Édition du 10 décembre 2024

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Coronavirus

Chine : en pleine mobilisation antivirus, des critiques émergent au sein de l’Etat-parti

Si l’heure est à l’union nationale, des critiques se font jour au sein du système pour dénoncer la lenteur des décisions prises par les autorités locales. La Cour suprême a même loué le travail de lanceur d’alerte de huit habitants de Wuhan, l’épicentre de l’épidémie.

Tiré de Médiapart.

La Chine a un ennemi déclaré : le nouveau coronavirus, 2019-nCoV. Tout le pays doit s’unir pour combattre ce « démon », a déclaré son commandant en chef, le secrétaire général du Parti communiste et président de la République Xi Jinping, en recevant mardi à Pékin le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus.

Face aux interrogations sur le manque de transparence et de réactivité face à l’épidémie – les premiers cas ayant été relevés dès décembre avant que les scientifiques chinois identifient et isolent le nouveau coronavirus le 7 janvier –, le numéro un chinois a asséné lors de sa réunion avec le responsable de l’OMS, selon le compte rendu donné en une par le Quotidien du peuple de mercredi : « On ne peut pas laisser le diable se cacher. Le gouvernement chinois a toujours communiqué de manière ouverte, transparente et responsable les informations sur l’épidémie, que ce soit au niveau national ou international, tout en répondant activement aux préoccupations de tous et en renforçant sa coopération avec la communauté internationale. »

De son côté, cité dans un communiqué de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus a salué « le sérieux avec lequel la Chine traite cette épidémie et, en particulier, la détermination des dirigeants, et la transparence dont ils ont fait preuve, notamment en communiquant des données et la séquence génétique du virus » [10].

De retour de Chine, où il a accompagné le directeur général de l’OMS, Michael Ryan, directeur exécutif chargé du programme de gestion des situations d’urgence sanitaire de l’organisation, s’est dit « impressionné par le niveau d’engagement des autorités chinoises à tous les niveaux », inédit à ses yeux, et l’« incroyable transparence » dont a également fait preuve le pays, en particulier par rapport à l’épidémie de Sras de 2002-2003 (774 morts dans le monde dont 648 en Chine, Hong Kong compris). « Le défi est grand mais la réponse a été massive », a-t-il dit, jugeant qu’« avant de critiquer la Chine ou de la pointer du doigt, il faut le reconnaître. »

Par ailleurs, le chef de l’OMS a décidé de convoquer une nouvelle réunion d’urgence jeudi afin de déterminer si l’épidémie nécessite une alerte internationale. « La plupart des plus de six mille cas du nouveau coronavirus se trouvent en Chine, seulement 1 %, soit soixante-huit cas, ont été enregistrés à ce jour dans quinze autres pays. Mais une transmission interhumaine a été enregistrée dans trois pays en dehors de la Chine », a-t-il expliqué. « Ce risque de propagation mondiale est la raison pour laquelle j’ai convoqué le comité d’urgence. »

Le 22 janvier, l’OMS avait décidé de ne pas proclamer une urgence de santé publique de portée internationale à propos de l’épidémie due au 2019-nCoV.

Des zones d’ombre subsistent cependant, en particulier sur les décisions tardives prises par les autorités locales de la ville de Wuhan, épicentre de l’épidémie dans la province centrale du Hubei.

Dans un long texte publié sur le site China Media Project [11], une journaliste expérimentée signant sous le pseudonyme de Da Shiji a ainsi affirmé que le virus avait pu se propager pendant quarante jours avant que le confinement de la ville de 14 millions d’habitants ne soit décidée juste avant le Nouvel An lunaire.

Elle l’explique par la volonté des dirigeants locaux de privilégier la stabilité, quitte à sacrifier la santé des habitants en cachant la vérité sur l’épidémie : « Ces gouvernants lâches et incompétents ne peuvent pas assumer la nécessaire responsabilité pour gouverner à un moment qui est devenu essentiellement un état de guerre », écrit-elle.

