Édition du 26 mars 2024

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Histoire

L’anthropocène et la Dialectique de la nature d’Engels

Dans le chapitre « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme » de sa Dialectique de la nature, Friedrich Engels écrivait : « Chaque phénomène réagit sur l’autre et inversement » (1). Aujourd’hui, deux cents ans après sa naissance, Engels peut être vu comme un des fondateurs de la pensée écologique de notre temps.

Paru dans Inprecor No 670-680, nocembre-décembre 2020

Par John Bellamy Foster*

Si la théorie de Karl Marx de la fracture métabolique est aujourd’hui au cœur de l’écologie historico-matérialiste, il n’en reste pas moins vrai que les contributions d’Engels à notre compréhension du problème écologique global restent indispensables, enracinées dans ses propres enquêtes approfondies sur le métabolisme universel de la nature, qui ont renforcé et élargi l’analyse de Marx. Comme Paul Blackledge l’a déclaré dans une étude récente de la pensée d’Engels, sa conception d’une dialectique de la nature permet de comprendre les crises écologiques comme étant enracinées dans « la nature aliénée des relations sociales capitalistes ». (2) Par son caractère exhaustif et global, le travail d’Engels sur la dialectique de la nature et de la société peut aider à clarifier les défis majeurs auxquels l’humanité est confrontée à l’époque de l’anthropocène et de l’actuelle crise écologique planétaire.

La course à la ruine

On peut se faire une idée de l’importance contemporaine de la critique écologique d’Engels en commençant par la célèbre formule de Walter Benjamin de 1940, souvent citée par les écosocialistes, dans ses Paralipomènes et variantes de “Sur le concept d’histoire” : «  Marx avait dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale. Mais il se peut que les choses se présentent tout autrement. Il se peut que les révolutions soient l’acte, par l’humanité qui voyage dans ce train, de tirer les freins d’urgence ». Dans l’interprétation bien connue de Michael Löwy « l’image suggère que si l’humanité permet au train de suivre son chemin – déjà tracé par la structure d’acier des rails – et que rien ne retient sa progression, nous nous précipiterons directement dans le désastre, ou dans l’abîme  ». (3)

L’image dramatique de Benjamin d’une locomotive à la dérive et, par conséquent, de la nécessité de concevoir la révolution comme l’emploi d’un frein de secours, rappelle un passage similaire dans Anti-Dühring d’Engels, écrit à la fin des années 1870, un ouvrage que Benjamin, comme tous les socialistes à son époque, connaissait bien. Engels y indique que la classe capitaliste est une « classe sous la conduite de laquelle la société court à sa ruine, comme une locomotive dont le mécanicien n’a pas assez de force pour ouvrir la soupape de sûreté bloquée. » C’était précisément l’incapacité du capital à contrôler « les forces productives engendrées par le mode de production capitaliste moderne », y compris leurs effets destructeurs imposés à son environnement naturel et social, qui « poussent, comme sous l’effet d’une nécessité naturelle, toute la société bourgeoise au-devant de la ruine ou de la révolution ». Par conséquent, « si l’on ne veut pas voir toute la société moderne périr », Engels préconisait un nécessaire « bouleversement du mode de production et de répartition » (4).

La métaphore d’Engels diffère légèrement de celle de Benjamin, avec l’objectif d’ouvrir la soupape de sécurité afin d’éviter une explosion de la chaudière – une cause assez courante d’accidents de train du milieu à la fin du XIXe siècle (5). Si le système peut être perçu comme une « course à la ruine », la révolution consiste moins à simplement arrêter l’élan vers l’avant qu’à exercer un contrôle sur les forces incontrôlables de la production. En effet, l’argument écologique et économique d’Engels ne reposait pas, comme ce serait le cas aujourd’hui, sur la notion qu’il y a trop de production par rapport à la capacité de charge globale de la terre, perspective qui est à peine présente au moment où il écrit. Sa principale préoccupation écologique concernait la destruction aveugle provoquée par le capitalisme sur les environnements locaux et régionaux – même si elle s’étendait sur une aire de plus en plus mondiale. Les effets de cette destruction étaient visibles et évidents dans la pollution industrielle, la déforestation, la dégradation du sol et la détérioration générale des conditions de vie et d’environnement de la classe ouvrière (y compris les épidémies périodiques). Engels a également souligné la dévastation de l’environnement de régions entières (et de leurs climats), comme la destruction écologique qui a joué un si grand rôle dans la chute des civilisations anciennes, en raison principalement de la désertification, et les dommages environnementaux imposés par le colonialisme aux cultures et aux modes de production traditionnels (6). Comme Marx, Engels était profondément préoccupé par les « holocaustes victoriens » du colonialisme britannique (par exemple en Inde la famine due à la destruction de son écologie et de son infrastructure hydrologique), ainsi que par l’expropriation et l’extermination qui ont ruiné l’écologie et le peuple irlandais (7).

Il est vrai que, dans ces mêmes pages où la question « ruine ou révolution » est posée, on trouve le passage sans doute le plus productiviste (et, en ce sens, apparemment prométhéen) parmi toutes les œuvres de Marx et Engels (8) : Engels écrit dans l’Anti-Dühring que l’avènement du socialisme rendrait possible « un développement des forces productives ininterrompu, progressant à un rythme toujours plus rapide, et (…) un accroissement pratiquement sans bornes de la production elle-même  » (9). Cependant, dans le contexte dans lequel Engels écrivait, ce n’est pas vraiment contradictoire. L’idée qu’une société future, libérée de l’irrationalité de la production capitaliste, permettrait ce qui pouvait paraître comme un développement presque illimité de la production, selon les normes du XIXe siècle, était pratiquement universelle parmi les penseurs radicaux de l’époque. C’était un reflet naturel du niveau encore faible de développement matériel dans la plupart des pays du monde au moment de la révolution industrielle, face à l’échelle encore incommensurablement vaste de la terre elle-même. La production manufacturière mondiale allait augmenter « d’environ 1 730 fois » dans les cent cinquante annéess entre 1820 – lorsque Engels est né, au moment de la révolution industrielle du début du XIXe siècle – et 1970, lorsque le mouvement écologique moderne est né, au moment du premier Jour de la Terre. (10) De plus, dans l’analyse d’Engels (comme dans celle de Marx), la production n’a jamais été considérée comme une fin en soi, mais plutôt comme un simple moyen de créer une société plus libre et plus égalitaire, dans un processus de développement humain durable (11).

Deux siècles après sa naissance, la profondeur de la compréhension d’Engels de la nature systématique de la destruction par le capitalisme de l’environnement naturel et social, ainsi que son développement d’une perspective naturaliste dialectique, font de son œuvre, avec celle de Marx, un point de départ pour une critique écosocialiste révolutionnaire. Comme l’a noté l’anthropologue marxiste Eleanor Leacock, Engels, dans la Dialectique de la nature, a cherché à développer la base conceptuelle pour comprendre « l’interdépendance complète des relations sociales humaines et des relations humaines avec la nature » (12).

