Édition du 23 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Un Fatah au bord de la scission prépare les prochaines élections

Nasser al-Kidwa, critique de longue date de la présidence de Mahmoud Abbas, a révélé la préparation d’une liste alternative tout en appelant Marwan Barghouti à le rejoindre.

Tiré de Association France-Palestine Solidarité.

Le 31 mars est la date-limite pour le dépôt des listes des candidats à l’élection du Conseil Législatif Palestinien prévue le 22 mai. D’ici là le magicien, et néanmoins président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas, et ses fidèles feront tout pour empêcher ce qui a semblé inévitable au cours des dernière semaines : une scission du Fatah en deux, si ce n’est en trois parties qui se retrouveront en concurrence les unes avec les autres contre la liste unie du Hamas.

Nasser al-Kidwa (photo), homme politique de haut rang dont le nom est associé à l’existence d’une faction contestant la direction d’Abbas, a révélé le secret de Polichinelle au cours d’une vidéo-conférence organisée par l’Université de Bir Zeit. Membre du Comité Central du Fatah, il n’a cessé de critiquer en interne le contrôle autoritaire de Mahmoud Abbas sur le Fatah et l’AP ces dernières années. La semaine dernière, il n’a pas participé à la réunion du Comité Central, une absence interprétée comme le signe de son implication pour former une liste dissidente.

Ce qu’il a confirmé, pour la première fois, publiquement. Nasser al-Kidwa a aussi appelé Marwan Barghouti, détenu dans une prison israélienne, à soutenir la liste concurrente et à ne pas « fuir ses responsabilités » en se contentant d’exprimer son intention d’être candidat à la présidence. Des proches de Barghouti et d’autres militants du Fatah assimilés à la génération de la première Intifada ont été consultés en vue de la création de cette liste. Bien qu’ils considèrent qu’une telle liste ne pourrait être formée qu’après l’élaboration d’un programme et d’un plan de travail, le recrutement des candidats a déjà commencé.

Les propos de Kidwa ont conduit Abbas à l’inviter à une réunion organisée en urgence. Selon Al-Araby Al-Jadeed [1], Kidwa a confirmé au président de l’AP qu’il ne ferait pas marche arrière, lassé qu’il était de toutes les vaines tentatives de réforme du Fatah.

Ceux qui sont impliqués dans la préparation de cette liste ont d’abord espéré que Barghouti prendrait sa tête. Nasser al-Kidwa, neveu de Yasser Arafat et ancien représentant de l’OLP aux Nations Unies, est une personnalité importante au Fatah même s’il reste peu connu du grand public. C’est pourquoi le soutien de Barghouti est considéré comme essentiel pour attirer les candidats, persuader les attentistes et galvaniser les électeurs.
Au cours de la vidéo-conférence de Bir Zeit, Nasser al-Kidwa a déclaré que la liste ne s’adresse pas seulement aux dissidents du Fatah mais aussi aux militants indépendants, aux membres des anciens partis de gauche, aux hommes d’affaires et aux membres de la société civile (organisations non-gouvernementales). Ce n’est pas d’une réforme du régime palestinien dont on a besoin mais d’un changement, a-t-il martelé.

L’appel public de Kidwa à Barghouti à ne pas fuir ses responsabilités laisse entendre la déception devant le retard de celui-ci à annoncer ses intentions et la crainte qu’il cède à des pressions. Il y a dix jours environ, Barghouti a reçu la visite en prison de Hussein al-Sheikh, le ministre des Affaires civiles de l’AP, également membre du Comité Central du Fatah et très proche de Abbas. Des personnalités de haut rang du Fatah officiel ont laissé entendre que Marwan Barghouti avait accepté de soutenir une liste unie du Fatah. De proches collaborateurs de Barghouti ont expliqué à Haaretz que rien n’avait changé dans sa position suite à cette visite et qu’il n’avait pas renoncé à son intention, non officielle, d’être candidat à la présidence.

L’entourage de Barghouti pense que le Fatah officiel va recycler son message paternaliste qui veut que son plus célèbre prisonnier cherche tous les moyens pour sortir de prison et que ses motivations sont personnelles ; aucun ne se fait la moindre illusion sur le pouvoir de l’AP de le faire libérer.

Et pourtant, l’éventuel affrontement entre Abbas et quiconque décide de faire campagne contre lui rend l’élection présidentielle prévue pour le le 31 juillet, particulièrement intéressante. L’élection d’un prisonnier politique à la présidence pourrait changer les règles du jeu et favoriser une dynamique inhabituelle dans le report de force avec Israël. Cela pourrait susciter un mouvement créatif et subversif, étranger à la direction sclérosée du Fatah, à condition que cela s’accompagne d’un changement en profondeur initié par les initiateurs de la liste dissidente. Parce que le problème n’est pas seulement inhérent à Abbas et à la dictature interne qu’il a encouragée mais aussi aux problèmes structuraux du Fatah et de l’AP découlant des Accords d’Oslo, qui ont rendu cette dictature possible.

Ce projet de liste n’est pas une affaire personnelle nourrie par la colère de candidats recalés au Conseil Législatif Palestinien (comme en 1996 et en 2006) mais plutôt la manifestation de divergences d’opinion fondamentales. « Ils ont détourné le mouvement de nous », estiment un certain nombre de partisans de la nouvelle liste. Une liste destinée selon eux à proposer des stratégies de retour à la lutte pour la liberté et l’indépendance plutôt qu’à entretenir l’illusion d’un gouvernement et l’enracinement dans le statu quo qui assure les salaires des fonctionnaires l’administration de l’enclave sous occupation israélienne. Certains notent que cette liste doit sonner la fin de la corruption associée au Fatah et rétablir l’esprit de pluralisme et de dévouement patriotique du mouvement « qu’ils ont connu ». Mais si l’on en croit le discours de Nasser al-Kidwa, la liste alternative n’est pas encore un fait accompli ; les défis à relever sont encore très importants.