Certains, au sein du système, ont émis réserves et critiques. Ainsi, lors d’une interview mercredi [12],avec le chef épidémiologiste du centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, Zeng Guang le rédacteur en chef du journal nationaliste Global Times, Hu Xijin, a posé une question sur les huit habitants de Wuhan qui avaient été brièvement interpellés en janvier, accusés d’avoir propagé des « rumeurs » en évoquant une nouvelle épidémie de Sras.

Zeng Guang a jugé que ces « lanceurs d’alerte » devaient être « respectés », car ils ont eu raison avant tout le monde, même s’ils n’avaient pas de « preuves scientifiques ».

Mardi, les huit habitants ont reçu un soutien de poids, celui de la Cour suprême de Chine. Dans une note, la plus haute instance judiciaire a jugé qu’on aurait dû les écouter : « Si le public avait écouté cette “rumeur” à ce moment-là et si, en raison de la peur du Sras, il avait adopté des mesures telles que porter un masque, désinfecter strictement et éviter de se rendre au marché des animaux sauvages, cela aurait été un meilleur moyen pour prévenir et contrôler le nouveau coronavirus et une bonne chose. Par conséquent, face à de fausses informations, les organismes chargés de l’application des lois devraient tenir pleinement compte de la malveillance subjective des émetteurs et des diffuseurs d’informations et de leur capacité à reconnaître les choses. Tant que les informations sont vraies, les éditeurs et les diffuseurs ne sont pas subjectivement malveillants, et le comportement n’a objectivement pas causé de préjudice grave. Nous devons maintenir une attitude tolérante à l’égard de ces “fausses informations”. »

La première mort due au virus, celle d’un homme de 61 ans, a eu lieu le 9 janvier. Le même jour, des experts médicaux cités par la chaîne publique CCTV affirment qu’il s’agit d’un nouveau coronavirus. Deux jours plus tard, la Commission municipale de santé de Wuhan publie un communiqué confirmant le premier décès et faisant état de 41 cas, mais précise qu’aucun nouveau cas n’a été décelé depuis le 3 janvier, qu’aucun personnel médical n’a été contaminé et qu’aucune preuve de transmission interhumaine n’a été trouvée [13].

Du 11 au 15 janvier, le bureau de la santé de Wuhan affirme n’avoir été informé d’aucun nouveau cas. Il faudra attendre le 16 pour voir le chiffre officiel de nouveaux cas quotidiens passer de 4 à 60. Le 21, il reconnaîtra que 15 membres du personnel hospitalier ont été contaminés.

Selon une enquête du média chinois Caixin, dès le 5 janvier cependant, un médecin d’un hôpital de Wuhan présentait de la fièvre et avait été hospitalisé cinq jours plus tard en raison d’une pneumonie provoquée par le coronavirus. Le 19 janvier, le docteur Zhong Nanshan, spécialiste des maladies respiratoires et célèbre pour son engagement dans la lutte contre le Sras en 2002-2003, se rend à Wuhan et déclare que le nouveau coronavirus peut se transmettre d’humain à humain, provoquant une prise de conscience générale.

Lundi, dans un long entretien de près d’une heure sur CCTV, le maire de Wuhan Zhou Xianwang s’est livré à une rare autocritique. « Non seulement nous n’avons pas donné l’information à temps, mais nous n’avons pas non plus utilisé l’information dont nous disposions pour améliorer notre travail », a-t-il expliqué, ajoutant néanmoins que la loi sur la prévention et le traitement des maladies infectieuses l’empêchait de publier de sa propre initiative toute information considérée comme sensible. « Comme gouvernement local, après avoir obtenu l’information, nous ne pouvons la révéler qu’après autorisation. »

Il n’a pas précisé cependant à quel moment il avait informé les autorités centrales de l’épidémie. Le Conseil d’État (gouvernement) a tenu une réunion d’urgence le 20 janvier au cours de laquelle le nouveau coronavirus avait été classé au rang de « classe A », ce qui, a raconté M. Zhou, avait permis de « prendre certaines mesures difficiles, notamment le confinement de Wuhan et la suspension des métros, bus, ferrys et cars ».