La revanche de la nature

Les problèmes écologiques sont le produit des relations entre le système et l’échelle. Dans l’analyse d’Engels, c’est le système qui est avant tout souligné. Dans son grand ouvrage, la Condition de la classe ouvrière en Angleterre, écrit alors qu’il avait tout juste la vingtaine, il s’est concentré sur les conditions environnementales et épidémiologiques destructrices de la révolution industrielle dans les grandes villes manufacturières, en particulier Manchester. Il a souligné les conditions écologiques horribles imposées aux travailleurs par le nouveau système industriel : pollution, contamination toxique, détérioration physique, épidémies périodiques, mauvaise nutrition et mortalité élevée de la classe ouvrière, toutes associées à une exploitation économique extrême. La Condition de la classe ouvrière en Angleterre reste unique de par sa puissante mise en accusation du « meurtre social » infligé par le capitalisme à la population au moment de la révolution industrielle (13). Marx, pour qui le livre d’Engels a été le point de départ de ses propres études épidémiologiques dans le Capital, l’a utilisé pour analyser les « épidémies périodiques » et la destruction du sol comme preuves de la rupture métabolique du capitalisme. En Allemagne, l’analyse par Engels de l’étiologie des maladies dans la Condition de la classe ouvrière en Angleterre a eu une influence bien au-delà des cercles socialistes. Rudolf Virchow, médecin pathologiste allemand, célèbre pour être l’auteur de Die Cellularpathologie (la pathologie cellulaire), s’est référé favorablement au livre d’Engels dans son propre travail pionnier en épidémiologie sociale (14).

Cette compréhension que les conditions matérielles de la société de classes capitaliste étaient environnementales autant qu’économiques, apparaît clairement dans toute l’œuvre d’Engels. De plus, en cherchant constamment à fusionner les perspectives matérialistes et dialectiques de la nature et de la société, Engels est finalement arrivé à la thèse que la « nature », dont les êtres humains sont une partie émergente, était la « preuve de la dialectique » – une affirmation qui serait mieux comprise aujourd’hui en disant que l’écologie est la preuve de la dialectique (15).

Dans la perspective évolutionniste-écologique développée par Engels, évidente dans ses œuvres de la maturité telles que Dialectique de la Nature et Anti-Dühring, ce qui distinguait les êtres humains des animaux non humains était le rôle du travail dans la transformation et la maîtrise de l’environnement, rendant possible pour « les hommes » de devenir dans la société future « des maîtres réels et conscients de la nature, parce que et en tant que maîtres de leur propre vie en société. » (16) Mais cette tendance à une plus grande maîtrise de la nature à certains égards, déjà démontrée sous le capitalisme, masquait aussi une tendance systématique à l’expansion des crises écologiques, puisque toute tentative de conquête de la nature au mépris des limites des lois naturelles ne pouvait que conduire, finalement, aux catastrophes écologiques. Au milieu du XIXe siècle cela se voyait, d’abord et avant tout, dans la dévastation écologique provoquée par le colonialisme : «  Les planteurs espagnols à Cuba qui incendièrent les forêts sur les pentes et trouvèrent dans la cendre assez d’engrais pour une génération d’arbres à café extrêmement rentables, que leur importait que, par la suite, les averses tropicales emportent la couche de terre superficielle désormais sans protection, ne laissant derrière elle que les rochers nus ? Vis-à-vis de la nature comme de la société, on ne considère principalement, dans le mode de production actuel, que le résultat le plus proche, le plus tangible ; et ensuite on s’étonne encore que les conséquences lointaines des actions visant à ce résultat immédiat soient tout autres, le plus souvent tout à fait opposées » (17).

Pour Engels, le point de départ d’une approche rationnelle de l’environnement se trouvait dans le célèbre aphorisme de Francis Bacon selon lequel « on ne peut vaincre la nature qu’en lui obéissant » – c’est-à-dire en découvrant et en se conformant à ses lois (18). Pourtant, selon Marx et Engels, le principe baconien, dans la mesure où il était appliqué dans la société bourgeoise, était avant tout traité comme une « ruse » pour conquérir la nature afin de la soumettre aux lois du capital d’accumulation et de concurrence (19). La science a été transformée en un simple appendice du profit, considérant les limites de la nature comme de simples barrières surmontables. L’application rationnelle de la science dans la société dans son ensemble ne serait possible que dans un système dans lequel les producteurs associés régulent la relation métabolique humaine à la nature sur une base non aliénée, conformément aux véritables besoins et potentiels humains et aux exigences de la reproduction à long terme. Cela indiquait la contradiction entre, d’une part, la dialectique propre de la science, qui reconnaissait de plus en plus notre « unité avec la nature » et le besoin associé de contrôle social, et, d’autre part, la pulsion myope du capitalisme vers l’accumulation à l’infini, avec son incontrôlabilité innée et sa négligence des conséquences environnementales (20).

C’est cette profonde perspective matérialiste critique qui a conduit Engels à souligner l’absurdité de la notion de conquête de la nature – comme si la nature était un territoire étranger à soumettre, et comme si l’humanité ne se trouvait pas au cœur même du métabolisme terrestre. Une telle tentative de conquête de la terre ne pouvait conduire qu’à ce qu’il appelait, métaphoriquement, la « revanche » de la nature, à mesure que divers seuils critiques (ou points de basculement) étaient franchis : « Cependant ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. Les gens qui, en Mésopotamie, en Grèce, en Asie Mineure et autres lieux essartaient les forêts pour gagner de la terre arable, étaient loin de s’attendre à jeter par là les bases de l’actuelle désolation de ces pays, en détruisant avec les forêts les centres d’accumulation et de conservation de l’humidité. Sur le versant sud des Alpes, les montagnards italiens qui saccageaient les forêts de sapins, conservées avec tant de sollicitude sur le versant nord, n’avaient pas idée qu’ils sapaient par là l’élevage de haute montagne sur leur territoire ; ils soupçonnaient moins encore que, par cette pratique, ils privaient d’eau leurs sources de montagne pendant la plus grande partie de l’année et que celles-ci, à la saison des pluies, allaient déverser sur la plaine des torrents d’autant plus furieux. (…) Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement.  » (21)

Grâce à une action consciente en accord avec la science rationnelle, les êtres humains étaient capables de s’élever dans une mesure considérable au-dessus de « l’influence d’effets imprévus, de forces incontrôlées », percevant « les conséquences plus ou moins lointaines de nos interventions dans le cours normal des choses de la nature ». Pourtant, même en ce qui concerne « des peuples les plus développés de notre temps », il se pourrait qu’une « disproportion gigantesque subsiste entre les buts fixés d’avance et les résultats obtenus », de sorte que « les effets inattendus prédominent » et que « les forces incontrôlées sont beaucoup plus puissantes que celles qui sont mises en œuvre suivant un plan. » Les économies de produits de base basées sur les classes n’ont atteint « que par exception le but voulu », produisant plus souvent le « résultat contraire ». Par conséquent, une approche rationnelle, scientifique et durable de la relation humaine à la nature et à la société sous le capitalisme était impossible (22).

Il est significatif que ce même point de vue général sur le capitalisme et l’écologie, articulé par Engels, soit repris quelques années plus tard par Ray Lankester, qui était le protégé de Charles Darwin et Thomas Huxley, proche ami de Marx (et qu’Engels connaissait) et le principal biologiste britannique de la génération après Darwin. Lankester était un socialiste fabien qui avait lu et avait été influencé par le Capital de Marx. Dans son livre de 1911, The Kingdom of Man (qui rassemble une conférence de 1905 à Oxford, « le Fils insurgé de la nature », son discours de 1906 en tant que président de la British Association for the Advancement of Science et son article « Les revanches de la nature » sur maladie du sommeil africaine), Lankester insiste sur le fait que la domination humaine croissante sur la terre donne lieu, de façon contradictoire, à un potentiel accru de catastrophes écologiques à l’échelle planétaire. Ainsi, dans le chapitre sur « Les revanches de la nature », il qualifie l’humanité de « perturbateur de la Nature » et donc responsable de maladies épidémiques périodiques menaçant l’humanité avec d’autres espèces. « Il semble être une opinion légitime », écrit Lankester, « que toute maladie dont les animaux [y compris l’animal humain] (et probablement les plantes aussi) sont responsables, sauf événement transitoire et très exceptionnel, est due à l’intervention de l’homme » (23). De plus, cela pourrait être attribué à un système dominé par les « marchés » et les « négociants cosmopolites en finance » qui sapent toute approche rationnelle et scientifique visant à concilier nature et production humaine (24). Lankester développera plus tard cet argument, écrivant systématiquement sur « l’effacement de la nature par l’homme » (25).

