Édition du 16 avril 2024

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International

Slovénie

Imposante mobilisation contre le capitalisme libéral périphérique

Contre l’inflation et pour le pouvoir d’achat, les syndicats slovènes ont organisé le samedi 17 novembre 2007 une manifestation à Ljubljana, capitale de la Slovénie. 70 000 travailleurs ont manifesté, chiffre à mettre en relation avec la population du pays (2 millions en 2005) et celle de sa capitale (280 000).

Plus de 400 autocars ont amené les participants de toutes les régions du pays ainsi que d’importantes délégations de Croatie, de Macédoine, de Voïvodine et de Serbie ainsi que de Trieste, le port actuellement italien par lequel passe une bonne partie des échanges commerciaux slovènes.
Depuis l’entrée de la Slovénie dans le Fonds Monétaire Européen, le taux d’inflation s’est littéralement emballé pour atteindre 5,8 % en novembre 2007 (2,5 % en 2005 et 2,8 % en 2006).

En 2004 le pouvoir d’achat moyen de la population n’atteignait que 79 % de la moyenne européenne. Deux tiers des Slovènes font partie de la catégorie de bas revenus. 12,1 % des citoyens vivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins de 440 euros de revenu mensuel. Enfin on compte 19 202 salariés payés en dessous du salaire minimum mensuel de 538,53 euros et bénéficiant de ce fait d’une subvention de l’État pour atteindre ce minimum.

La population, qui attendait une amélioration de son niveau de vie à la suite de l’intégration de la Slovénie dans l’Union européenne, est très déçue et mécontente. D’autant qu’il n’échappe à personne qu’une minorité de nouveaux riches est en train de profiter de la situation. Le Bureau de Statistique de la République de Slovénie vient de rendre public des chiffres très parlants : alors que les rémunérations ont augmenté en moyenne annuelle de 5,2 % au premier semestre 2007, l’augmentation des profits a été de 22 % !

Ces profits servent d’abord à la spéculation boursière et immobilière et à l’augmentation de la consommation de luxe. Dans le domaine de la distribution, trois grandes entreprises contrôlent 90 % du marché. Il s’agit des firmes Mercator, TUS et SPAR. Mais l’idée de réglementer les marges bénéficiaires ne fait pas partie de l’imaginaire du gouvernement néolibéral et cela bien que de nombreux indices indiquent qu’il existe des accords entre ces distributeurs pour maintenir des prix élevés. On note enfin une augmentation régulière de la dette extérieure, tant critiquée en ce qui concerne l’ancienne Yougoslavie, mais tenue sous silence dans la Slovénie actuelle.

Le mécontentement s’est déjà traduit par des mouvements sociaux dès avant le 17 novembre. Des douaniers ont déjà fait la grève du zèle, les chauffeurs de la compagnie d’autobus Veolia ont fait des arrêts de travail ainsi que des travailleurs d’une entreprise d’abrasifs.

La principale organisation syndicale, l’Association des Syndicats Libres de Slovénie (ZSSS), a réussi à mettre sur pied une coalition de pratiquement toutes les organisations syndicales du pays pour combattre les effets de l’inflation et revendiquer une adaptation des salaires au coût de la vie ainsi que des augmentations de rémunérations qui tiennent compte de l’augmentation de la productivité du travail.

Dusan Semolic, le responsable du syndicat ZSSS et porte-parole du front uni syndical nous disait : « Il est important que nous nous battions au sein de l’Union européenne pour une harmonisation vers le haut de tous les travailleurs, peu importe si nous sommes en Slovénie ou ailleurs. »

Ce n’est pas le premier mouvement populaire que les syndicats slovènes ont organisé. Déjà en 2005, sous la neige, ces derniers avaient réussi à rassembler 40 000 personnes à Ljubljana contre un projet du gouvernement visant à faire passer la TVA sur les produits de première nécessité de 8,5 % à 20 % et d’instaurer un taux unique de l’impôt sur le revenu de 20 %, pour favoriser les revenus du capital. En fin de compte, le gouvernement ne parla plus de ses intentions et le ministre initiateur des réformes a dû démissionner.

Le 17 novembre 2007, Ljubljana fut complètement bloquée par une immense foule de 70 000 travailleurs qui ont exprimé leur rejet du capitalisme, du néolibéralisme et de leurs effets pervers.

