Édition du 16 avril 2024

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Europe

Entrevue avec Michel Husson

Crise et solutions, la situation française

Propos recueillis par Narjasse KERBOUA

Quelle sortie de crise ? L’austérité à perpétuité ? N’y aurait–il pas d’alternative possible ? Michel Husson, économiste et membre du Conseil National de campagne du Front de gauche, viendra répondre à ces questions à l’occasion d’une conférence-débat intitulée Quelle(s) alternative( s) à l’austérité ? Ancien militant du Parti socialiste unifié, membre de la Ligue communiste révolutionnaire et en démissionne en 2006. Michel Husson, qui a également travaillé au Ministère de l’Industrie entre 1987 et 1989 est notamment connu pour ses travaux sur la politique de l’emploi. Il vient de publier, aux éditions La découverte, Le capitalisme en 10 leçons.

(tiré du site www.laprovence.com )

Vous êtes militant à Attac et signataire du manifeste des économistes atterrés. Pouvez-vous nous expliquer ce que signifie « économiste atterré » et que contient ce manifeste ? Quel est son but ?

« Les économistes regroupés autour de ce manifeste se sont baptisés ainsi parce qu’ils étaient atterrés par la généralisation des politiques d’austérité en Europe. Et il y a de quoi l’être, comme le montre l’exemple grec, où la dette est plus élevée après deux ans d’une austérité particulièrement brutale. Or celle- ci était supposée réduire le poids de la dette ; mais les coupes dans les dépenses publiques ont provoqué une récession qui a conduit à une chute encore plus forte des recettes publiques. Et la récession qui frappe aujourd’hui l’Italie ou l’Espagne, dans un contexte de stagnation économique de l’ensemble de l’économie européenne, souligne l’absurdité de ce type de politique. Le dernier livre des économistes atterrés, Changer d’économie ! propose les éléments d’une autre politique.

La véritable perspective de Sarkozy, c’est toujours plus d’austérité
Après l’intervention « multitélévisée » de Nicolas Sarkozy, que pensez-vous des solutions avancées par le président de la République pour remédier à la crise ?

Nous y avons réagi par une tribune dans Libération du 1er février, signée de syndicalistes et d’économistes qui soutiennent la candidature du Front de gauche. Nous y dénoncions « des mesures inefficaces et dangereuses » : inefficaces parce que les pertes de parts de marché de la France s’expliquent par bien d’autres raisons qu’un manque de compétitivité, que la TVA « sociale » ne suffirait d’ailleurs pas à rétablir. Elles sont, en outre, dangereuses parce que l’augmentation de TVA est de fait un nouveau plan de rigueur qui va rogner encore plus le pouvoir d’achat, et parce que les accords « compétitivité-emploi » ne créeront pas d’emploi mais représentent une véritable mise en cause du droit du travail. La véritable perspective de Sarkozy, c’est toujours plus d’austérité, et c’est une raison majeure pour tout faire pour qu’il soit battu.

Certains économistes alternatifs voient dans la crise une opportunité pour le patronat des multinationales de ramener les salariés du monde occidental (Amérique du Nord et Europe) au niveau des pays émergents. Qu’en pensez- vous ?

Ils ont raison, et cela vaut la peine de se reporter aux motifs avancés par Standard & Poor’s pour justifier la dégradation de la note de la France et de nombreux autres pays. L’agence de notation reconnaît que les politiques d’austérité ne peuvent fonctionner et insiste sur la nécessité de « réformes structurelles ». C’est bien ce qui se passe, et on assiste, aujourd’hui, à la mise en œuvre d’une thérapie de choc qui vise à détruire des pans entiers des modèles sociaux : retraites, système de santé, indemnisation du chômage, salaire minimum, etc.

Quelle(s) alternative(s) économiques proposeriez-vous, vous Michel Husson, face à l’austérité ?

D’abord un préalable : tant qu’on doit faire appel aux marchés pour financer le déficit, on est condamné à ne prendre que des mesures qui leur conviennent. Aucune politique alternative n’est possible si on ne se libère pas de cette dépendance. On peut le faire par un emprunt forcé auprès des grandes fortunes, par l’instauration de réserves obligatoires des banques, ou encore encore par la réquisition de la Banque de France pour financer le déficit. Ensuite, la question-clé est de changer la répartition des revenus : l’une des causes principales de la crise est, en effet, la captation des richesses par les actionnaires. Il faut donc faire le chemin inverse : augmenter les salaires, créer des emplois par réduction du temps de travail et augmenter les ressources de la protection sociale. La réforme de la fiscalité doit accompagner ce mouvement et permettre aussi de créer des emplois socialement et écologiquement utiles, notamment par l’extension des services publics.

Le retour ou le recours au protectionnisme est de plus en plus évoqué. Est-ce pour vous une hérésie ou une possibilité à ne pas négliger ?

Toute expérience de transformation sociale doit être protégée, par exemple par le contrôle des capitaux. En revanche, le protectionnisme commercial ne peut être qu’une réponse partielle ou provisoire et qui ne correspond pas aux causes de la crise. En Europe, il ouvrirait une guerre commerciale alors qu’il faut des politiques coordonnées. Par rapport aux pays émergents, les écarts de prix ne pourraient être comblés par des taxes sur les importations. Mieux vaudrait envisager groupes qui délocalisent et la recherche d’une coopération maîtrisée. Quant à la réindustrialisation, elle ne peut se faire qu’à partir d’une nouvelle spécialisation, fondée sur les investissements « verts « d’où l’importance de la planification écologique.

Quelle est votre position par rapport à la monnaie unique ? Faut-il remettre en question l’euro ?

La crise a bien montré que la construction de l’euro était bancale. L’argument de la sortie de l’euro, c’est que l’on pourrait alors dévaluer pour gagner en compétitivité. Mais la contrepartie serait un alourdissement de la dette détenue aux deux tiers par des non-résidents (donc en euros) et l’exposition de la nouvelle monnaie à la spéculation. La vraie alternative passe par de nouvelles fonctions pour la Banque centrale européenne, un budget européen, et des fonds d’harmonisation et de développement. C’est la direction vers pas en attendant l’avènement d’une « bonne » Europe, mais en prenant de manière unilatérale des mesures en ce sens, dont on proposerait l’extension à l’ensemble de l’Europe.

Quel avenir pour l’économie de marché ?

Le capitalisme est dans une sorte d’impasse. D’un côté, le retour à un capitalisme régulé, celui qui existait jusqu’au milieu des années 1970, est hors de portée. De l’autre côté, il est impossible de revenir au capitalisme néolibéral, qui était une fuite en avant dans l’endettement et la régression sociale. C’est pourtant la voie choisie par les classes dominantes, qui conduit à la stagnation économique et à une véritable dislocation des sociétés. Dans ces conditions, la remise en cause de ce capitalisme néolibéral devient une remise en cause du système capitaliste lui-même, au profit de la nécessaire priorité, tout simplement humaine, à la satisfaction des besoins sociaux. »

Michel Husson

Économiste, administrateur de l’ INSEE, chercheur à l’ IRES (Institut de recherches économiques et sociales), membre de la Fondation Copernic. Auteur entre autres, de "Les casseurs de l’ État social", La Découverte.

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