Comme Marx et Engels dans leurs derniers écrits, Lankester voyait dans le « Royaume de l’Homme » l’avènement d’un état de l’humanité en permanence sur le fil du rasoir écologique, engendré par le capitalisme, qui, si les conditions naturelles étaient piétinées par l’accumulation de capital rapace, conduirait à un déclin environnemental catastrophique. Si elle ne devait pas détruire les bases mêmes de son existence, l’humanité n’avait donc pas d’autre choix que de contrôler sa production, de remplacer les diktats étroits de l’accumulation du capital et d’adopter les diktats d’une science rationnelle en phase avec le développement coévolutionnaire.

La Dialectique de la nature et l’histoire

Les intuitions écologiques d’Engels sont indissociables de ses recherches sur la dialectique de la nature dont elles sont issues. Pourtant, le tout premier principe de ce qui devait être connu en tant que tradition philosophique du marxisme occidental était qu’on ne pouvait pas dire que la dialectique s’applique à la nature extérieure, c’est-à-dire ce qu’Engels désignait comme la « dialectique dite objective » n’existe pas au-delà du domaine actif du sujet humain (26) Les relations dialectiques, et même les objets du raisonnement dialectique, étaient ainsi confinés à la sphère historique humaine, où on peut dire que le même sujet-objet pourrait s’appliquer, puisque toute réalité non réflexive (transfactuelle) en dehors de la conscience humaine et de l’action humaine était exclue de l’analyse (27). Avec le rejet complet de la dialectique de la nature dans la tradition marxiste occidentale, l’extraordinaire puissance des explorations d’Engels dans ce domaine et l’énorme influence qu’elles exerçaient sur la pensée évolutionniste et écologique dans les sciences naturelles et sur le marxisme ont été perdues, sauf pour un petit nombre de scientifiques de gauche et de matérialistes dialectiques. Incapable de voir la dialectique comme liée à la nature matérielle, la philosophie marxiste occidentale avait tendance à reléguer à la fois la science naturelle et la nature extérieure elle-même dans le domaine du mécanisme et du positivisme. Le résultat fut de créer un gouffre profond après la Seconde Guerre mondiale entre la conception dominante de la philosophie marxiste en Occident et les sciences naturelles (et entre le marxisme occidental et la conception matérialiste de la nature) – au moment même où le mouvement écologique émergeait comme une force politique majeure (28)

La restauration des perspectives du matérialisme historique classique dans ce domaine nécessite donc de retrouver, à un certain niveau, la conception d’Engels de la dialectique de la nature (29). Ce qui implique de rejeter les critiques et polémiques, souvent peu ou mal argumentées, de l’approche d’Engels de la dialectique de la nature. Ces critiques portent en général contre les trois grandes « lois » dialectiques qu’il a empruntées à Hegel et auxquelles il a donné une nouvelle signification matérialiste : 1) la transformation de la quantité en qualité et vice versa, 2) l’identité ou l’unité des contraires, et 3) la négation de la négation (30) En écrivant sur la « Philosophie de la science d’Engels », Peter T. Manicas, par exemple, s’est plaint de la nature « presque vide de sens » de ces lois (31). Mais, dans l’analyse d’Engels, il ne s’agissait pas de lois étroites et fixes au sens positiviste, mais, plutôt, dans la terminologie actuelle, de larges « principes ontologiques » conçus dialectiquement, équivalents à des propositions fondamentales tels le principe de l’uniformité de la nature, le principe de la perpétuité de la substance et le principe de causalité. En fait, l’approche d’Engels de la dialectique a remis en question de diverses manières la compréhension de ces mêmes principes tels qu’ils étaient avancés par la science de son époque (32).

L’évaluation la plus succincte et la plus pénétrante des contributions d’Engels à la dialectique de la nature fournie par un spécialiste des sciences naturelles se trouve dans un pamphlet de 1936 intitulé Engels as a Scientist du célèbre scientifique marxiste J.D. Bernal, professeur de physique et de radiocristallographie au Birkbeck College de l’Université de Londres. Bernal a dépeint Engels comme un philosophe et historien des sciences dont on ne pouvait pas « dire qu’il était amateur » étant donné la gamme des contacts scientifiques qu’il avait développés à Manchester, et qu’il avait atteint un niveau d’analyse qui dépassait de loin celui des philosophes professionnels de la science de son époque, comme Herbert Spencer et William Whewell en Angleterre et Friedrich Lange en Allemagne (33). Selon Bernal la compréhension profonde d’Engels du développement historique de la science à son époque repose sur une perception dialectique dans laquelle « le concept de la nature était toujours un tout et un processus » (34). Engels avait emprunté cela de manière critique à Hegel, reconnaissant que derrière la présentation idéaliste de ce dernier du changement dialectique dans sa Logique se trouvaient des processus dont on pourrait dire qu’ils étaient objectivement inhérents à la nature, tels qu’ils étaient captés par la cognition humaine.

En abordant la première des trois « lois » dialectiques ou principes ontologiques qu’Engels avait tirés de Hegel – comment les changements de quantité peuvent conduire à des transformations qualitatives et son contraire – Bernal a souligné son caractère essentiel pour une approche scientifique de la nature. « Avec une perspicacité remarquable, Engels dit que “les soi-disant constantes de la physique ne sont en majeure partie pas autre chose que la désignation de points nodaux, auxquels un apport ou un retrait quantitatifs de mouvement entraînent dans l’état du corps en question une modification qualitative” (…) Nous commençons seulement à apprécier la justesse essentielle de ces remarques et la signification de ces points nodaux ». À cet égard, Bernal a souligné la référence d’Engels au tableau périodique de Dmitri Mendeleev comme un exemple de transformations qualitatives résultant de changements quantitatifs continus, ainsi que la relation entre les notions de base d’Engels et les découvertes permises par la théorie quantique (35). L’approche d’Engels, comme l’a indiqué le mathématicien marxiste britrannique Hyman Levy, tend vers concept de « changement de phase » tel qu’employé dans la physique moderne (36).

Aujourd’hui, nous savons que ce principe dialectique vaut également pour la biologie. Par exemple, l’augmentation de la densité de population de micro-organismes (une augmentation quantitative) peut provoquer un changement dans l’expression génétique, conduisant à la formation de quelque chose de nouveau (un changement qualitatif). Au fur et à mesure que les populations bactériennes augmentent, les signaux (produits chimiques) émis par chaque organisme s’accumulent à un niveau qui active les gènes, conduisant à la production de biofilm mucilagineux dans lequel les organismes s’intègrent. Les biofilms peuvent être composés d’un certain nombre d’organismes et attacher des organismes à presque toutes les surfaces, des conduites d’eau aux roches des ruisseaux, de la plaque dentaire aux aux racines dans le sol (37).

La deuxième loi d’Engels, l’interpénétration des contraires, est plus difficile à définir, mais toujours d’une importance suprême pour la recherche scientifique. Dans l’explication de Bernal, il y a deux principes liés : 1) « tout implique son contraire » et 2) il n’y a « dans la nature aucune ligne dure et rapide ». Engels a illustré ce dernier point en se référant à la célèbre découverte de Lankester selon laquelle le crabe fer à cheval (Limulus) était un arachnide, une partie de la famille des araignées et des scorpions, une révélation qui avait surpris le monde scientifique et bouleversé les classifications biologiques précédentes (38). Bernal affirmait qu’Engels « s’est approché très près des idées modernes de relativité » dans son application de ce principe dialectique à la physique et à la question de la matière et du mouvement (ou de l’énergie) (39). La notion d’Engels de l’unité des contraires est souvent vue dans la dialectique marxienne d’aujourd’hui sous l’angle du rôle des relations internes, dans laquelle au moins un des corrélatifs dépend de l’autre (40). Comme Engels lui-même l’a observé, la reconnaissance que les relations mécaniques avec « cette fixité et cette valeur absolues qu’on leur imputait ne sont introduites dans la nature que par notre réflexion, tel est l’essentiel de la conception dialectique de la nature » (41).

