Édition du 23 avril 2024

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Crise climatique

Climat : le scénario noir de la Banque mondiale est le plus probable

Combien faudra-t-il de canicules mortelles, d’ouragans destructeurs, de terres devenues arides, de centaines de millions de personnes sans eau ou devant fuir des territoires dévastés, de forêts ravagées par les incendies ? Combien de montée des eaux et de disparition d’espèces, combien de conflits armés liés à ces phénomènes « naturels », combien et de quelle ampleur, avant que d’autres politiques soient mises en œuvre ?

Presque tous les jours, des informations, qui ne font pas la « une », signalent la vraisemblance d’une catastrophe climatique sans commune mesure, en termes humains et en termes de durée (des siècles), avec « notre » crise des dettes publiques et privées, pourtant sérieuse et qui va s’amplifier, en Europe et ailleurs. Pis encore : la mal nommée « crise des dettes » est en train d’étouffer dans l’œuf les espoirs d’une forte et rapide réorientation écologique et sociale de l’économie et des modes de vie.

On dit que le catastrophisme n’est pas mobilisateur. C’est vrai, mais, dans le cas présent, il ne s’agit pas de catastrophisme (= en rajouter dans l’horreur, susciter des peurs infondées, crier « au loup » quand il n’y en a pas dans les environs). Il s’agit d’indices de plus en plus robustes et convergents, mais confinés dans l’arrière-boutique des grands médias. Dirait-on d’un vulcanologue qualifié avertissant d’une probable éruption qu’il fait du catastrophisme ?

C’est tellement grave que de grandes institutions internationales se mettent à relayer les « écolos », à leur façon et avec leurs limites. La dernière en date, c’est la Banque mondiale. On attend le jour où le FMI et l’OMC la rejoindront… Voici des extraits d’un communiqué de l’AFP du 19 novembre :

+ 4° Dès 2060 ? La Banque mondiale « catastrophée », mais…

Inondations, sécheresse, montée des océans : la Banque mondiale met en garde contre le scénario noir d’un réchauffement du thermomètre mondial de 4°C dès 2060 et la “cascade de cataclysmes” qui frapperaient alors les pays pauvres.

“Ce monde serait tellement différent de celui dans lequel nous vivons qu’il est difficile de le décrire”, prévient le président de l’institution, Jim Yong Kim, en préambule d’un rapport publié dimanche à Washington, ajoutant que des “décennies de développement” pourraient être réduites à néant.

Selon la Banque mondiale, le niveau actuel d’émissions de CO2 rend quasiment intenable l’engagement pris par la communauté internationale de contenir le réchauffement du globe à +2°C par rapport à l’ère pré-industrielle. D’après son rapport, le thermomètre mondial pourrait en réalité grimper de 4°C “au cours du siècle” et “dès 2060″ si les gouvernements mondiaux n’agissent pas d’urgence.

Cette sombre perspective “peut et doit être évitée”, assure la Banque mondiale qui souligne que la responsabilité de l’homme dans le réchauffement en cours est “sans équivoque”… Listant les dangers qui menaceraient alors la planète (inondations, sécheresses, malnutrition…), l’institution prédit une aggravation des “pénuries d’eau” en Afrique de l’Est, au Moyen-Orient ou en Asie du Sud et un “important rebond” de la mortalité infantile en Afrique sub-saharienne.

Certaines maladies véhiculées par les insectes (malaria, dengue) risquent également de trouver un nouvel essor tandis que les barrières de corail, “protections naturelles contre les inondations”, pourraient ne pas résister aux retombées acides du CO2 dans l’océan, énumère la BM. “Les plus pauvres et les plus vulnérables seront les plus durement touchés”, assure le président de la Banque mondiale, même si aucune région ne serait épargnée… Les sécheresses ayant frappé cet été les Etats-Unis ou l’Europe de l’Est pourraient se reproduire et l’Occident serait aussi confronté à l’afflux de populations fuyant les conséquences des bouleversements climatiques. »

… Mais ses remèdes ne vont rien arranger

« Le rapport ne propose pas de remèdes-miracle pour relancer l’élan de la communauté internationale, qui a faibli depuis le fiasco du sommet de Copenhague en 2009 et sous l’effet de la crise économique. Mais la Banque mondiale veut surtout faire passer un message : la lutte contre le réchauffement n’est pas l’ennemie de la croissance : “Le secteur privé doit comprendre que l’adaptation au réchauffement climatique constitue une opportunité économique”, assure Jim Yong Kim, estimant que la Chine en avait déjà pris conscience et appelant d’autres pays à suivre son exemple. » Fin du communiqué de l’AFP.

