Édition du 23 avril 2024

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Nucléaire

Fukushima-Daiichi, le pire n’est pas encore exclu

À la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi le danger persiste alors que la pollution s’étend. Le pire n’est pas encore exclu. Le ministère de la Santé a rendu publics, le 17 mars, les valeurs provisoires de référence des niveaux admissibles de radioactivité dans l’eau potable, les produits agricoles, la viande et le poisson.

À la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi le danger persiste alors que la pollution s’étend. Le pire n’est pas encore exclu. Le ministère de la Santé a rendu publics, le 17 mars, les valeurs provisoires de référence des niveaux admissibles de radioactivité dans l’eau potable, les produits agricoles, la viande et le poisson. Il a exigé que les gouvernements locaux arrêtent l’expédition et la distribution de la nourriture dont la radioactivité dépasse ces valeurs. Le lendemain, après des mesures des gouvernements locaux, certains produits, y compris le lait cru provenant préfecture de Fukushima, les épinards des préfectures d’Ibaraki, de Tochigi et de Gunma et les chrysanthèmes de la préfecture de Chiba, se sont révélés contenir l’iode radioactif au-delà des niveaux acceptables.

Selon les données sur le niveau de radioactivité de l’environnement dans chaque préfecture, disponibles sur le site web du ministère de l’Éducation, dans plusieurs villes de la région de Kanto (Tokyo et les préfectures environnantes), le 15 mars, la radioactivité a été environ 40 fois plus élevé que d’habitude. Considérant les précipitations et la direction des vents ce jour-là, les « nuages de radioactifs » semblent avoir tourbillonné dans l’atmosphère de la région métropolitaine et s’être propagées à l’ensemble de la région. Si l’on ne sait encore si le pire scénario se produira, il est en tout cas déjà clair qu’une grave contamination a touché des vastes zones et qu’elle continue à s’étendre.

Danger de la perte d’eau de refroidissement

Comme les systèmes de secours d’alimentation électrique de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi ont été emportés par le tsunami, le refroidissement des réacteurs dépend des camions à canons à eau et des véhicules de pompiers mobilisés pour envoyer de l’eau de mer dans les réacteurs. Des efforts ont été faits pour rétablir le fonctionnement normal du système en l’alimentant par une vieille ligne à haute tension, employée lors de la construction de l’usine. Toutefois, en raison des dommages causés par le séisme et le tsunami, on ne sait toujours pas combien de pompes et autres équipements pourront fonctionner.

En outre, une situation « inattendue » a été révélé le 14 mars dans l’unité n° 4 de la centrale nucléaire de Fukushima, considérée comme stabilisée parce qu’elle été hors service au moment du tremblement de terre à cause d’une opération d’entretien régulier et que son carburant avait été extrait du réacteur. La température dans la piscine de combustible utilisé à l’étage supérieur du bâtiment a atteint 84°C, ce qui accroît l’évaporation. Ceci pourrait conduire, à son tour, à la fusion du combustible et, dans le pire des cas, déclencher une réaction nucléaire en chaîne.

Afin de remplir cette piscine de combustible, des canons à eau de la police anti-émeute, des hélicoptères militaires, et des canons à eau à haute pression fournis par les forces militaires américaines ont été mobilisés. À la suite de l’explosion d’hydrogène dans la partie supérieure du bâtiment du réacteur n° 3, les débris contenant des éléments radioactifs ont été dispersés, limitant ainsi l’espace disponible pour les canons à eau. L’armée semble avoir pris le contrôle de l’opération d’arrosage. Dans la nuit du 20 mars, deux chars équipés pour la protection contre la radioactivité ont quitté une base militaire dans la préfecture de Shizuoka, et devrait arriver à Fukushima le lendemain matin et pour collecter ces débris.

On craint que la grande quantité de matières radioactives contenues dans les décombres et les débris soit délavés par la pluie et que les éléments radioactifs ne polluent l’océan Pacifique. Des mesures doivent être prises pour empêcher la propagation de la contamination, y compris par la solidification des décombres et des débris dans du béton.