La négation de la négation, la troisième loi dialectique informelle d’Engels, qui, comme Bernal l’a noté, semblait si paradoxale avec l’emploi de mots simples, visait à faire comprendre que, au cours de son développement historique ou de son évolution dans le temps, tout ce qui se trouve dans le monde objectif est appelé à générer quelque chose de différent, une nouvelle réalité émergente, représentant de nouvelles relations matérielles et de nouveaux niveaux émergents, souvent par l’action de facteurs récessifs ou d’éléments résiduels, précédemment surmontés, qui sont encore inhérents au présent. L’existence matérielle dans son ensemble peut être considérée comme conduisant à une hiérarchie des niveaux organisationnels, tandis que le changement transformateur signifie souvent le passage d’un niveau à un autre, comme le passage de la graine à la plante (42).

Le développement de ce que l’on appelle les « propriétés émergentes » est désormais considéré comme un concept biologique et écologique de base. Dans un contexte écologique, cela se produit lorsque des communautés d’espèces interagissent de manière à produire de nouvelles caractéristiques, pour la plupart imprévues, résultant du comportement de chaque espèce dans la communauté (43). Un champ agricole de deux hectares avec un mélange de quatre espèces différentes (en polyculture) peut conduire à un rendement total supérieur à deux hectares consacrés à la seule culture de chacune des espèces séparément. Cela peut se produire pour diverses raisons : par exemple, une meilleure utilisation de la lumière du soleil et de l’eau, et une diminution des dommages causés par les insectes dans le champ de polyculture.

La coévolution des organismes produit également de nouvelles propriétés. Par exemple, au cours de l’évolution, les insectes se nourrissant des feuilles de certaines plantes conduisent au développement de nombreux mécanismes de défense chez ces plantes. Par exemple, la production de produits chimiques qui inhibent l’alimentation de l’insecte et l’émission de produits chimiques qui recrutent des organismes (souvent de petites guêpes) qui pondent leurs œufs dans l’insecte, qui est ensuite tué à mesure que les œufs se développent. Mais le va-et-vient continue. Dans au moins un cas, celui de la chenille du Sphinx de la tomate [Manduca quinquemaculata], la guêpe doit également injecter un virus qui désactive le système immunitaire de la chenille pour permettre aux œufs de guêpe de se développer. L’évolution crée constamment quelque chose de différent, parfois dramatiquement, à mesure que les organismes interagissent. Dans certains cas, cela conduit à des changements fondamentaux dans des écosystèmes entiers et à l’émergence de nouvelles espèces dominantes dans des environnements particuliers. Comme l’écrivait Engels, l’émergence, au sens de « la négation de la négation se présente réellement dans les deux règnes [végétal et animal] du monde organique » (44).

En tant qu’historien des sciences, Engels, selon Bernal, était remarquable dans son analyse des trois grandes révolutions scientifiques du XIXe siècle : 1) la thermodynamique – les lois de la conservation et de l’interchangeabilité des formes d’énergie et de l’entropie ; 2) l’analyse de la cellule organique et le développement de la physiologie ; et 3) la théorie de l’évolution de Darwin basée sur la sélection naturelle par variation innée (45). Comme Ilya Prigogine, lauréat du prix Nobel de chimie 1977 devait plus tard l’observer, la grande perspicacité d’Engels fut de reconnaître que ces trois révolutions de la science physique « rejetaient la vision mécaniste du monde » et se rapprochait « de l’idée d’un développement historique de la nature » (46).

Parmi les préoccupations d’Engels, Bernal distingue la recherche de « la synthèse de tous les processus affectant la vie, l’écologie animale et la distribution [biologique] » (47) Ce qui a rendu cette synthèse possible était sa conception du mouvement dialectique et du changement, soulignant la complexité des interactions matérielles et l’introduction de nouvelles puissances émergentes, dans un processus d’origine, de développement et de déclin. « L’idée centrale du matérialisme dialectique », explique Bernal, « est celle de la transformation (…). La tâche essentielle de la dialectique matérialiste est d’expliquer le qualitativement nouveau », de découvrir les conditions de l’émergence d’une nouvelle « hiérarchie organisationnelle » (48).

À cet égard, la réalisation pionnière d’Engels a été d’utiliser sa conception dialectique de la nature pour mettre en lumière les quatre problèmes matérialistes de « l’origine » qui subsistaient après Darwin : 1) l’origine de l’univers (qui, selon Engels, était une auto-origine telle que envisagée dans l’hypothèse nébulaire d’Emmanuel Kant et Pierre-Simon Laplace) ; 2) l’origine de la vie (pour laquelle Engels a réfuté la notion de Justus von Liebig et Hermann Helmholtz de l’éternité de la vie et a plutôt mis en évidence une origine chimique se concentrant sur le complexe de produits chimiques sous-jacents au protoplasme, en particulier les protéines) ; 3) l’origine de la société humaine (pour laquelle Engels est allé plus loin que tout autre penseur de son temps en expliquant l’évolution de la main et des outils par le travail, et avec eux le cerveau et le langage, en anticipant les découvertes ultérieures en paléoanthropologie) ; et 4) l’origine de la famille (pour laquelle il a expliqué la base matrilinéaire originelle de la famille et la naissance de la famille patriarcale avec la propriété privée). (49)

De cette façon, Engels, insistait Bernal, avait anticipé ou préfiguré nombre des développements de la science matérialiste. « Engels, qui a salué le principe de la conversion d’une forme d’énergie en une autre, aurait également salué la transformation de la matière en énergie. Le mouvement en tant que mode d’existence de la matière [le grand postulat d’Engels] acquerrait ici sa vérité finale » (50). Comme Bernal l’a noté ailleurs, Engels « a vu plus clairement que la plupart des physiciens éminents de son temps l’importance de l’énergie et son inséparabilité de la matière. Aucun changement dans la matière, a-t-il déclaré, ne pouvait se produire sans un changement d’énergie, et vice versa. (…) [La] substitution du mouvement à la force pour laquelle Engels se bat tout au long était le point de départ de la critique de la mécanique par Einstein  » (51).

Pourtant, c’est la large perspective sur l’écologie émanant de la dialectique d’Engels qui a constitué l’intuition la plus importante de la Dialectique de la nature et c’est la raison pour laquelle un retour à la manière de raisonner d’Engels reste si important. Comme Bernal l’a fait valoir, l’une des contributions cruciales d’Engels a été sa critique des notions de la conquête humaine absolue de la nature. Engels avait puissamment diagnostiqué l’incapacité de la société humaine, et en particulier du mode de production capitaliste, à prévoir les conséquences écologiques de ses actions, traçant « les effets des conséquences physiques indésirables de l’interférence humaine avec la nature, telles que la coupe des forêts et la propagation des déserts » (52).