Lors de la même interview, M. Zhou a même évoqué l’idée de présenter sa démission pour avoir mis la ville en quarantaine : « Si le public pense que nous avons commis une erreur, nous démissionnerons. » Mais pour l’heure, seuls des responsables de rang inférieur dans d’autres provinces ont été sanctionnés pour leur mauvaise gestion de la crise.

Jeudi, la Commission de discipline du Parti communiste a émis une directive pour rappeler à tous l’importance de la lutte contre l’épidémie [14] : « Il est nécessaire d’appliquer strictement la discipline et de mettre en œuvre les décisions du comité central du Parti et les instructions importantes du secrétaire général concernant des problèmes comme le fait de ne pas mener son travail correctement, de frauder ou de faire preuve de duperie, en les punissant sévèrement [...]. Quant aux questions disciplinaires comme d’éventuels manquements au devoir ou détournements de fonds dans le travail de prévention et de contrôle de l’épidémie, nous le traiterons selon la loi et les règlements de manière résolue. »

Mettre en garde ceux qui au sein de l’État-parti se rendraient coupables de défaillances et désigner un ennemi commun permettent aussi de tenter de resserrer les rangs et d’éviter d’avoir à répondre à certains questionnements des habitants sur les ratés des débuts. Les autorités chinoises, Xi Jinping au premier rang, usent à satiété des métaphores guerrières, alors que le bilan de l’épidémie s’élevait mercredi soir à 170 morts, avec 4 586 cas dans la seule province du Hubei.

D’ailleurs, l’armée n’est jamais très loin lorsqu’il s’agit de lutter contre une catastrophe, qu’elle soit naturelle – comme lors du tremblement de terre du Sichuan en 2008 – ou sanitaire, comme c’est le cas en ce moment. Du personnel médical militaire a été envoyé à Wuhan et l’agence officielle Chine nouvelle a informé mercredi que Xi Jinping, qui préside également la Commission militaire centrale, avait adressé « ces derniers jours des directives importantes » aux forces armées.

« Les hôpitaux compétents de notre armée doivent faire de leur mieux pour recevoir et traiter les patients, et les institutions de recherche scientifique doivent intensifier leur recherche et contribuer activement à gagner la bataille de prévention et de contrôle de l’épidémie », a déclaré Xi, selon Chine nouvelle.

Dans ce récit officiel, diffusée à satiété par l’ensemble des médias publics, des « héros » sont loués. Parmi eux, figure bien sûr le personnel médical, auquel il est rendu hommage pour son abnégation et son sens du sacrifice. Il y a aussi les milliers d’ouvriers – qui se sont vu offrir des salaires plus élevés – qui construisent un hôpital à Wuhan en travaillant jour et nuit. Un chantier auquel on peut même assister en direct sur une application du Quotidien du peuple.

L’appareil de propagande est donc présent sur tous les fronts, inondant aussi les réseaux sociaux de ses messages d’unité nationale sur le thème de « Allez Wuhan », comme il y avait eu « Allez le Sichuan » lors du séisme de 2008. Une manière de susciter une vague de nationalisme balayant les voix critiques.

Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux [15] montrent que les habitants de Wuhan ont pris l’habitude d’ouvrir leurs fenêtres à 20 heures pour crier « Allez Wuhan » (« Wuhan Jiayou » en chinois), voire pour diffuser l’hymne national. Les quatre caractères de « Wuhan Jiayou » ont été projetés sur les immeubles et les ponts de la ville [16]. Même un rap au service de la guerre contre les virus a été réalisé. Et dans une courte vidéo diffusée sur le site Sina.com [17], le docteur Zhong Nanshan explique au grand public comment porter le masque. Tous les moyens sont bons pour terrasser le « démon ».

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