Escalade de « niveau 5 »

Le 18 mars, l’Agence de sûreté nucléaire et industrielle (NISA) a annoncé que l’évaluation préliminaire des risques passait au « niveau 5 » (accidents avec impact considérable) de l’échelle internationale pour les réacteurs n° 1, n° 2 et n° 3. Il s’agit du niveau de l’accident de Three Mile Island. On ne sait pas en ce moment si la catastrophe pourrait dégénérer au « niveau 7 », le niveau de Tchernobyl, ou non. A en juger par l’évolution de la situation et l’état actuel des efforts, à quel genre de « pire situation » doit-on se préparer ?

Les réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi se sont automatiquement arrêtés, avec insertion des barres de commande dans le cœur des réacteurs, immédiatement après le tremblement de terre. La perte de la puissance du système de refroidissement d’urgence à cause du tsunami s’est produite environ une heure plus tard. La « première paroi » du combustible, dont le point de fusion est d’environ 2800°C, a gonflé à cause de la chaleur résiduelle. Ce gonflement a provoqué l’effondrement de la « seconde paroi » — les gaines de zirconium dont le point de fusion est d’environ 1850°C — et la libération des retombées radioactives sous forme de gaz. Quant à la « troisième paroi » de la cuve sous pression et à la « quatrième paroi » de la cuve de confinement, il y avait danger de l’explosion du fait d’une surchauffe : la vapeur a été libéré à l’extérieur afin de réduire la pression à l’intérieur. Enfin, la « cinquième paroi » c’est-à-dire les murs extérieurs de l’immeuble, ils ont été détruits par l’explosion d’hydrogène et ne peuvent plus retenir les éléments radioactifs.

Que se passera-t-il, si les efforts en cours échouaient ? Si l’injection continuelle d’eau devait être perturbée et si l’eau de refroidissement continuait à s’évaporer, la température du cœur du réacteur pourrait augmenter jusqu’au point de fusion de zirconium. Du combustible pourrait alors percer le fond de la cuve sous pression ou celui de la piscine, provoquant une réaction nucléaire en chaîne ou une explosion de vapeur.

En tant que promoteurs d’un monde sans nucléaire, nous espérons sincèrement le succès des efforts en cours pour reprendre le contrôle de la situation. Tant que les efforts de refroidissement se poursuivent, que les travailleurs risquent l’exposition aux rayonnements et qu’il y a une possibilité de raccordement à la haute tension, nous ne voulons pas croire que la détérioration de la situation au niveau de Tchernobyl soit inévitable. Mais nous devons comprendre que, dans le meilleur des cas, il faudra plusieurs semaines ou plusieurs mois avant que la diminution de la chaleur écarte le risque de la fusion du combustible nucléaire ou de réaction en chaîne. Il faudra également beaucoup de temps pour déterminer la méthode et la procédure de démantèlement des réacteurs. Pendant ce temps, la contamination nucléaire s’aggrave et s’étend chaque jour.

« Héros » sacrifiés

Les médias d’outre-mer parlent de « 50 héros de Fukushima », ces employés de Tepco et de ses sous-traitants qui sont obligés de se sacrifier. Les soldats et les pompiers de Tokyo sont également traités comme des héros.

Le premier cas d’accident du travail, reconnu en tant que « mort à la suite de l’exposition à la radioactivité » en 1991, a été celui d’un travailleur la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Sa conception obsolète, une forte dépendance de la sous-traitance, ainsi que le retard de sa mise hors service sont les causes directes de la catastrophe de Fukushima.

Comme l’édition internet japonaise du Wall Street Journal l’a souligné, Tepco a hésité à injecter l’eau de mer à l’étape initiale, priorisant la protection de son capital. L’article mentionnait le commentaire d’un fonctionnaire du gouvernement qui a critiqué l’irrationalité et de l’irresponsabilité de la réaction initiale de Tepco à l’accident.

