional du pompage de la nappe phréatique pour le remplissage hivernal de seize mégabassines dans les Deux-Sèvres, dont celle de Sainte-Soline.
Mais de l’aveu même du BRGM, leurs travaux n’intègrent pas l’impact des sécheresses de la dernière décennie et encore moins celles à venir, plus intenses et plus fréquentes à cause du changement climatique. L’étude a dû s’appuyer sur la période 2000-2011, faute de données actualisées.
Le BRGM a souligné en février dernier dans un communiqué de presse que « la prise en compte des évolutions climatiques, non simulé dans l’étude, est importante. En effet, la récurrence de périodes de sécheresse hivernale pourrait conduire de manière répétée à des niveaux de nappe inférieurs aux seuils réglementaires, compromettant le remplissage des réserves certaines années ».
« C’est très simple, le protocole d’accord prévoit que si les nappes ne sont pas au bon niveau, il n’y a pas de pompage. C’est écrit noir sur blanc dans le protocole de Sainte-Soline. »
Si les nappes ne sont pas assez rechargées en eau, les agriculteurs devront-ils se résigner à perdre leurs récoltes ? Pas si simple dans les faits.
Pour exemple, de mai à août 2022, en Charente-Maritime, deux cents agriculteurs irrigants d’Aunis ont refusé à l’unanimité de respecter l’arrêté sécheresse pris par le préfet de région et ont continué à arroser leurs cultures.
Idem, si à l’été 2022 les irrigants du Sud Vendée ont accepté de respecter les arrêtés sécheresse en réduisant de 50 % les pompages, au printemps 2017, ils avaient exigé que la campagne de remplissage des bassines soit tenue coûte que coûte malgré des déficits records de pluie et avaient obtenu une oreille attentive de la part de la préfecture.
« Il y a des projets de ce type dans d’autres départements comme la Vendée, où les bienfaits des mégabassines, y compris d’un point de vue hydrologique, sont reconnus. »
Ce type d’affirmation rejoint le discours du syndicat agricole productiviste FNSEA et de la Coop de l’eau des Deux-Sèvres, propriétaire de la mégabassine de Sainte-Soline, qui assurent que « le stockage d’eau préserve les milieux aquatiques ».
En réalité, l’Agence de l’eau Loire-Bretagne se montre plus prudente, estimant qu’en Vendée, « le recul n’[est] pas assez important » pour tirer de telles conclusions, comme l’a rappelé Mediapart.
Interviewé par Mediapart, François-Marie Pellerin, hydrogéologue et vice-président de la coordination du Marais poitevin, voit dans la politique agricole de l’eau en Vendée « quelques limites » car « le volet “économie d’eau” [est] réduit à sa portion presque congrue et il n’y a pas eu de volonté de la part des acteurs du monde agricole de prendre la voie de la désirrigation ».
« Dire qu’il y a un consensus de tous les hydrologues, c’est faux. »
À propos des mégabassinqes, les hydrologues pointent surtout pour le moment le manque de transparence et de données. Suivant les départements, les chiffres des préfectures et des acteurs à l’origine des différentes infrastructures de retenue d’eau sont plus ou moins connus. Et les volumes d’eau en jeu ne sont pas systématiquement rendus publics.
« Nous manquons d’informations objectives, nous expliquait il y a peu l’hydrogéologue Florence Habets. Quel est, par exemple, le volume des prélèvements envisagés pour les nouvelles mégabassines ? Sachant que ces projets, élaborés il y a trente ans, sont déjà obsolètes. »
Signe de cette opacité : l’État a été contraint, par une décision du 1er décembre 2022 de la cour d’appel administrative de Bordeaux, de fournir à l’association Nature Environnement de Charente-Maritime des données, déjà demandées deux ans plus tôt, sur les volumes attribués aux agriculteurs irrigants du département.
Dans son dernier rapport d’évaluation sur le changement climatique édité en 2021-2022 – fruit d’un consensus scientifique international validé par 195 pays de l’ONU – , le GIEC estime qu’en Europe, « les retenues d’eau sont coûteuses, ont des incidences négatives sur l’environnement et ne suffiront pas partout en cas de réchauffement du climat ».
Marion Briswalter et Mickaël Correia
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