Édition du 16 avril 2024

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Qui sommes-nous pour être découragées ? :  Un antidote au cynisme et au désengagement de la chose publique

Pour Lorraine Guay, notre devoir moral est clair : nous sommes les héritières des luttes passées et nous devons les poursuivre sans relâche. « Qui sommes-nous pour être découragées ? » C’est la question que nous pose cette infatigable militante au fil de ce livre d’entretiens préparé par Pascale Dufour. C’est aussi la question qui attise son engagement politique depuis plus de 60 ans.

Aguerrie, Lorraine Guay est une véritable « femme forte » qui inspire tant par la durée que par la diversité de son engagement : Jeunesse étudiante catholique, Mai 68, Clinique populaire de Pointe-Saint-Charles, Palestine, Chili, Nicaragua, guérilla du Salvador, Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec, mouvements féministe, altermondialiste et souverainiste, défense des réfugiés...

Revenant sur ces expériences marquantes en compagnie de Pascale Dufour, elle se penche sur les enjeux sociaux, politiques et personnels que celles-ci soulèvent. Plus qu’un simple récit, ce livre captivant nous invite à réfléchir à la matière première de ce qui fait l’engagement politique, par-delà les seules stratégies et tactiques militantes. Il permet enfin de mettre en lumière le travail immense qu’a accompli cette figure inspirante et méconnue de l’activisme québécois. D’autant plus qu’à 75 ans, Lorraine Guay milite toujours et n’est pas près de s’arrêter.

À propos de l’auteure

Spécialiste des mouvements sociaux, Pascale Dufour est professeure au département de science politique de l’Université de Montréal et responsable du programme en études féministes, des genres et des sexualités.

En librairie le 12 mars 2019.

Table des matières

PRÉFACE : S’unir pour rayonner, par Rolande Fortin 11

INTRODUCTION : Un parcours ordinairement
extraordinaire 13

partie i

Une éthique de l’action militante
1. Une posture militante tout au long de la vie 31
2. Dans quelles luttes s’engager ? 50

partie ii

Militer sur plusieurs terrains
3. Les racines de l’engagement 63
4. L’engagement communautaire en santé 75
5. L’engagement au sein des mouvements sociaux 109
6. L’engagement à l’international 145
7. L’engagement à l’ère du néolibéralisme 166

partie iii

Au-delà de la posture
8. Les ressorts du militantisme 211

CONCLUSION : Un héritage inspirant 235

POSTFACE : Militer dans la durée, par Diane Lamoureux 243

RÉFÉRENCES 249

Postface

Militer dans la durée

Ma première conversation avec Lorraine Guay fut, si ma mémoire est bonne, lors d’une manifestation altermondialiste à Montréal à la fin des années 1990. Depuis, nous avons été associées dans plusieurs activités militantes, comme Féminisme et démocratie, D’Abord solidaires, le Réseau de vigilance contre le gouvernement Charest, les mobilisations contre la guerre en
Irak, le Réseau national de la démocratie municipale, la délégation québécoise en Palestine en 2009 et l’opération Bienvenue en Palestine en 2012, les mobilisations du printemps érable et même le marrainage d’une famille de réfugié.e.s syrien.ne.s.

Pendant plusieurs années, nous avons également toutes les deux participé à ÉRASME, une équipe de recherche qui travaille en coconstruction des connaissances entre des chercheur.e.s universitaires et des représentant.e.s de groupes communautaires.

L’ancrage politique et intellectuel de Lorraine, comme cela ressort de la lecture de ce livre, est le mouvement communautaire québécois et le catholicisme social, ce qui est assez éloigné de mes propres origines intellectuelles et militantes, mais cela n’a pas empêché qu’au fil des ans se soient développées des complicités politiques, des connivences intellectuelles et même une amitié. Deux éléments de sa trajectoire me semblent devoir être soulignés : sa préoccupation pour l’« argumentaire » et son attention aux personnes. Les deux sont intimement liés.