« Nous sommes fiers de soldats qui sont prêts à se sacrifier » a dit le Premier ministre, Naoto Kan, lors d’une cérémonie de l’Académie de défense nationale, le 20 mars. Il n’a pas mentionné les responsables du sacrifice qu’il demandait, car ce sont ceux qui ont ignoré le sort des habitants en décidant de prolonger la durée de service de vieux réacteurs qui ont provoqué cette catastrophe. Et ce sont les mêmes qui forcent aujourd’hui les soldats à se sacrifier.

Traiter les soldats et les pompiers comme des héros ne vise qu’à masquer le fait qu’ils sont privés de libertés et du droit de se syndiquer. Nous devons exiger des droits pour les soldats et les pompiers à s’organiser ainsi que celui de contacter librement le monde extérieur.

Pour un changement fondamental dans la politique nucléaire

La catastrophe nucléaire en cours a imposé quelques changements en ce qui concerne les centrales nucléaires actuellement en construction ou en projet. Le Gouverneur de la préfecture de Yamaguchi, dans la partie occidentale du pays, a demandé Chugoku Electric Power Company de suspendre les travaux de la nouvelle centrale nucléaire de Kaminoseki. Toutefois, après une courte pause, Chugoku Electric Power Company a relancé les travaux. Selon Tepco, la construction de l’unité n° 1 de la centrale nucléaire Higashidoori dans la préfecture d’Aomori, dans la partie nord du pays, va être suspendue. Dans la préfecture de Fukushima, les demandes de déclassement de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi se multiplient.

Le maire de la ville Kooriyama ainsi que d’autres exigent son démantèlement comme condition préalable à toute délibération. Lors d’une conférence de presse, le secrétaire général du gouvernement, Edano, a catégoriquement nié la possibilité de remise en marche de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, mais il a précisé que ce n’était pas une décision du gouvernement. Le Parti libéral démocrate a également répondu par la négative au sujet de la possibilité de poursuivre la politique actuelle. Ces changements indiquent-ils la possibilité d’une avancée vers un changement fondamental dans la politique nucléaire ?

Aux États-Unis, après l’accident de Three Mile Island, la construction de nouvelles centrales nucléaires fut arrêtée et l’industrie nucléaire s’est concentrée sur l’entretien des centrales existantes en vue d’accroître leur utilisation et de prolonger leur durée. Au contraire, après la catastrophe de Tchernobyl et l’effondrement de l’Union soviétique, le gouvernement ukrainien a fait construire de nouveaux réacteurs nucléaires en vue d’atténuer les pénuries d’énergie, alors que la Russie exporte activement les réacteurs nucléaires, en concurrence avec le Japon, la Corée et la France.

Nous ne pouvons pas exclure la possibilité que le Japon « revienne en arrière », comme l’ont fait l’Ukraine et la Russie. Le gouvernement a fait activement la promotion de centrales nucléaires à l’exportation. Il ose encore insister sur le caractère indispensable et sur la sécurité des centrales nucléaires.

Depuis 1988, le mouvement anti-nucléaire japonais a perdu de son dynamisme. Environ deux ans après la catastrophe de Tchernobyl le nombre de participants aux campagnes a diminué. A l’exception des organisations locales, qui ont résisté contre la construction ou l’exploitation des installations nucléaires dans leurs régions respectives, nombre de militant(e)s ont quitté le mouvement en raison de désaccords entre les groupes ou pour d’autres raisons. Cette situation a conduit l’apparition d’une sorte de groupes d’activistes spécialisés.

A la suite de la catastrophe à Fukushima, les gens ont commencé à écouter ce que ces quelques petits groupes ont a dire. Les militants qui se sont spécialisés sur diverses questions mettent maintenant l’accent sur la mobilisation pour imposer un changement de politique nucléaire. Il est temps de redynamiser le mouvement, avec des objectifs et des revendications renouvelées, pour atteindre le plus grand nombre afin d’imposer un changement fondamental de la politique nucléaire et d’aller de l’avant pour un avenir sans énergie nucléaire. Nous devons élargir et renforcer notre réseau.

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