Édition du 23 avril 2024

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Politique canadienne

Changements climatiques : l’« exagération » selon Joe Oliver

Le 11 avril dernier, le ministre fédéral des Ressources naturelles, Joe Oliver, était de passage à Montréal pour faire la promotion des sables bitumineux. À cette occasion, il a fermé la porte à tout plafond strict d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et a affirmé que selon les scientifiques, nos peurs sur les changements climatiques étaient « exagérées ». Une affirmation qu’il a refusé de retirer encore la semaine dernière.

Tiré du site de l’IRIS.

Sa déclaration ne saurait être plus fausse. Bien que les plus récentes données montrent un léger ralentissement du réchauffement depuis 2005, les tendances d’émissions de GES continuent de pointer vers un emballement climatique catastrophique. En cherchant aveuglément à poursuivre l’expansion des sables bitumineux malgré l’imminence d’une grave crise planétaire, le Canada poursuit sa lancée en sens inverse de l’Histoire.

Le point sur le ralentissement du réchauffement

Que nous disent les dernières données sur les changements climatiques ? Essentiellement, pour une concentration de 560 parties par million d’équivalent CO2 dans l’atmosphère d’ici 2050, il se pourrait que le climat se réchauffe légèrement moins que les 3°C calculés en 2007 par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). En d’autres mots, la planète pourrait être légèrement moins sensible aux émissions de CO2 qu’on ne le croyait.

Réchauffement climatique anticipé pour une concentration de 560 ppm d’éq. CO2 d’ici 2050

Cela veut-il dire que les efforts de reconversion écologique de l’économie deviennent inutiles ? Pas du tout. Il faut porter une attention particulière aux intervalles de confiance. Plus particulièrement, la borne supérieure de ces intervalles dépasse systématiquement la cible consensuelle fixée à 2°C. Par conséquent, toute cible fixée à 560 ppm d’éq. CO2 implique un risque de sombrer.

Une cible de 2°C insuffisante

Par ailleurs, comme le faisait remarquer l’environnementaliste américain Bill McKibben dans son article du Rolling Stone de 2012, plusieurs scientifiques considèrent désormais la cible consensuelle de 2°C comme insuffisante pour éviter un emballement climatique, dont les conséquences ultimes restent impossibles à prévoir. C’est le cas de Thomas Lovejoy, ex-conseiller en chef sur la biodiversité de la Banque mondiale, selon qui « si nous voyons ce que nous voyons aujourd’hui à 0,8°C [d’augmentation], alors 2°C est simplement trop ».

Une conclusion partagée par James Hansen, le climatologue de la NASA qui a récemment quitté ses fonctions pour se consacrer au militantisme, et pour qui « l’objectif de réchauffement de 2 °C qui a été discuté dans les négociations internationales est en fait une prescription pour une catastrophe à long terme ».

Les risques d’un emballement climatique

Une raison de plus pour interpréter avec précaution les études présentées plus haut est qu’aucune d’entre elles ne tient compte des 1 700 gigatonnes d’équivalent CO2 présentement emprisonnés dans le permafrost arctique et qui pourraient se libérer advenant une hausse de 2°C. C’est de la moitié de tout le carbone présentement dans l’atmosphère dont il est ici question.
Un tel ajout risquerait de précipiter la planète dans une spirale de réchauffement « dévastatrice pour la majorité des écosystèmes et à haute probabilité de ne pas être stable », selon le professeur Kevin Anderson, ex-directeur du Tyndall Energy Program, le principal institut de recherche climatique du Royaume-Uni.

Une nouvelle planète inhospitalière

Ouragans toujours plus fréquents et toujours plus intenses, disparition d’États insulaires, relocalisation forcée de millions de réfugié.e.s climatiques, sécheresses et famines dans les pays d’Afrique subsaharienne : telles sont quelques-unes des plus inquiétantes caractéristiques de la nouvelle planète inhospitalière dont les générations futures pourraient hériter. D’autres effets attendus sont l’apparition de nouvelles crues printanières hors de proportion, de même que la prolifération de feux de forêt de plus en plus incontrôlables.
Flirter avec les 2°C ouvre ainsi la porte sur un futur bien peu reluisant, qui pourrait être carrément « incompatible avec une communauté globale organisée, probablement au-delà de l’“adaptation” », selon Anderson.

Des trajectoires d’émissions à côté de la plaque

Comment s’en tirer ? Pour arriver à limiter la concentration d’éq. CO2 à 560 ppm d’ici 2050 (ce qui laisse tout de même un risque appréciable de rater la cible de 2°C), et en tenant compte des nouvelles études, il faudrait réduire les émissions globales de GES d’au moins 30 % d’ici 2050 par rapport au niveau de 2000. Or, année après année, les émissions continuent de croître à un rythme d’environ 3 %.

Les menaces liées aux changements climatiques n’ont donc rien d’« exagérées ». Au contraire, un virage sociétal d’une ampleur jamais égalée est urgent.

Toutefois, les interventions publiques comme celle du ministre Joe Oliver, ou encore l’ouverture manifestée par la première ministre du Québec Pauline Marois pour la construction d’un nouveau pipeline qui permettrait d’accélérer encore davantage l’expansion des sables bitumineux, deuxième plus important puits de carbone sur Terre, sont loin de laisser présager un redressement de situation.

Renaud Gignac

Chercheur à L’IRIS

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