Un terrain sur lequel Lorraine et moi nous sommes souvent retrouvées, c’est celui du développement des idées ou 244 qui sommes-nous pour être découragées ? des principes sur lesquels reposaient les actions militantes que nous menions. La plupart des mouvements sociaux au Québec, dont le mouvement communautaire, ont tendance à se méfier des arguties intellectuelles et adoptent le plus souvent une approche pragmatique où les fondements de l’action sont peu développés ou explicités. À cet égard, la posture de Lorraine est singulière (même si elle n’est pas unique, puisque je l’ai constatée également chez Serge Roy ou Vivian Labrie, pour ne nommer que des personnes avec lesquelles j’ai été impliquée politiquement) : Lorraine ne se contente pas d’identifier l’existence d’une injustice, elle cherche à en comprendre les fondements et à explorer diverses avenues de solution, ne se satisfaisant pas des « y’a qu’à… ».

C’est ce qui fait que son militantisme en faveur de l’indépendance du Québec ou son soutien à la cause palestinienne s’appuient sur une somme impressionnante de lectures. Petite anecdote : quelques années après avoir fait connaissance et s’être apprivoisées sur le plan militant et intellectuel, Lorraine m’a dit qu’elle voulait discuter avec moi de mon livre L’amère patrie1, qui porte sur les rapports entre féminisme et indépendantisme dans le Québec d’après la Révolution tranquille. Elle est arrivée extrêmement bien préparée pour cette rencontre, avec une copie annotée du livre, dénotant sa lecture minutieuse, et ce fut l’une des meilleures conversations que j’ai pu avoir sur cet ouvrage. Cet échange nous a d’ailleurs permis de cerner certaines zones de divergence entre nous, mais n’a entamé ni notre amitié ni notre capacité à travailler ensemble politiquement.

C’est pourquoi l’un des rôles souvent dévolu à Lorraine dans ses entreprises militantes est de développer l’argumentaire, c’est-à dire d’expliquer les motivations sous-jacentes à l’action dans un langage accessible, tout en ne faisant pas l’économie de la complexité du social. Le travail de l’argumentaire, comme j’ai pu l’apprendre à plusieurs reprises en compagnie de Lorraine (et de quelques bouteilles de vin), en est un d’élaboration intellectuelle, mais aussi de souffle militant. Il est surtout un énorme travail de révision, dans un processus constant d’échanges entre les groupes et les personnes impliquées dans l’action. Ce travail peut s’avérer très laborieux et requiert à la fois conviction, ténacité, patience et souplesse – qualités que
Lorraine possède toutes.

L’argumentaire exige également une certaine modestie intellectuelle. Il ne s’agit évidemment pas de s’effacer complètement dans un projet collectif ni de renoncer à analyser les enjeux avec une certaine complexité. Mais l’argumentaire nous rappelle que le travail politique n’est jamais une entreprise solitaire, qu’il se réalise collectivement dans un penser/agir en commun. L’apport des unes et des autres est donc versé dans un creuset commun où se font des arbitrages qui visent autant à préserver l’unité du groupe qu’à garantir une certaine efficacité de l’action par rapport à un public plus large que le collectif militant.

Un deuxième axe qui ressort de la trajectoire militante de Lorraine, c’est la nécessité de travailler avec les personnes et de ne pas oublier que, derrière chaque cause, il y a des êtres humains. Il y a deux expressions que Lorraine emploie fréquemment et qui structurent son action politique : « La récupération a meilleur goût » et « Nos cerveaux sont aussi des territoires occupés ». La première peut s’apparenter à un certain réformisme mais, comme le disait une autre de mes amies, Françoise Collin, il y a des réformes qui sont des emplâtres et d’autres qui sont des tremplins. De la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles à la présentation des revendications de la Marche mondiale des femmes devant la Banque mondiale et l’ONU, Lorraine a toujours pensé que ce que les groupes communautaires inventent dans l’urgence, et à l’échelle locale, a vocation à se généraliser à travers les institutions. En même temps, le travail de récupération de ces pratiques issues du milieu communautaire ne doit pas occulter leurs origines militantes
et doit préserver des marges de manoeuvre pour pouvoir éventuellement reprendre la mobilisation si le résultat n’est pas à la hauteur des attentes.

