Édition du 23 avril 2024

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Société

Islamophobie : réflexions sur un néo-racisme québécois

Malgré la diffusion de textes officiels antiracistes et de vastes campagnes de sensibilisation, une nouvelle forme de racisme est en émergence au Québec : l’islamophobie. À l’appel du Centre Justice et foi (CJF), citoyens et spécialistes de la question se sont réunis le 16 mars dernier dans le cadre d’une journée d’étude visant à comprendre les causes des discriminations vécues et à proposer des pistes de solution.

Le Québec a beau être la terre d’accueil de milliers d’immigrants chaque année, il n’échappe pas à certaines manifestations racistes dont l’islamophobie, phénomène que l’on observe aussi notamment aux Pays-Bas et en France.

Incompréhension, peur, manipulation des images par les médias : plusieurs raisons peuvent expliquer la montée de cette crainte de la minorité musulmane au Québec.

Une hostilité à l’égard des comportements religieux

Pour certains, dont le professeur au département de sociologie de l’UQÀM Gilles Bourque, c’est possiblement la peur de voir le projet de nation menacé qu’est apparue, chez les Québécois, une certaine hostilité envers tout signe distinctif, et donc religieux.

Les années 1960 semblent avoir été déterminantes dans l’apparition d’une telle hostilité, puisqu’on assiste pour la première fois au rejet du discours nationaliste canadien français qui avait auparavant préséance. Lors de cette période, la religion a été dépouillée de son importance, elle qui avait jusqu’alors été un élément fondamental du discours nationaliste. « Dans ces années, l’État-providence se met en place comme instrument d’approfondissement de la modernité. On rejette la religion, l’Église », a-t-il expliqué dans son allocution lors de la journée d’étude organisée par le CJF. « Cette nouvelle forme d’État devient un lieu de luttes pour les droits sociaux et pour l’égalité », a-t-il poursuivi.

Le nouveau projet de nation ne s’appuierait donc plus, depuis cette époque, sur une identité religieuse. C’est pourquoi M. Bourque a conclu qu’au final, il est probable que beaucoup des critiques actuellement énoncées n’attaquent pas directement l’Islam. Elles s’en prendraient plutôt aux manifestations religieuses en tant que telles, puisqu’elles seraient souvent perçues comme étant « ennemies » de la modernité.

Des fantasmes autour du lointain

Les discours les plus craintifs sont souvent alimentés par la peur que certains événements qui se produisent à l’international atteignent le Québec. Beaucoup ont évoqué les violences rapportées lors des révolutions du printemps arabe, ou encore celles plus récentes qui ont eu lieu suite à la diffusion du film Innocence of Muslims.

D’autres mentionnent plutôt la polémique soulevée en 2005 par la demande faite aux tribunaux ontariens d’appliquer un type d’arbitrage religieux – que les médias ont appelé la « crise de la charia » – pour insinuer que l’Islam menace le système politique canadien.

Enfin, nombreux sont ceux qui prétendent que l’élection de partis islamistes en Égypte et en Tunisie est le témoin et l’annonce d’une islamisation galopante du monde.

Toutefois, pour Mouloud Idir, politologue et responsable du secteur Vivre Ensemble au CJF, cet argument n’est pas viable. Selon lui, il n’y a pas d’islamisation du monde.

Au contraire, il affirme qu’on observe, en Égypte et en Tunisie, une sorte de désaffection de la politique. Les partis islamistes ne seraient pas aussi populaires qu’on le croirait. On peut le constater, selon lui, en comparant le taux de participation de 35% au référendum sur la Constitution avec la participation aux élections précédentes qui s’élevait à 50%. « Un tel taux me pousse à croire que les islamistes ont fait leur plein, et que la majorité de l’électorat ne leur est pas acquise », a expliqué M. Idir. « Si les islamistes sont majoritaires pour l’instant, ils ne sont pas aussi dominants qu’on pourrait le croire », a-t-il conclu.

La lentille grossissante des médias occidentaux

Il semble que les médias aient un rôle important à jouer dans l’alimentation de la méfiance qu’entretient une partie de la population à l’égard de l’islam. C’est du moins ce qu’a affirmé le journaliste et chroniqueur au Devoir, Jean-Claude Leclerc, dans le cadre de la journée d’étude sur l’islamophobie.

Selon le journaliste, l’Occident ayant perdu son principal ennemi après la chute du communisme, un « ennemi de rechange » a dû être trouvé. « N’ayant plus les communistes comme ennemis, on a trouvé un certain Ben Laden », a avancé M. Leclerc.

Avoir un « ennemi » permet de justifier plus facilement l’adoption de nouvelles politiques, notamment en ce qui concerne la guerre. Si la population croit qu’il est justifié d’adopter certaines politiques plus agressives, c’est notamment grâce aux images manipulées par les médias, croit le journaliste.

Ce sont aussi ces informations qui « accrochent » les consommateurs et qui font vendre l’information. C’est pourquoi M. Leclerc pense qu’une piste de solution serait de faire place à un plus grand professionnalisme journalistique plutôt que d’accorder la priorité à l’appétit financier des grands médias, qui contribue à diminuer la qualité de l’information. Le fait d’avoir des médias d’information plus neutres diminuerait certainement la peur des ennemis fabriqués.

Vaincre l’islamophobie par l’éducation et l’ouverture à l’autre

Parmi les pistes de solutions proposées lors de la journée d’étude du CJF, on trouve entre autres l’introduction de journées éducatives, l’accès universel aux cours d’éthique et culture religieuse, ainsi que la création de groupes de discussion.

En un sens, cette journée d’étude a aussi participé à élaborer une solution puisqu’elle a permis aux participants de démystifier le problème de l’islamophobie en étudiant ses causes et en éclairant certains aspects. Elle a toutefois aussi mis en lumière un problème relativement récurrent : il n’y avait pas de musulmans à la table des intervenants. La sociologue Valérie Amiraux l’a d’ailleurs fait remarquer dans son discours de clôture, visiblement émue. « Au fond, nous avons parlé de nous-mêmes, pas des racialisés eux-mêmes », a-t-elle déploré en proposant du même coup, d’inclure des musulmans dans une prochaine journée d’étude.

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