Le mantra des représentants d’Abbas est « une liste Fatah unie ». C’est-à-dire une liste dont la constitution, actuellement décidée en commission, sera acceptée par tout le monde. A cette fin, la Cisjordanie (comprenant Jérusalem-Est) et la Bande de Gaza ont été divisées en cinq districts et des membres du Comité Central de chaque district trient les noms et choisissent les candidats. Marwan Barghouti et ses amis du Fatah rappellent que « le processus démocratique doit être garanti » et que si leurs requêtes sont entendues, ils soutiendront une liste unie. Ils proposent qu’un forum élargi aux centaines de membres de l’organisation siégeant dans diverses entités civiles (telles que le conseil étudiant, l’association du barreau, les conseils locaux, les ONG, etc.) se réunisse et élise la plupart des candidats officiels. La crainte bien fondée est que le comité chargé d’établir la liste fonctionne selon les instructions d’Abbas et qu’il ait le dernier mot.

Au cours de la réunion du Conseil Révolutionnaire du Fatah, il y a environ trois semaines, Mahmoud Abbas a menacé toute personne qui aurait l’intention de créer une autre liste. « Tirez leur dessus, tuez les », a-t-il menacé, selon des membres du Fatah. Il a sans doute voulu faire une métaphore mais il a certainement exprimé ce qu’il pense des « séparatistes » potentiels. Des membres présents au CR ont rapporté qu’il avait menacé directement Nasser al-Kidwa. Au cours de cette même réunion, Abbas a déclaré qu’il interdisait aux membres des organes suprêmes du Fatah (Comité Central et Conseil Révolutionnaire) de présenter leur candidature à cette liste. Même ses partisans ont été surpris parce que l’activité parlementaire requiert une expérience politique et professionnelle certaine, et parce que l’organisation a longtemps empêché l’avancement et une plus grande visibilité de militants plus jeunes et populaires.

En attendant, il a été rapporté que ces instructions sont en cours de réévaluation et qu’il pourrait y avoir quelques « exceptions ». Les cyniques disent qu’il sont certains que les exceptions concerneront le cercle des fidèles du président. Un nouvel amendement datant du mois de janvier (en fait un décret présidentiel de 2007) soulève aussi des inquiétudes chez les adversaires de Mahmoud Abbas : il y est dit que toute personne qui s’inscrit comme candidat sur une autre liste doit démissionner. La nouveauté de 2021 veut que ceux qui deviennent candidats doivent recevoir le consentement de leur employeur pour démissionner. Les conditions de la démission en soi pourraient dissuader les personnes occupant des postes de recherche, d’enseignement et de direction dans les institutions universitaires, les ONG et les entreprises. Le chef de la commission électorale, le Dr. Hanna Nasser, a déjà exprimé des réserves à son sujet. Certains membres du Fatah craignent que l’obligation d’obtenir une autorisation de l’employeur du candidat potentiel permette d’exercer des pressions sur des personnes dont Abbas ne veut pas qu’elles fassent campagne.

Selon un reportage d’Al Jazeera sur une rencontre entre Abbas et les chefs des services de renseignement jordaniens et égyptiens qui s’est déroulée il y a environ un mois, ceux-ci ont essayé de le persuader de faire la paix avec Mohammed Dahlan, exclu du Fatah par Mahmoud Abbas en 2011, pour présenter une liste unie contre le Hamas. Abbas a refusé. Un certain nombre de ceux impliqués dans la création de la liste dissidente estime que le président de l’AP ne se rend pas compte que la liste qui s’identifie à lui perdra les élections. Des personnes importantes de son entourage entretiennent l’illusion qu’une victoire du Fatah est assurée. Les partisans de Dahlan (l’ancien chef de la Force de Sécurité Préventive de Gaza) espéraient qu’il rejoindrait une liste conduite par Kidwa et Barghouti mais Kidwa a dit à voix haute ce qui s’était négocié tout bas : il n’y a pas de place pour Dahlan sur la liste. Des informations venues de Gaza parlent de l’organisation d’un groupe de partisans de Dahlan du Bloc de la Réforme Démocratique pour créer une autre liste.

Bien que 93 % des électeurs ayant le droit de vote se soient déjà inscrits auprès de la commission électorale (soit 2,6 sur 2,8 millions de personnes), preuve d’un grand désir de participer au processus démocratique, il est toujours question d’annuler l’élection. Une personnalité chevronnée du Fatah a confié que le service des renseignements généraux du Fatah s’oppose à l’élection parce qu’il pense que les résultats seront négatifs pour le Fatah. M. Kidwa lui-même n’est pas du tout certain que l’élection aura lieu, bien qu’il préfère ne pas entrer dans les détails des raisons de cette inquiétude. Ce sera peut-être « la solution » à l’inévitable scission.

Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT Prisonniers de l’AFPS

Note

[1] Le Nouvel Arabe : média panarabe basé à Londres, lancé en ligne en mars 2014, en tant que site Internet d’actualités en ligne, par la société du Qatar Fadaat Media, il a créé un quotidien en septembre 2014 considéré comme proche de l’émir du Qatar.

Amira Hass

Amira Hass est journaliste pour ce quotidien, elle a longtemps été correspondante à Gaza et dans les territoires occupés. Deux de ses livres ont été traduit en français, aux Editions La Fabrique, retraçant les conditions d’existence et les questions politiques des Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie dans les années 1990 et le début des années 2000 : Boire la mer à Gaza (2001) et Correspondante à Ramallah : 1997-2003 (2004).

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