Quant à l’idée de reconnaître que, même en adoptant une posture critique et militante, nous ne sommes pas imperméables aux idées dominantes, cela doit nous inciter à une certaine humilité face aux personnes qui n’ont pas le même cheminement que nous. Le milieu communautaire insiste souvent sur le « par et pour » pour justifier la spécificité de ses actions et de ses pratiques. Faire des personnes touchées directement par une injustice les principales artisanes de leur émancipation, c’est éviter de se substituer à elles en tombant dans le piège de l’avant-gardisme – ce qui explique d’ailleurs pourquoi Lorraine n’a jamais succombé aux sirènes « ML » (marxistes-léninistes) dans le mouvement communautaire.

C’est également entreprendre le lent travail de décolonisation des esprits pour faire en sorte que les pauvres arrêtent de voter à droite et cessent d’intérioriser l’idée qu’ils sont nés seulement pour un petit pain. C’est porter attention aux personnes avec lesquelles on travaille, comme toutes celles associées à la Clinique de Pointe-Saint-Charles qui sont mentionnées dans cet ouvrage ; organiser des actions et se soucier en même temps des moments festifs ; faire son travail d’infirmière tout en voyant la personne derrière le ou la patient.e ; discuter avec ses collègues de travail des multiples dysfonctionnements du système de santé en partant de leur expérience concrète.

Enfin, on ne saurait esquisser un portrait de Lorraine en passant sous silence le fait qu’elle est une lectrice boulimique et qu’il est difficile de la surprendre sans un livre dans son sac. Quelques-unes de ses lectures sont mentionnées au fil des pages et ce qui frappe au premier abord, c’est leur caractère
éclectique, quoique la plupart s’adressent autant à la sensibilité qu’à l’intellect. Même si elle ne possède pas de diplôme universitaire, j’ose affirmer que Lorraine est une intellectuelle cherchant inlassablement à comprendre le pourquoi des situations et des événements ; comme Hannah Arendt, elle pense à partir de l’événement. Dans les équipes de recherche universitaire auxquelles elle a participé, Lorraine a toujours été plus que la
militante ou la « chercheuse communautaire » ; elle a constamment cherché à concilier la passion universitaire de couper les cheveux en quatre et la volonté militante d’adopter une ligne de conduite cohérente. Quelquefois, elle pestait contre ces universitaires qui n’arrivent pas à s’exprimer de façon claire ou dans un français syntaxiquement correct. Ses intérêts militants l’ont conduite à se forger une vaste culture intellectuelle dans des domaines comme la littérature, l’histoire, la psychanalyse, l’antipsychiatrie, la sociologie, l’anthropologie, la philosophie et la politique, sans parler de son intérêt pour les arts visuels et le cinéma. Autodidacte, tête bien faite, c’est toujours un plaisir et un enrichissement que d’entreprendre une discussion avec elle. Au fil des ans, nous avons pu échanger tant sur un plan pratique que sur un plan intellectuel sur des sujets aussi divers que l’inclusion/exclusion, la citoyenneté, la démocratie, le féminisme ou Hannah Arendt. Je saisis donc cette occasion pour remercier Lorraine de tout ce qu’elle m’a apporté et pour espérer que nous pourrons encore longtemps poursuivre nos discussions et notre amitié.

Diane LAMOUREUX

1. Diane Lamoureux, L’amère patrie. Féminisme et nationalisme dans
le Québec contemporain, Montréal, Remue-ménage, 2001.
postface 245

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