Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Chine/États-Unis Du G2 à la confrontation

Les relations sino-américaines évoluent et entrent dans une
nouvelle phase. Les embrassades et accolades semblent
terminées et laissent place à un affrontement dont les
contours ne sont pas encore tous définissables. Beaucoup prophétisent
que le xxie siècle sera marqué par l’affrontement entre ces deux pays
comme le xxe le fut par le « conflit du siècle », celui de la guerre froide
entre les deux Blocs.

tiré de : [REVUE RI] Parution Recherches internationales

Mais toute ressemblance serait trompeuse. Celui-ci n’est pas
de même nature et vise à l’hégémonie économique et géopolitique.
L’affrontement de la guerre froide avait une dimension idéologique,
au point d’être présenté comme une « lutte de classe à l’échelle
internationale », et avait des enjeux sociaux. Ce qui se jouait c’était
l’opposition entre deux systèmes : le capitalisme et le socialisme. Les
camps étaient bien typés, s’observaient mais n’entretenaient que peu
de relations commerciales ou économiques. Tout au plus quelques
problèmes d’intérêt communs – les problèmes globaux– pouvaient
justifier d’une coopération et constituaient un bon thermomètre du
niveau de la détente. Les lieux de l’affrontement n’étaient pas centraux
mais se jouaient sur les périphéries – le tiers monde – à l’aide de
« stratégies obliques » et de conflits de basse intensité visant à
déstabiliser des gouvernements en place, pour planter des drapeaux
sur un nouveau territoire. Les deux camps n’étaient pas intégrés et
la faiblesse de l’économie soviétique structurait la confrontation
qui s’épanouissait dans une course aux armements phénoménale
et dans la conquête spatiale. Le danger nucléaire était prégnant et
donna naissance à de massives mobilisations. Finalement le conflit
n’eut pas lieu dans ce domaine même s’il semble que la catastrophe
a pu être frôlée. Dans ce conflit du xxe siècle, dès les décennies 70-
80, la Chine a été instrumentalisée par les États-Unis pour contrer
l’Union soviétique. Ce rapprochement s’est poursuivi et amplifié
au-delà de la fin de la guerre froide.

Peu à peu, se construisit une relation sino-américaine à laquelle
les élites, tous clans confondus, des deux pays adhérèrent. Elles y
trouvèrent un intérêt commun. L’accès au marché chinois et la vente
de ses bons du trésor pour l’un et l’accès à la technologie et au marché
américain en se transformant en atelier du monde pour l’autre.
Rapport déséquilibré et asymétrique. Les États-Unis accumulèrent
un déficit commercial et un endettement grandissant. La Chine se
constitua un pactole de devises et de réserves or – aujourd’hui à
hauteur de 3000 milliards de dollars –, écoula ses marchandises et
permit l’émergence d’une classe moyenne dont le niveau de vie ainsi
que celui des autres catégories de la population s’éleva très vite. La
Chine s’ouvrit aux multinationales en conservant le contrôle sur ces
investissements étrangers qui inondaient le pays. À son tour, elle
pratiqua une politique d’achats massifs d’industries étrangères pour
s’emparer au passage des technologies de pointe qu’elles recelaient.
Pendant toute cette période la Chine a réussi à s’imposer
comme grande puissance qui compterait désormais face à des
États-Unis paralysés par la crise financière de 2008-2012. Ils seront
obligés d’accepter l’essor de leur rival qui accédera au statut de
puissance faisant jeu égal et menaçant de les surpasser (« peer
competitor »). La puissance émergente s’est métamorphosée en
puissance émergée. Ainsi à l’orée du xxie siècle le statut de première
puissance indéboulonnable échappe aux États-Unis. Ils doivent
désormais composer et accepter de sacrifier leurs intérêts lointains au
bénéfice d’avantages immédiats, et donc à privilégier la coopération
et à renvoyer à plus tard ce qui relève de la compétition. Faute de
pouvoir affronter l’adversaire immédiatement, mieux vaut l’engluer
dans une alliance qui l’assagira et reporter, si nécessaire, à plus tard
l’affrontement quand les conditions seront jugées meilleures. Pour
la Chine, l’accès à une seconde place reconnue, sans avoir à tirer un
coup de canon, constitua une aubaine majeure. Ainsi ce qui se mit
en place sous nos yeux ce fut la naissance d’une « Chinamérique ».
On a pu parler d’interpénétration de connivence ou d’une
dualité complice qui a pu apparaître comme un G2 de deux
puissances espérant atteindre au statut de condominium
s’imposant au reste du monde. C’est cette situation qui prend fin
sous nos yeux.