D’autres scientifiques socialistes britanniques de premier plan des années 1930 et 1940 ont également été impressionnés par les avertissements écologiques d’Engels. Pour le grand biochimiste et historien des sciences Joseph Needham, Engels pourrait être décrit comme quelqu’un « à qui rien n’échappe ». Engels a ainsi souligné, selon les mots de Needham, qu’un « jour viendra peut-être où la lutte de l’humanité contre les conditions défavorables de la vie sur notre planète sera devenue si sévère que la poursuite de l’évolution sociale deviendra impossible », se référant à l’extinction éventuelle de l’espèce humaine (53). Pour Needham, un tel point de vue critique, qui rejetait l’hypothèse grossière du progrès linéaire, a également servi à éclairer l’extraordinaire gaspillage et la destruction écologique de la société capitaliste - où le café était cultivé pour alimenter les foyers de locomotives. Cela soulevait la question d’une « interprétation thermodynamique de la justice » puisque l’aliénation de la nature (y compris l’aliénation de l’énergie), comme Engels l’avait laissé entendre, « gaspillait » de réelles possibilités humaines dans le présent et le futur (54).

Le biologiste J.B.S. Haldane - l’une des deux grandes figures britanniques (avec R.A. Fisher) de la synthèse néo-darwinienne, réconciliant la biologie darwinienne avec la révolution de la génétique - voyait Engels comme « la principale source » de la dialectique matérialiste. En comparant Engels à Charles Dickens par rapport à la révolution industrielle, Haldane a souligné qu’Engels voyait de plus en plus loin. « Dickens avait une connaissance de première main de ces conditions [de pauvreté et de pollution]. Il les a décrits avec une indignation brûlante et avec beaucoup de détails. Mais son attitude était plus de pitié que d’espoir. Engels a vu la misère et la dégradation des ouvriers, mais il a vu à travers. Dickens n’a jamais suggéré que s’ils voulaient être sauvés, ils devaient se sauver eux-mêmes. Engels a vu que c’était non seulement souhaitable mais inévitable  » (55).

La reconnaissance de l’importance de la dialectique de la nature d’Engels s’est étendue à notre époque. Les biologistes de Harvard, Richard Levins et Richard Lewontin, devaient consacrer leur ouvrage désormais classique The Dialectical Biologist à Engels, s’inspirant fortement, quoique quelque peu de façon critique, de son analyse (56). Le paléontologue et théoricien de l’évolution Stephen Jay Gould, collègue de Levins et Lewontin à Harvard, devait observer qu’Engels a fourni le meilleur cas de coévolution gène-culture au XIXe siècle, c’est-à-dire la meilleure explication de l’évolution humaine du vivant même de Darwin, étant donné que la coévolution gène-culture est la forme que doivent prendre toutes les théories cohérentes de l’évolution humaine. (57)

C’est le développement par Engels d’une dialectique de l’émergence qui se révélera finalement le plus révolutionnaire. La signification de cette perspective – ontologiquement, épistémologiquement, méthodologiquement – a été saisie par Needham dans sa propre analyse révolutionnaire des « niveaux intégratifs » (ou émergence) dans Time, the Refreshing River (un titre qui renvoyait au grand matérialiste ancien, Héraclite) : «  Marx et Engels ont eu l’audace d’affirmer que cela [le processus dialectique] se produit en fait dans la nature en évolution elle-même, et que le fait incontestable que cela se produit dans notre pensée sur la nature est parce que nous et notre pensée faisons partie de la nature. On ne peut considérer la nature autrement que comme une série de niveaux d’organisation, une série de synthèses dialectiques. De la particule ultime à l’atome, de l’atome à la molécule, de la molécule à l’agrégat colloïdal, de l’agrégat à la cellule vivante, de la cellule à l’organe, de l’organe au corps, du corps animal à l’association sociale, la série des niveaux d’organisation est complète. Rien d’autre que l’énergie (comme nous appelons maintenant matière et mouvement) et les niveaux d’organisation (ou les synthèses dialectiques stabilisées) à différents niveaux n’ont été nécessaires pour la construction de notre monde. » (58)

Engels dans l’anthropocène

Il est largement reconnu dans la science contemporaine (bien que ce ne soit pas encore officiel) que, du point de vue du temps géologique, l’époque de l’Holocène, qui remonte à près de douze mille ans, a pris fin à partir des années 1950, remplacée par l’actuelle époque anthropocène. Le début de l’anthropocène a été provoqué par une grande accélération des impacts anthropogéniques sur l’environnement, de sorte que l’échelle de l’économie humaine en est venue à rivaliser avec les principaux cycles biogéochimiques de la planète elle-même, entraînant des fractures dans les limites planétaires qui définissent le système terrestre comme un foyer sûr pour l’humanité (59). L’Anthropocène représente donc ce que Lankester avait précédemment appelé le « Royaume de l’Homme », dans le sens critique où il l’avait énoncé, c’est-à-dire que l’humanité était de plus en plus le « perturbateur » de l’environnement naturel à l’échelle planétaire. Par conséquent, la société n’a d’autre choix que de rechercher l’application rationnelle de la science, et donc le renversement d’un ordre social dans lequel la science a été reléguée à un simple moyen par lequel « le trésor et le luxe sont ouverts aux capitalistes » (60). Dans les termes plus énergiques d’Engels (et de Marx), cela signifiait que la condition pour la régulation rationnelle du métabolisme entre l’humanité et la nature, et donc l’application rationnelle de la science, c’était la transformation du mode de production et de distribution. Toute autre voie conduisait à l’accumulation de catastrophes (61).

C’est dans l’Anthropocène que la dialectique de l’écologie d’Engels peut enfin être considérée comme prenant tout son sens. C’est là que l’accent qu’il met sur l’interdépendance de tout ce qui existe, l’unité des contraires, les relations internes, le changement discontinu, l’évolution émergente, la réalité de la destruction des écosystèmes et du climat, et la critique des notions linéaires de progrès peuvent tous être considérés comme essentiels pour l’avenir même de l’humanité et de la Terre telle que nous la connaissons. Engels était parfaitement conscient que dans les conceptions scientifiques modernes, « la nature entière se résout elle-même en histoire et l’histoire ne se distingue de l’histoire de la nature que comme le processus de développement d’organismes conscients » (62). Dans la mesure où l’humanité est aliénée de son propre travail et du processus de production, et donc de son métabolisme avec la nature, cela ne peut signifier que la destruction de la nature aussi bien que de la société. La croissance quantitative du capital a conduit à une transformation qualitative du rapport humain à la terre elle-même, que seule une société de producteurs associés peut rationnellement aborder. Cela est lié au fait qu’un mode de production qualitatif particulier (tel que le capitalisme) est associé à une matrice spécifique de demandes quantitatives, tandis qu’un mode de production transformé qualitativement (comme dans le socialisme) peut conduire à une matrice quantitative très différente.

Engels démontre que le capitalisme « dilapide » les ressources naturelles du monde, y compris les combustibles fossiles (63) : la pollution urbaine, la désertification, la déforestation, l’épuisement du sol et le changement climatique (régional) sont tous le résultat de formes de production non planifiées, incontrôlées et destructrices, évidentes dans l’économie marchande capitaliste. Dans la foulée de Marx et de Liebig, il expliquait que l’énorme problème des eaux usées de Londres était une manifestation de la fracture métabolique, qui enlevait les nutriments du sol et les envoyait vers les villes surpeuplées où ils devenaient une source de pollution (64). Il a souligné la base de classe de la propagation périodique des épidémies de variole, de choléra, de typhus, de typhoïde, de tuberculose, de scarlatine, de coqueluche et d’autres maladies contagieuses qui affectaient les conditions environnementales de la classe ouvrière, avec une mauvaise alimentation, le surmenage, l’exposition à des substances toxiques au travail et les blessures de toutes sortes sur le lieu du travail. Il a insisté, sur la base de la nouvelle science de la thermodynamique, que le changement écologique historique était irréversible et que la survie elle-même de l’humanité était finalement en question (65). À propos des rapports actuels de production et d’environnement, il a écrit sur une société qui est face à la ruine ou à la révolution. Le meurtre social de travailleurs en milieu urbain et les famines en Irlande et en Inde coloniales étaient considérés comme des indices de l’exploitation extrême, de la dégradation écologique et même de l’extermination massive de populations juste en dessous de la surface de la société capitaliste (66).

