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Ukraine : Entre espoir et peur

La guerre russe en Ukraine représente le plus grand danger pour la planète à l’heure actuelle.

Mais constitue-t-elle aussi une opportunité ? C’est un des épisodes les plus dangereux du monde du moment, plus menaçant, à court terme, que le changement climatique ou les pandémies. Cette guerre suscite non seulement des peurs mais aussi des espoirs pour des millions de gens dans le monde. Si je partage les appréhensions de beaucoup, celles et ceux d’entre nous qui font partie de la gauche socialiste internationale ont également l’espoir que cette guerre puisse conduire à faire du monde un endroit meilleur et plus sûr.
Passons en revue ces peurs et ces espoirs.

Peur n°1
La crise actuelle a commencé par une peur initiale, toujours présente, que la Russie, dirigée par Vladimir Poutine, ne conquière l’Ukraine. Une telle conquête anéantirait l’ancienne colonie, devenue une nation souveraine, et remplacerait une démocratie imparfaite mais bien réelle par un régime autoritaire. Une telle conquête mettrait fin aux libertés démocratiques qui ont permis qu’en Ukraine se développe une gauche, certes faible mais significative, ainsi que de véritables organisations syndicales indépendantes.

Une victoire russe serait une défaite pour toutes les nations, dont la souveraineté pourrait désormais être menacée par une grande puissance. Ce serait également une défaite pour la démocratie en Europe. C’est cette crainte qui a principalement conduit de nombreux membres de la gauche indépendante à soutenir l’Ukraine dès le début de de la guerre.

Peur n°2
On a également craint que la guerre impérialiste lancée par Poutine contre l’Ukraine ne conduise à un conflit direct entre la Russie, d’une part, et l’OTAN et les États-Unis, d’autre part. Si cela devait se produire, étant donné que la Russie, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France sont des puissances nucléaires, cela pourrait déclencher une guerre nucléaire qui coûterait la vie à des millions, voire des milliards, de personnes et qui pourrait mettre fin à la vie humaine sur Terre.

L’histoire montre que, même dans les circonstances les plus difficiles – la guerre de Corée, la crise des missiles de Cuba et la guerre du Vietnam –, les dirigeants des grandes puissances hésitent à recourir aux armes nucléaires, car ils savent que la destruction mutuelle est possible.

L’Ukraine a le droit de se procurer des armes pour sa propre défense auprès de qui elle peut les obtenir, y compris les pays membres de l’OTAN et les États-Unis. Les États-Unis et l’OTAN semblent avoir soigneusement calibré les types d’armes qu’ils mettent à la disposition de l’Ukraine afin d’éviter une guerre totale avec la Russie. En dépit du manque de confiance à accorder aux puissances occidentales, elles semblent adhérer à cette politique de retenue.

Peur n°3
La lutte de l’Ukraine contre l’agression de la Russie pourrait devenir une guerre par procuration entre deux grandes puissances impériales, la Russie et les États-Unis. La question clé pour déterminer s’il s’agit d’une guerre par procuration est de se demander qui mène la barque, c’est-à-dire si les États-Unis ou une autre puissance occidentale contrôlent et dirigent les choix politiques et la politique militaire de l’Ukraine. Malgré sa dépendance à l’égard des livraisons d’armes américaines et européennes, le gouvernement de Volodymyr Zelensky continue à déterminer lui-même la politique de l’Ukraine et à tracer sa voie.

Crainte n°4
En perturbant les livraisons de l’un des plus grands producteurs de céréales au monde, la guerre pourrait entraîner une famine catastrophique dans le Sud, en particulier en Afrique. Heureusement, les Nations unies ont négocié un accord avec la Russie qui permet le transport de céréales à partir des ports ukrainiens de la mer Noire et donc leur distribution. Grâce à ces expéditions, le prix des céréales va baisser et il sera peut-être possible d’éviter la famine tant redoutée.
Malgré ces craintes, je continue de soutenir la guerre en Ukraine et d’espérer qu’elle pourrait déboucher sur un monde meilleur et plus sûr à plusieurs égards.

Espoir n°1
Malgré les difficultés auxquelles elle est confrontée, l’Ukraine non seulement résiste aux attaques russes mais elle conserve de bonnes chances de chasser les envahisseurs de tout son territoire.
Si l’Ukraine y parvient, ce serait une grande victoire pour le droit des nations à l’autodétermination et une grande victoire des gouvernements démocratiques sur les États autoritaires.
Mais ce sera aux Ukrainien·nes de décider s’ils et elles veulent ou non négocier et, dans ce cas, de décider des conditions qui leur conviennent.

Espoir n°2
Bien que cela soit difficile, les forces démocratiques de Russie, qui s’opposent à la guerre et qui défient Vladimir Poutine, pourraient devenir suffisamment fortes pour le faire chuter. Au sein de ces forces démocratiques, il faut particulièrement soutenir les socialistes démocratiques qui souhaitent mettre fin non seulement au régime autoritaire mais aussi à son klepto-capitalisme.

Espoir n°3

Bien que les guerres aient toujours tendance à renforcer les tendances autoritaires dans les nations démocratiques, la mobilisation générale de la population en Ukraine pourrait donner un nouveau sens à la politique démocratique. À l’image de la résistance populaire des peuples d’Europe occidentale aux nazis à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La Résistance, en particulier en France et en Italie, a suscité de grands espoirs pour une société démocratique et socialiste, espoirs malheureusement étouffés par l’Union soviétique et les États-Unis. Si un tel mouvement démocratique populaire se développe, il pourrait contribuer à faire de l’Ukraine un pays plus démocratique et moins corrompu. En même temps, il pourrait défier l’extrême droite ukrainienne et ses groupes nazis, petits mais dangereux.

Espoir n°4
La mobilisation populaire actuelle pourrait également donner naissance à un mouvement syndical plus fort et plus militant. Il y a quelques mois, une conférence syndicale s’est tenue à Lviv, malgré les difficultés de la guerre, et les syndicats ukrainiens se sont prononcés contre les lois néolibérales et répressives de Zelensky qui violent les normes européennes et internationales du travail.

Espoir n°5
Enfin, la petite gauche démocratique ukrainienne joue un rôle important dans la vie politique du pays grâce à des revues, comme Commons, et à des organisations socialistes, comme Sotsialniy Rukh, dont les membres ont joué un rôle central dans l’organisation de la conférence de Lviv et sont impliqués dans d’autres mouvements sociaux, comme le mouvement féministe. Il existe également un mouvement anarchiste ukrainien qui mérite l’attention.
Aussi petites soient-elles, ces organisations jouent un rôle important dans les relations avec la gauche européenne au sens large et dans la diffusion des idées socialistes en Ukraine.
Les craintes suscitées par la guerre de la Russie contre l’Ukraine sont grandes, mais mes espoirs sont peut-être encore plus grands. En réévaluant constamment la situation et en écoutant attentive- ment la gauche ukrainienne, je continue à soutenir l’Ukraine dans sa guerre contre l’agresseur russe et j’espère la défaite de ce dernier.

Dan La Botz
Dan La Botz est membre des Brigades éditoriales de solidarité et du comité de rédaction de la revue New Politics (New York).

Publié par Foreign Policy in focus, 23 août 2022.
https://fpif.org/ukraine-between-hope-and-fear/
Traduction Patrick Silberstein

Dan La Botz

L’auteur est un professeur d’université américain et un militant de l’organisation socialiste Solidarity.

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