Déjà le basculement asiatique – « pivot asiatique »– préconisé
par Obama visait à contrarier l’influence régionale montante de la
Chine. Trump a pensé, quant à lui, que la mondialisation qui avait
été largement promue par les États-Unis s’était retournée contre eux
et qu’il importait donc d’en revoir des pans importants, notamment
dans le domaine commercial. Thème qui porta bien auprès de son
électorat. Tous les accords ligotant les États-Unis devaient être revus
ou renégociés. Ainsi en fut-il des traités sur le désarmement, sur le
climat ou les relations commerciales, au risque de provoquer des
effets délétères collatéraux. Le mot d’ordre « America First » illustrait
le tournant isolationniste choisi. Et il ne pouvait que concerner son
principal partenaire la Chine compte-tenu de l’intensité des liens
tissés. Il avait également pour but de la ramener à un rival de second
rang. Mais peut-être est-il déjà trop tard car depuis les années 1980
ses performances économiques caracolent en tête et font pâlir
d’envie les pays occidentaux.

Car la Chine avance à bas bruit en évitant de le faire remarquer
pour ne pas apparaître comme une menace majeure, mais plutôt
comme un partenaire avec lequel il convient d’entretenir des
échanges de type gagnant-gagnant. Son influence ne se limite pas à
ses abords immédiats mais s’étend déjà depuis longtemps également
à l’Afrique et à l’Amérique latine dont elle est devenue le deuxième
partenaire commercial. Elle a su créer avec d’autres pays – les BRICS
– des banques de développement qui permettent à maints pays du
tiers monde de s’émanciper de la tutelle de la Banque mondiale ou
du FMI. Elle poursuit un projet gigantesque de « routes de la soie »
auquel déjà plus de 16 pays ont adhéré et qui a vocation au-delà
de l’Europe de toucher également l’Afrique et l’Amérique latine. Elle
a pris méthodiquement le contrôle de dizaines de ports utiles à sa
stratégie dont celui emblématique du Pirée en Grèce. En prônant
la non-ingérence, elle désidéologise les relations entre États et ne
cherche pas à étendre un modèle social avec ses partenaires.
Jusqu’où ira le conflit entre Donald Trump et Xi Jinping ? En
terme de parité de pouvoir d’achat, la Chine a déjà dépassé les ÉtatsUnis, même si la comparaison des niveaux des PIB reste favorable à
ces derniers. Dans beaucoup de domaines la Chine accuse encore
des retards, notamment en matière de technologies de pointe,
bien qu’elle soit le seul pays a avoir pu construire des centrales
nucléaires de type EPR qui fonctionnent, démontrant ainsi l’effort
considérable consacré à la science. En matière de puissance militaire,
elle ne surpasse pas la puissance américaine. Mais en vertu du
pouvoir égalisateur de l’atome, elle a déjà acquis une puissance de
dissuasion devant laquelle les États-Unis ne peuvent que s’incliner.
Car au-delà d’un certain niveau d’accumulation d’armes nucléaires,
il n’y a pas de stratégie victorieuse possible. L’équation se réduit à :
qui meurt en premier et qui meurt en second ? La guerre totale est
peu probable. Restent les affrontements et les escarmouches. Mais
une forte dissymétrie existe. Au pire Donald Trump durera encore
cinq ans. Le système chinois semble plus stable et plus résilient,
même s’il présente des fragilités. Bref, faire le dos rond semble pour
les Chinois l’attitude la plus vraisemblable pour accéder au statut
espéré de première puissance.

Mais peut-on réduire le xxie siècle au seul affrontement sinoaméricain ? Ce serait oublier l’islam politique qui a déjà défait la puissance soviétique en Afghanistan et qui laisse les Américains quitter ce pays après vingt ans de présence alors que les Talibans sont aux portes du pouvoir. Deux victoires contre les plus grandes
puissances du xxe siècle. Bigre ! L’ambition prosélyte et conquérante
étant indéniable, la Chine pourrait être dans la visée qui s’appuierait
sur les populations Ouïghours du Xinjiang et probablement l’aide
américaine.

Mais en matière de prévision des relations internationales la
modestie doit prévaloir. Qui aurait pu annoncer après la seconde
guerre mondiale que ses perdants – l’Allemagne et le Japon –
connaîtraient dans les vingt années qui suivront une renaissance
si rapide au point d’être qualifiés de « miracles ». Pour mémoire, un
institut américain, l’Hudson Institute, pariait alors sur… l’Argentine
et l’Australie. La prudence s’impose donc.

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