Sur toutes ces bases, Engels, comme Marx, a soutenu que le métabolisme humain avec la nature devrait être régulé par des producteurs associés en conformité (ou en coévolution) avec les lois de la nature telles que comprises par la science, tout en répondant aux besoins individuels et collectifs. Une telle application rationnelle de la science, cependant, est impossible sous le capitalisme. Le développement lui-même n’est pas non plus contrôlable sous le capitalisme, car il est fondé sur un gain individuel immédiat. Pour mettre en œuvre une approche scientifique globale et rationnelle, conforme aux besoins humains et aux conditions environnementales durables, il faut une société dans laquelle un système de planification à long terme dans l’intérêt de la chaîne des générations humaines puisse être mis en œuvre (67).

Dès le début, l’analyse d’Engels a implicitement intégré une notion de ce que l’on peut appeler le prolétariat environnemental. Ainsi, alors que le capitalisme s’intéressait à « l’économie politique du capital », la classe ouvrière dans ses phases les plus opprimées et aussi les plus radicales s’intéressait à l’ensemble de l’existence, toujours à partir des besoins élémentaires. Appeler les objectifs des travailleurs une « économie politique de la classe ouvrière », comme Marx l’a fait autrefois, n’est peut-être pas faux, mais il serait plus correct dans la terminologie actuelle de dire que les travailleurs, dans leurs luttes plus révolutionnaires, s’efforcent principalement de créer une nouvelle écologie politique de la classe ouvrière, soucieuse de tout son environnement et de ses conditions de vie de base, qui ne peut être réalisée que sur une base communautaire (68). C’est ce qui ressort si bien de l’ouvrage d’Engels intitulé la Situation de la classe laborieuse en Angleterre, où il expose systématiquement la pollution de l’air et de l’eau, les égouts contaminés, les aliments frelatés, le manque de nutrition, les substances toxiques au travail, les blessures fréquentes et la morbidité et la mortalité élevées de la classe ouvrière – et considère la lutte pour le socialisme comme la seule véritable voie à suivre.

En effet, la Situation de la classe laborieuse en Angleterre a soulevé des questions qui reviennent maintenant au premier plan dans l’Anthropocène. Pour Marx, l’œuvre de jeunesse d’Engels a exercé une influence durable le conduisant à désigner les « épidémies périodiques » comme une manifestation de la fracture métabolique parallèlement à la destruction du sol. De nombreuses pages du Capital sont consacrées à simplement tenter de mettre à jour l’analyse épidémiologique d’Engels des décennies plus tard (69). Aujourd’hui, dans le contexte de la pandémie Covid-19, ces idées prennent une importance renouvelée comme point de départ de la longue révolution pour un monde écosocialiste (70). Pourtant, pour faire avancer de telles analyses, il est nécessaire d’explorer une science (et un art) dialectique enracinée dans une conception de « l’unité » complexe de l’humanité et de la nature.

« Tout est vendu »

Engels admirait la poésie de Percy Bysshe Shelley, qu’il considérait comme un « génie ». Dans sa jeunesse il écrivait : « une tendresse et une originalité dans la représentation de la nature que seul Shelley peut réaliser. » (71) Dans les premières strophes du Mont Blanc de Shelley, nous trouvons une dialectique matérialiste de la nature et de l’esprit qui n’est pas sans rappeler celle d’Engels :

« L’éternel univers des choses

« Coule à travers l’esprit, et roule ses rapides vagues,

« Tantôt obscures – tantôt étincelantes –

« Tantôt réfléchissant l’ombre –

« Tantôt renvoyant la splendeur, où des secrets réservoirs

« La source de l’humaine pensée apporte le tribut

« De ses eaux – avec un bruit qui n’est qu’à moitié le sien » (72)

Comme Shelley, qui dans Queen Mab écrivait sur l’aliénation de la nature par la société bourgeoise en même temps que sur l’amour de cette nature – « Tout est vendu : la lumière même du ciel est vénale ; les dons d’amour de la terre sont inépuisables » –, Engels a vu le besoin profond de réconciliation de l’humanité avec la nature, que seule une révolution pouvait apporter (73).

1er novembre 2020

* John Bellamy Foster, professeur de sociologie à l’Université d’Oregon, est rédacteur en chef de la Monthly Review. En français on peut lire son livre Marx écologiste, éditions Amsterdam, Paris 2011. Cet article a été d’abord publié dans la Monthly Review vol. 72 n° 6 de novembre 2020, https://monthlyreview.org/2020/11/01/engelss-dialectics-of-nature-in-the-anthropocene/ (Traduit de l’anglais par JM).

Notes

1. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, p. 140 (https://www.marxists.org/francais/engels/works/1883/00/engels_dialectique_nature.pdf) Dialectique de la nature est un ouvrage inachevé de Friedrich Engels, non publié du vivant de l’auteur. La correspondance de Marx et Engels montre que dès 1873, Engels projetait d’écrire un grand travail sur la dialectique dans la nature. En 1882, Engels semble avoir rassemblé toutes ses notes, mais la mort de Marx, en 1883, le force à abandonner son travail pour des tâches plus urgentes.

2. Paul Blackledge, Friedrich Engels and Modern Social and Political Theory (State University of New York Press, Albany 2019), p. 16.

3. Walter Benjamin, GS, I, 3, p. 1232. Il s’agit d’une des notes préparatoires des Thèses, qui n’apparaît pas dans les versions finales du document. Le passage de Marx auquel se réfère Benjamin figure dans Luttes de classes en France (1850) : « Die Revolutionen sind die Lokomotiven der Geschichte » (le mot « mondial » ne figure pas dans le texte de Marx). Michael Löwy, Walter Benjamin : avertissement d’incendie. Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire » (PUF, 2001, puis Éditions de l’Aube, 2018), pp. 53-54.

4. F. Engels, Anti-Dühring, « Économie Politique – I. Objet et méthode » : (https://www.marxists.org/francais/engels/works/1878/06/fe18780611q.htm) et « Économie Politique – II. Théorie de la violence » (https://www.marxists.org/francais/engels/works/1878/06/fe18780611r.htm)

5. Les explosions de chaudière de locomotive dues à des soupapes de sécurité défectueuses et mal réglées étaient courantes au milieu du XIXe siècle. Pressés par le temps, les mécaniciens de locomotive coinçaient ou fixaient souvent les soupapes de sécurité, bloquant ainsi les soupapes de sécurité du train, qui ne s’ouvraient pas ou qu’ils ne parvenaient plus à ouvrir rapidement. Cf. Christian H. Hewison, Locomotive Boiler Explosions (David & Charles, Newton Abbot 1983), pp. 11, 18-19, 36, 49, 54-56, 82, 85, 110.

6. Marx et Engels, Collected Works vol. 25, p. 459 ; John Bellamy Foster, « Capitalism and the Accumulation of Catastrophe », Monthly Review vol. 63, n° 7 (décembre 2011), pp. 5-7 ; Karl Marx et Friedrich Engels, Marx-Engels Gesamtausgabe (MEGA) IV/31 (Akadamie Verlag, Amsterdam 1999), pp. 512-515.

7. Marx & Engels, Collected Works vol. 25, p. 167 ; Karl Marx & Friedrich Engels, Marx-Engels Gesamtausgabe (MEGA) IV/18 (Walter de Gruyter, Berlin 2019), pp. 670-74, 731 (extraits choisis par Marx) ; Mike Davis, Late Victorian Holocausts : El Niño Famines and the Making of the Third World (Verso, London 2001) ; Marx & Engels, Ireland and the Irish Question.

