Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

« L’éducation pour faire société »

Organisées par des Profs pour des États généraux sur l’éducation

En mai dernier, lors d’une réunion de Profs contre la hausse (PCLH), est née l’idée de former un comité de Profs pour des États généraux sur l’éducation.

Trois principales raisons motivaient la formation de ce comité. D’abord, la grève étudiante a permis de débattre de plusieurs enjeux fort importants et nous voulions prendre le temps d’en approfondir un : nous sommes tous d’accord pour affirmer que nous nous opposons à la marchandisation de l’éducation, mais après plus d’un quart de siècle de colonisation néolibérale, quel sens voulons-nous (re)donner à l’enseignement supérieur et comment y parvenir ? De plus, une pétition, signée par 17 451 personnes en avril réclamant un moratoire sur la hausse des droits de scolarité et des États généraux sur l’éducation, est restée lettre morte du côté du gouvernement libéral. Les considérants de cette pétition mentionnaient, entre autres, que le débat des droits de scolarité touche non seulement la dimension économique mais aussi philosophique et sociale et qu’il faut construire une école émancipatrice, indépendante et citoyenne pour former des citoyens critiques et créatifs. Nous voulons prendre les devants pour préparer ces états généraux et créer un espace de réflexion entre profs de cégeps et d’universités afin de préciser ces énoncés. Enfin, comme Guy Rocher le mentionnait lors d’une activité intersyndicale en mai dernier, il est exceptionnel de voir des profs des cégeps et des universités travailler ensemble. Ce groupe PCLH nous donne l’occasion d’une structure unique où des profs peuvent réfléchir, en toute collégialité, avec un engagement politique certain.

Organiser des états généraux relève d’un mandat de l’État. Nous, Profs pour des États généraux sur l’éducation, voulons, lors de journées d’étude, préciser ce que signifie enseigner et faire de la recherche au cégep et à l’université ainsi que discuter de leurs définitions, de leur mission fondamentale, d’accessibilité et de financement.

Nous souhaitons réfléchir sur ce que nous voulons comme enseignement supérieur, ce qu’on en a fait et ce qu’on a oublié en cours de route. Au Québec, l’éducation est malmenée. Les problèmes d’engorgement des urgences et du système de santé en général ont occulté, depuis plus d’un quart de siècle, l’importance que nous devrions lui accorder. Des décisions politiques, prises depuis les années 1990 avec les Robillard, Marois et Legault comme ministres de l’Éducation, se sont effectuées dans cette logique marchande : la décentralisation des cégeps les a mis en compétition, les compétences permettent, entre autres, d’arrimer la formation au marché du travail, la rationalisation des programmes s’effectue selon leur performance et les plans de réussite pour le plus grand nombre commandent des objectifs mesurables afin de « Prendre le virage du succès ». Dans les universités, il est désormais question d’assurance qualité associée à des standards d’efficience et d’efficacité. Qu’advient-il de la liberté académique quand « […] la connexion entre l’université et l’entreprise se fait chaque année de façon toute naturelle » ? L’éducation soumise aux exigences du marché favorise déjà dans plusieurs pays des départements techniques au détriment de départements de littérature, philosophie ou sciences humaines. Des domaines des sciences pures associés à des savoirs fondamentaux sont négligés au profit de ce qui est potentiellement « brevetable ». C’est tout ce modèle d’instrumentalisation commerciale de l’éducation dans le cadre de l’économie du savoir, entrainant l’éducation dans des dérives économicistes et technicistes, que le mouvement étudiant a remis en question depuis ce Printemps québécois.

Ce mouvement étudiant a donc su élever le débat bien au-dessus de la question de la hausse des droits de scolarité en ravivant deux idéaux de la Révolution tranquille : la gratuité scolaire à l’université et l’idée de l’émancipation individuelle et collective par l’éducation. Il est important que le savoir soit accessible à tous ceux et celles qu’il intéresse mais cette démocratisation du savoir ne doit pas être confondue avec une massification de l’université. La mobilisation étudiante permet, dans l’espace public, de repenser le monde et s’effectue au nom des générations futures. Ces étudiantEs, non seulement leurs porte-parole mais tous ceux et celles entenduEs dans la rue ou dans les médias, ont démontré créativité, solidarité et rigueur de pensée. Ces étudiantEs, que plusieurs considéraient comme amorphes, apolitiques, individualistes voire même comme des « demi-civilisés », ont poussé le Québec à la maturité.

Ainsi, après plus de six mois d’absence en classe pour plusieurs d’entre nous, il nous semble que nous ne pourrons plus enseigner ou étudier de la même façon. Cette grève étudiante laissera des marques. Les prochaines générations étudiantes seront en classe empreintes d’une nouvelle conscience sociale puisque cette grève aura permis de retrouver la capacité d’agir collectivement et l’espoir d’un monde meilleur. Il est encore possible de faire société et l’éducation est l’une des assises de ce grand projet.

« L’éducation pour faire société » est le thème de ces premières journées d’étude qui se tiendront les 26 et 27 octobre 2012 au Pavillon J.A. De Sève, UQÀM-DS-R510.

Une conférence publique intitulée « Quel projet éducatif pour le Québec ? » permettra, le vendredi soir, de brosser un bref historique de l’évolution du système d’éducation québécois depuis la Réforme Parent dans le but de saisir comment le Québec a dévié de la démocratisation alors mise de l’avant et d’identifier des façons d’y revenir. La journée du samedi sera consacrée à débattre des dérives technicistes et économicistes de l’éducation. Enfin, les étudiantEs sont chaudement invitéEs à participer à ces journées d’étude. Le programme sera disponible sous peu ainsi que les pistes de réflexion qui y seront abordées. ■


■■ Claire Fortier, Collège Édouard-Montpetit ■■ Diane Lamoureux, Université Laval ■■ René Lapierre, Université du Québec à Montréal ■■ Rafaëlle Sinave, Cégep de St-Jérôme

Diane Lamoureux

professeure, département de science politique, Université Laval

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