Le discours de Dusan Semolic à la tribune était passionné et menaçant : « Si nous avons déjà des prix européens, des rémunérations européennes pour les managers, du profit européen et une charge de travail intensive européenne, nous devons aussi recevoir des salaires européens. Il n’est pas vrai qu’il n’y a pas d’argent pour augmenter les salaires des travailleurs. »

Dusan Semolic avertit les nouveaux riches : « Gentlemen, tandis que vous recevez des rémunérations énormes, tandis que vous recevez de l’argent pour acheter des entreprises, tandis que l’État dépense de l’argent pour tout et n’importe quoi, il doit y avoir assez d’argent pour les salaires des travailleurs. Vous volez l’argent des travailleurs. » Et il menaçait d’organiser la grève générale : « Nous, les syndicats slovènes, nous allons nous rebeller par tous les moyens à notre dispositions contre toute augmentation de la pauvreté. S’il n’y a pas de progrès à la table de négociation, nous ferons grève et nous irons vers la grève générale. Que les gouvernants sachent bien qu’ils dépendent du travail des travailleuses et des travailleurs et qu’ils sont allés trop loin dans l’exploitation des travailleuses et des travailleurs. Cette manifestation est un dernier avertissement pour les patrons. »

Pour sa part Mateja Kozuh Novak, responsable de l’association des retraités (250 000 membres), expliquait : « Nous sommes la génération que a créé au cours de la seconde moitié du XXème siècle des niveaux élevés de l’État social. Nous ne pouvons pas permettre qu’une petite minorité qui s’est vite enrichie sur notre dos à tous, diminue le niveau de l’État social. Nous ne leurs permettrons pas de privatiser le secteur public. »

Interrogé à cette occasion, Rastko Mocnik, sociologue et professeur à l’université de Ljubjana, expliquait : « 70 000 manifestants le 17 novembre, ce fut le double de ce qui était attendu. En plus, les syndicats ont réussi à établir un front uni avec une plate-forme unique de revendications. C’est très important. Il y a plusieurs raisons qui expliquent la force du mouvement syndical en Slovénie. Les rapports de production ont brutalement changé quand il y a eu la transition d’un État social périphérique — je veux dire une sorte de socialisme — avec un niveau social relativement solide pour la masse des travailleurs et avec peu de différenciation sociale, vers un capitalisme périphérique du type libéral — je veux dire un capitalisme brutal. Cela détruit les acquis des travailleurs et conduit à des relations du travail d’un type nouveau, sans sécurité sociale et avec une intense exploitation. La journée de travail par exemple est beaucoup plus longue, parce que les gens travaillent souvent jusqu’à 12 heures par jour.

« La deuxième raison de la force des syndicats, c’est que les travailleurs se souviennent toujours vivement de l’autogestion. On peut discuter sans fin sur les faits et les méfaits de l’autogestion, mais du point de vue institutionnel, ce système donnait aux travailleurs un espace où ils pouvaient s’exprimer et formuler leurs revendications. En même temps, ils étaient aussi responsables pour les décisions prises.

« Ce qui a le plus choqué les gens dans cette transition, c’est l’augmentation de l’injustice sociale et la destruction de l’État social. Le socialisme en Yougoslavie était le résultat d’une révolution socialiste authentique et la révolution essayait d’établir de nouvelles voies de démocratie, plus spécifiquement la démocratie participative directe dans l’industrie, dans les entreprises et dans le service public. Voler ces acquis, qui sont le résultat de réelles batailles, est un grand choc pour la majorité de la population.

Tactiquement, tous les syndicats sont présents dans la concertation sociale avec les demandes syndicales classiques. Mais du point de vue stratégique, la satisfaction de ces revendications nécessite de changer ce capitalisme qui a été imposé par la force en Slovénie. Il n’est pas possible de satisfaire les revendications syndicales dans le cadre du capitalisme libéral périphérique. C’est clair que la défense de l’État social, celle de l’enseignement pour tout le monde, des soins de santé pour tout le monde, des retraites justes pour tout le monde, cela implique un changement du système capitaliste récent en Slovénie. »

Les organisations syndicales ont entamé un premier round de négociation le 19 novembre et ne se sont vus offrir qu’une augmentation de 1 %, tout à fait insuffisante pour rencontrer les aspirations des travailleurs. Une nouvelle rencontre était annoncée pour le 3 décembre mais les pronostics sont décevants. Des pourparlers ont eu lieu dans le secteur public et là aussi et il ne semble pas qu’on puisse escompter des résultats satisfaisants.

Si ces prévisions pessimistes devaient se confirmer, il est possible que la Slovénie connaîtra un mouvement de grève générale fin janvier, début février 2008. C’est ce qu’avait annoncé Dusan Semolic, le président de la principale confédération syndicale slovène à la manifestation du 17 novembre 2007.


* Lucien Perpette, syndicaliste retraité, militant de longue date de la section belge de la IVe Internationale, est le correspondant d’Inprecor en ex-Yougoslavie. Chris Den Hond, membre de la direction de la section belge de la IVe Internationale, est journaliste.

Mots-clés : International
Chris Den Hond

Vidéo-journaliste et auteur de plusieurs reportages, notamment sur les Kurdes, les réfugiés palestiniens et Gaza.

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