8. Sur la notion de productivisme extrême et, en ce sens, de prométhéisme, ainsi que sur son absence quasi totale dans la pensée de Marx et Engels, cf. John Bellamy Foster, The Ecological Revolution (Monthly Review Press, New York 2009), pp. 226-229.

9. F. Engels, Anti-Dühring, « Socialisme – II. Notions théoriques » (https://www.marxists.org/francais/engels/works/1878/06/fe18780611ab.htm)

10. Walt Rostow, The World Economy (University of Texas Press, Austin 1978), pp. 47-48 et 659-662.

11. Sur le développement humain durable en tant que cadre régissant à la fois la pensée de Marx et d’Engels, voir Paul Burkett, « Marx’s Vision of Sustainable Human Development », Monthly Review vol. 57, n° 5 (octobre 2005), pp. 34-62.

12. Eleanor Leacock, Préface à F. Engels, The Origin of the Family, Private Property and the State (International Publishers, New York 1972), p. 245. Commentaire en français sur cette préface sur ce lien : http://sortirducapitalisme.fr/notes-de-lecture/223-preface-de-l-origine-de-la-famille-de-la-propriete-privee-et-de-l-etat-friedrich-engels-eleanor-leacock

13. Marx & Engels, Collected Works, vol. 4, pp. 394, 407 ; Ian Angus, « Cesspools, Sewage, and Social Murder », Monthly Review vol. 70, n° 3 (juillet-août 2018), p. 38 ; John Bellamy Foster, The Return of Nature (Monthly Review Press, New York 2020), pp. 182-195.

14. Howard Waitzkin, The Second Sickness (Free Press, New York 1983), pp. 71-72.

15. Marx & Engels, Collected Works, vol. 25, p. 23 ; Foster, The Return of Nature, p. 254.

16. F. Engels, Anti-Dühring, « Socialisme – II. Notions théoriques », op. cit.

17. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit. p. 143.

18. F. Bacon, Novum Organum ou règles véritables pour l’interprétation de la Nature (1620), Charpentier, Paris 1843 : https://fr.wikisource.org/wiki/Nouvel_Organum/Texte_entier

19. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 141 ; Karl Marx, Grundrisse (Penguin, London 1973).

20. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 141.

21. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 141.

22. Ibid., p. 32.

23. Ray Lankester, The Kingdom of Man (Henry Holt and Co., New York 1911), pp. 1-4, 26, 31-33 ; John Bellamy Foster, The Return of Nature, pp. 61-64.

24. R. Lankester, The Kingdom of Man, p. 31 ; Joseph Lester, Ray Lankester and the Making of Modern British Biology (British Society for the History of Science, Oxford 1995), pp. 163-164.

25. Ray Lankester, Science from an Easy Chair (Henry Holt and Co., New York 1913), pp. 365-369.

26. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 169. La critique de Dialectique de la nature d’Engels trouve ses origines dans la note n° 6 de Georg Lukács dans Histoire et conscience de classe, bien que Lukács, comme il l’a expliqué plus tard, n’ait jamais complètement abandonné la notion de « dialectique purement objective » et tendait à promouvoir une telle dialectique naturaliste, basée sur Marx plus que sur Engels, dans sa pensée ultérieure. Néanmoins, le rejet de la dialectique de la nature est devenu axiomatique pour le marxisme occidental à partir des années 1920, et s’est renforcé dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Georg Lukács, History and Class Consciousness (MIT Press, Cambridge 1971), pp. 24, 207. Voir également Russell Jacoby, « Western Marxism » dans A Dictionary of Marxist Thought, ed. Tom Bottomore (Blackwell, Oxford 1983), pp. 523-526 ; John Bellamy Foster, The Return of Nature, pp. 11-22. Sur le débat général concernant Engels au sein du marxisme contemporain, voir Paul Blackledge, Frederick Engels and Modern Social and Political Theory, pp. 1-20.

27. Comme l’a fait valoir Roy Bhaskar, la nécessité de considérer le domaine intransitif ou transfactuel établit la distinction entre l’épistémologique et l’ontologique, contre la tendance, dans une grande partie de la philosophie contemporaine, y compris la tradition philosophique marxiste occidentale, à promouvoir l’erreur épistémologique, caractéristique de l’idéalisme, dans laquelle l’ontologie est subsumée dans l’épistémologie. L’adhésion au sophisme épistémologique rendrait impossible tout matérialisme cohérent ou toute science naturelle. Roy Bhaskar, Dialectic : The Pulse of Freedom (Verso, London 1993), pp. 397, 399-400, 405.

28. C’est ce que l’on peut voir dans The Concept of Nature in Marx d’Alfred Schmidt, publié en 1962, la même année que Printemps silencieux de Rachel Carson. L’œuvre de Schmidt, produit de l’École de Francfort (influencée notamment par ses mentors Max Horkheimer et Theodor Adorno), niait pour l’essentiel la dialectique de la nature et toute réconciliation de l’humanité avec la nature à l’aube de l’émergence du mouvement environnemental moderne. Alfred Schmidt, The Concept of Nature in Marx (Verso, Londres 1970).

29. Ce paragraphe et les six suivants ont été adaptés de John Bellamy Foster, The Return of Nature, pp. 379-381.

30. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 52.

31. Peter T. Manicas, « Engels’s Philosophy of Science », dans Engels After Marx, ed. Manfred B. Steger et Terrell Carver (Pennsylvania University Press, University Park : 1999), p. 77.

32. Craig Dilworth, « Principles, Laws, Theories, and the Metaphysics of Science », Synthese 101, n° 2 (1994), pp. 223-247. Le principe d’uniformité (ou d’uniformisme), associé le plus étroitement à Charles Lyell, a été contesté par le concept d’évolution de Darwin, bien que le gradualisme de Darwin ait minimisé le conflit. Stephen Jay Gould et le paléontologue Niles Eldredge devaient remettre en cause l’uniformisme beaucoup plus radicalement dans leur théorie de l’équilibre ponctué des années 1980. Voir : Richard York and Brett Clark, The Science and Humanism of Stephen Jay Gould (Monthly Review Press, New York 2011), pp. 28, 40-42. La notion traditionnelle de perpétuation de la substance a été remise en question à l’époque d’Engels par le développement du concept d’énergie en physique. En relation avec ces deux principes ontologiques et le principe de causalité, où il abordait l’échange complexe de cause à effet, les « lois » dialectiques ou principes ontologiques d’Engels ont non seulement saisi les changements révolutionnaires qui se produisaient dans la science de son temps, mais ont également préfiguré de diverses manières les découvertes ultérieures. Pour les vues d’Engels sur la causalité, voir Dialectique de la nature, op. cit., pp. 186-187.

33. D. Bernal, Engels and Science (Labour Monthly Pamphlets, London 1936), pp. 1-2. (cf. : https://www.marxists.org/archive/bernal/works/1930s/engels.htm)

34. Ibid., p. 5.

35. Ibid., pp. 5-7 ; Citation de Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 55.

36. Hyman Levy, A Philosophy for a Modern Man (Alfred A. Knopf, New York 1938), pp. 30-32, 117, 227-228.

37. Ce paragraphe a été écrit par Fred Magdoff. Voir également : Fred Magdoff & Chris Williams, Creating an Ecological Society (Monthly Review Press, New York 2017), p. 215.

38. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 184 ; E. Ray Lankester, « Limulus an Arachnid », Quarterly Journal of Microscopical Science n° 2 (1881), pp. 504-548, 609-649 ; John Bellamy Foster, The Return of Nature, pp. 56, 249.