Les mauvais plis reviennent vite. Ainsi, le grand objectif politique serait de convaincre gentiment « le secteur privé » qu’il doit s’engager dans une croissance verte dont il tirerait les plus grands bénéfices. Le réchauffement climatique comme « opportunité économique » ! On appréciera aussi l’exemple de la Chine comme modèle de développement soutenable et de lutte contre le réchauffement climatique. Il est vrai que ce pays n’en fait pas moins que nous sur ce plan, mais c’est bien là le problème…

On ne peut évidemment que souhaiter une réorientation radicale des modes de production et de consommation, concernant tous les secteurs d’activité, publics et privés. Il est vrai également que cette réorientation ouvrirait des perspectives de créations d’activités et d’emplois pouvant compenser certaines réductions nécessaires ailleurs. Mais confier à des multinationales, qui sont en train de mettre la nature en coupe réglée sur un mode dérégulé, le rôle majeur dans la lutte contre le réchauffement, c’est un peu faire confiance à des incendiaires pour éteindre le feu qu’ils ont allumé.

Nous avons d’abord besoin de fortes mobilisations, contraignant les politiques à changer de cap et à édicter des règles elles-mêmes contraignantes, du local au global, car les limites des écosystèmes sont bel et bien des contraintes à respecter. Dans l’intérêt et pour le bien vivre du plus grand nombre, et pour éviter le scénario noir de la Banque mondiale, qui reste probable vu que, en dépit de fortes mises en garde depuis (au moins) dix ans, la concentration de gaz à effet de serre poursuit sa folle progression. En témoigne cet autre communiqué de l’AFP (extraits).

La concentration de GES dans l’atmonsphère ne cesse de progresser

GENEVE- (AFP) - La teneur de l’atmosphère en gaz à effet de serre a atteint un nouveau pic en 2011… ce qui aura des conséquences pendant des siècles, a averti mardi l’Organisation météorologique mondiale (OMM). “Même si nous pouvions stopper du jour au lendemain toute nouvelle émission, la concentration actuelle continuera à avoir des effets pendant des siècles”…

Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal responsable de cette pollution atmosphérique. Sa concentration a augmenté l’an dernier de 2,0 ppm (parts pour million), à comparer avec une hausse de 2,3 ppm en 2010. “Ce taux d’accroissement est supérieur à la moyenne des années 1990, mais correspond à la moyenne des 10 dernières années”.

“Jusqu’à maintenant, les puits de carbone ont absorbé près de la moitié du CO2 que les activités humaines ont rejeté dans l’atmosphère, mais la situation risque de changer”… En 2011, la concentration de CO2 a atteint 390 ppm, soit 40% de plus que ce qu’elle était à l’époque préindustrielle (280 ppm).

Concernant le Protoxyde d’azote (N2O), sa concentration dans l’atmosphère a elle aussi été record en 2011, avec un niveau supérieur de 120% à celui de l’ère préindustrielle. D’ici 100 ans, l’OMM estime que l’impact du N2O sur le climat “sera de 298 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone, à émissions égales”.

* Jean Gadrey, 68 ans, est Professeur émérite d’économie à l’Université Lille 1.
Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères).
S’y ajoutent En finir avec les inégalités (Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques).
Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.

Jean Gadrey

Jean Gadrey, né en 1943, est Professeur honoraire d’économie à l’Université Lille 1.
Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères).
S’y ajoutent En finir avec les inégalités (Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques), réédité en 2012 avec une postface originale.
Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.

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