Édition du 16 avril 2024

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Économie

Le capitalisme remis en question

Des fissures avant l’écroulement ?

Ce n’est pas tous les jours que les sondages viennent appuyer ceux qui pensent qu’un autre monde est possible. Pourtant, cela semble être le cas du dernier sondage commandé par la BBC à l’occasion du 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin. [1] Les 29 000 personnes interrogées dans le monde montrent que le système capitaliste est loin de bénéficier du soutien de la population.

La nécessité d’un modèle économique différent

Seulement 11% des personnes interrogées jugent que le « capitalisme de marché [« free market capitalism »] fonctionne bien et que plus de régulation le rendrait moins efficace ». Cette moyenne internationale ne reflète pas les résultats contrastés entre différents pays, mais elle a le mérite de souligner le faible appui au statut quo économique.

De même, la majorité des sondés (51%) pense que le capitalisme peut être réformé par davantage de régulation. Les problèmes générés par l’économie pourraient selon cette opinion être résolus par les pouvoirs publics. D’autre part, une minorité significative (23%) ne croit pas en l’efficacité des réformes pour corriger les travers du capital. Les problèmes de l’économie de marché capitaliste seraient, selon cette dernière tranche de l’opinion, inhérents à ce système. D’où « la nécessité d’un système économique différent ». 15% des sondés n’ont pas exprimé d’opinion précise quant au capitalisme de marché. Enfin, deux personnes interrogées sur trois jugent que les Etats doivent jouer un plus grand rôle dans la redistribution des richesses.

Quelles que soient les limites de ces données, elles mettent en cause le modèle néolibéral mis en place à marche forcée depuis trente ans par les dominants. L’hégémonie des idées néolibérales – privatisations, austérité budgétaire, libre-échange, dérégulation – semble donc plus fragile qu’on pourrait le croire. D’autre part, le fait que 23% des sondés croient en la nécessité de remplacer le capitalisme par un système alternatif est lourd de sens. Après des années 1990 marquées par la « fin de l’histoire » de Francis Fukuyama, il devient clair aujourd’hui que la recherche d’une alternative au système capitaliste ne fait pas partie du passé.

Ce que ne révèle pas ce sondage

Pour autant, ce sondage présente des limites importantes. Comme toute enquête d’opinion, la formulation des questions posées induisent en partie les réponses recueillies. Voici le questionnaire du sondage :

La troisième option semble peu crédible car elle affirme que l’économie capitaliste fonctionne bien alors que le monde traverse une crise économique historique. La première réponse est également moins attirante que la deuxième car elle implique dans sa deuxième partie un saut dans l’inconnu : « nous avons besoin d’un système économique différent ». La deuxième option quant à elle semble beaucoup plus consensuelle car elle est assez vague pour être adaptée au plus grand nombre de répondants.

D’autre part, le contexte de la crise économique semble être déterminant. Si l’on avait posé la même question à la population des pays développés en 2006 alors que la bulle immobilière atteignait son pic, il est probable que les critiques du capitalisme aient été moins fréquentes. Puis certains rétorqueront, avec raison, que la crise est une partie intégrante du système. D’où cette autre limite importante des sondages et de leur traitement médiatique : ils ne saisissent pas les caractères contradictoires de l’opinion. Comment interpréter la réponse de ceux qui pensent que des réformes et davantage de régulation peuvent corriger les défauts de l’économie capitaliste ? Que signifient les mots « réformes » et « régulation » ? Ces mots se retrouvent autant dans la bouche d’un Gordon Brown que dans celle d’Oskar Lafontaine (Die Linke). Il est également difficile d’avoir une idée claire de la complexité de l’opinion publique. Parmi le 23% qui croit en la nécessité d’un système économique alternatif par exemple, combien sont-ils à tirer les conclusions politiques nécessaires ?

Enfin, les données de ce sondage sont incapables de montrer les possibilités collectives que renferme le présent. Les idées dominantes d’une époque sont la plupart du temps celles de la classe dominante expliquaient Marx et Engels au milieu du XIXe siècle. Or, à certains moments, l’emprise de l’idéologie dominante s’affaiblit, comme en 1989-91 en Europe de l’Est, et ce qui paraissait impossible hier devient désormais à portée de main et réalisable, transformant d’un coup idéalistes et utopistes en porte-paroles du mouvement naissant. Seuls les moments de bouleversement social permettent aux dominés de refaire le monde à leur goût, en dépit de tous les déterminants sociaux qui pèsent sur leurs épaules. Ces changements brusques de la psychologie politique collective échappent aux enquêtes de l’opinion, car elles enregistrent le monde ancien qui meurt sans pouvoir toucher du doigt le nouveau qui peine à naître.

Mots-clés : Économie

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