39. J.D. Bernal, Engels and Science, pp. 7-8, J.D. Bernal, « Dialectical Materialism » dans Aspects of Dialectical Materialism, by Hyman Levy et al. (Watts and Co., London 1934), pp. 107-108.

40. J.D. Bernal, Engels and Science, p. 7 ; John Bellamy Foster, The Return of Nature, p. 242.

41. Friedrich Engels, Anti-Dühring, préface (deuxième édition) du 23 septembre 1885 : https://www.marxists.org/francais/engels/works/1878/06/fe18780611b.htm

42. Les trois lois informelles de la dialectique d’Engels peuvent être considérées comme liées à l’émergence, en particulier la première et la troisième. La troisième loi informelle d’Engels, la négation de la négation, comme l’a soutenu Roy Bhaskar dans Dialectics : Pulse of Freedom, « soulève la question des absences exclues [absenting absences] et de la réaffirmation des éléments perdus ou niés de la réalité. Bernal a développé une analyse de la négation de la négation en termes de rôle des résidus qui réapparaissent et transforment les relations à travers des processus évolutifs complexes ». Roy Bhaskar, Dialectic : The Pulse of Freedom (Verso, London 1993), pp. 150-152, 377-378 ; J.D. Bernal, Dialectical Materialism, op. cit. pp. 103-104.

43. Ce paragraphe et le suivant ont été rédigés dans leur quasi-totalité par Fred Magdoff.

44. Friedrich Engels, Anti-Dühring, XIII. Dialectique. Négation de la négation : https://www.marxists.org/francais/engels/works/1878/06/fe18780611o.htm

45. J.D. Bernal, Engels and Science, pp. 8-10 ; Friedrich Engels, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande (https://www.marxists.org/francais/engels/works/1888/02/fe_18880221.htm).

46. Ilya Prigogine & Isabelle Stengers, Order Out of Chaos (Bantam, New York 1984), pp. 252-253. (Écrit et paru en français : la Nouvelle Alliance : métamorphose de la science, Gallimard, Paris 1979.)

47. J.D. Bernal, Engels and Science, p. 4.

48. J.D. Bernal, Dialectical Materialism, pp. 90, 102, 107, 112-117.

49. J.D. Bernal, Engels and Science, pp. 10-12. En ce qui concerne Engels sur les origines de la vie, Richard Levins et Richard Lewontin ont écrit que « le matérialisme dialectique s’est [nécessairement] surtout concentré sur certains aspects choisis de la réalité. Nous avons parfois mis l’accent sur la matérialité de la vie par rapport au vitalisme, comme lorsque Engels a dit que la vie était le mouvement des “corps albumineux” (c’est-à-dire des protéines ; maintenant, nous pourrions dire des macromolécules). Cela semble être en contradiction avec notre rejet du réductionnisme moléculaire, mais reflète simplement différents moments d’un débat en cours où les principaux adversaires étaient d’abord l’accent vitaliste mis sur la discontinuité entre les domaines inorganique et vivant, puis l’effacement réductionniste des sauts de niveau réels ». Richard Lewontin & Richard Levins, Biology Under the Influence (Monthly Review Press, New York 2007), p. 103.

50. J.D. Bernal, Engels and Science, pp. 13-14.

51. J.D. Bernal, The Freedom of Necessity (Routledge and Kegan Paul, London 1949), p. 362.

52. Ibid., pp. 364-365.

53. Joseph Needham, Time, the Refreshing River (George Allen and Unwin, London 1943), pp 214-215 ; Engels, Ludwig Feuerbach.

54. J. Needham, Time, the Refreshing River, pp. 214-215 ; Marx and Engels, Collected Works, vol. 46, p. 411.

55. B. S. Haldane, The Marxist Philosophy and the Sciences (Random House, New York 1939), pp. 199-200 ; John Bellamy Foster, The Return of Nature, p. 391.

56. Richard Levins & Richard Lewontin, The Dialectical Biologist (Harvard University Press, Cambridge 1985).

57. Stephen Jay Gould, An Urchin in the Storm (W.W. Norton, New York 1987), pp. 111-112.

58. Needham, Time, the Refreshing River, pp. 14-15. Engels a écrit : « c’est précisément la transformation de la nature par l’homme, et non la nature seule en tant que telle, qui est le fondement le plus essentiel et le plus direct de la pensée humaine, et l’intelligence de l’homme a grandi dans la mesure où il a appris à transformer la nature ». Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 186.

59. Voir : John Bellamy Foster, Brett Clark, Richard York, The Ecological Rift (Monthly Review Press, New York 2010), pp. 13-18 ; Ian Angus, Facing the Anthropocene (Monthly Review Press, New York 2016) ; Clive Hamilton, Defiant Earth (Polity, Cambridge 2017).

60. Lester, Ray Lankester, p. 164.

61. John Bellamy Foster, « Capitalism and the Accumulation of Catastrophe », pp. 1-2, 15-16 ; Foster, The Return of Nature, pp. 64, 286-287.

62. Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 192.

63. Marx and Engels, Collected Works, vol. 46, p. 411.

64. Friedrich Engels, La question du logement, 3e partie, https://www.marxists.org/francais/engels/works/1872/00/logement.htm#NW-ANCHOR-42

65. Sur l’approche d’Engels en matière de thermodynamique, voir John Bellamy Foster & Paul Burkett, Marx and the Earth (Haymarket, Chicago 2016), pp. 137-203.

66. À propos des écrits de Marx et Engels sur la dégradation écologique et l’extermination dans l’Irlande coloniale, voir John Bellamy Foster & Brett Clark, The Robbery of Nature (Monthly Review Press, New York 2020), pp. 64-77.

67. Engels a clairement indiqué que la régulation rationnelle des relations entre l’homme et la nature, et donc une application rationnelle de la science, n’était possible qu’avec « un bouleversement complet de tout notre mode de production » (Friedrich Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 142). Sur l’aliénation de la science sous le capitalisme, voir István Mészáros, Marx’s Theory of Alienation (Merlin, London 1975), pp. 101-102. Le rôle de la science sous le capitalisme est précisé dans la notion de « double nature de la science » de Richard Levins : Richard Levins, « Ten Propositions on Science and Antiscience », Social Text n° 46–47 (1996), pp. 103-104. Le caractère incontrôlable du capital est théorisé dans István Mészáros, Beyond Capital (Monthly Review Press, New York 1995), p. 713.

68. Karl Marx, On the First International, ed. Saul Padover (McGraw-Hill, New York 1973), p. 10.

69. Voir John Bellamy Foster, The Return of Nature, pp. 197-204.

70. John Bellamy Foster & Istvan Suwandi, « COVID-19 and Catastrophe Capitalism », Monthly Review vol 72, n° 2 (June 2020), pp. 3-4.

71. Marx et Engels, Collected Works, vol. 2, pp. 95-101, 497 ; vol. 4, p. 528. L’admiration d’Engels pour Shelley l’a conduit à tenter de traduire en allemand Queen Mab, ainsi que The Sensitive Plant. Voir John Green, Engels : A Revolutionary Life (Artery, London 2008), pp. 28-29, 59. Pour un traitement fascinant de la poésie et de la politique révolutionnaires de Shelley, voir Annette Rubinstein, The Great Tradition in English Literature (Monthly Review Press, New York 1953), pp. 516-64

72. Percy Bysshe Shelley, Mont-Blanc (traduction française) : https://short-edition.com/fr/classique/percy-bysshe-shelley/mont-blanc-1

73. Percy Bysshe Shelley, Complete Poetical Works, p. 773. Marx a dépeint Shelley comme « essentiellement un révolutionnaire », un point de vue qu’Engels partageait. Edward Aveling & Eleanor Marx Aveling, Shelley’s Socialism (The Journeyman, London 1975), p. 4.

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