Édition du 23 avril 2024

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Économie

La Bourse au plus haut, l’économie au plus bas

Le découplage total entre la finance et l’économie réelle, au sens où la première fait d’autant plus plonger la seconde qu’elle se porte (apparemment) à merveille, a rarement eu une illustration aussi éclatante qu’aujourd’hui. La récession s’installe en Europe, et les bourses européennes sont en excellente forme, sans parler du Dow Jones qui bat tous ses records historiques.

(tiré du site de Jean Gadrey)

Voici les graphiques du CAC 40 puis du Dow Jones depuis quinze ans (source : http://www.boursier.com/indices/graphiques/), suivis du graphique des taux de croissance (OCDE d’après Eurostat) depuis le début 2011 pour la zone euro et pour les États-Unis (croissance par rapport au trimestre précédent). Même quand on a des doutes sur la fiabilité et la précision de ces derniers chiffres, ce qui est mon cas, le plongeon de l’activité, également reflété par la progression du taux de chômage dans la zone euro, est évident. On peut cliquer sur les graphiques pour les agrandir.

Le plus étonnant dans les graphiques précédents n’est pas que la zone euro soit dans le rouge depuis 18 mois : c’était prévu, sinon programmé. Ce n’est pas non plus que ces mêmes 18 mois aient vu une très belle progression du CAC 40, de 2800 points à près de 4000.

Non, le plus étonnant c’est que l’économie états-unienne connaisse depuis plus de deux ans une croissance moyenne annuelle inférieure à 2 %, SOIT UNE CROISSANCE DU PIB PAR HABITANT DE 1 % SEULEMENT, EN DÉPIT DE L’INJECTION MASSIVE DE LIQUIDITÉS PAR LA FED (actuellement 85 milliards de dollars PAR MOIS), une injection qui explique l’essentiel de l’explosion boursière (un doublement depuis le début 2009) mais aussi la forte reprise de l’immobilier (prix en hausse de 10 % en un an). Le décrochage de l’économie réelle par rapport aux cours boursiers, et de l’investissement réel par rapport à l’investissement spéculatif, est en réalité bien plus massif encore aux États-Unis !

ÉTATS-UNIS : UNE BULLE QUI VA ÉCLATER, COMME TOUJOURS

Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous… dit Bérénice à Titus. Pour ce qui est de la bulle boursière actuelle, elle éclatera probablement entre « dans un mois » et « dans un an » à New York, et « nous » souffrirons. L’économie américaine entrera en récession en 2014 ou avant. Je ne me livre presque jamais à ce genre de prophétie, mais je vais cette fois engager le pari, en admettant qu’il n’est pas sans risque. La dernière fois, je l’avais gagné, c’était peu avant l’éclatement de la « bulle Internet ».

Si cela se produit, l’économie mondiale, Chine et zone euro comprises, sera entraînée vers le bas dans des conditions probablement pires que celles de 2008-2009.

Faut-il en passer par là pour prendre, dans l’urgence et dans la douleur, les mesures de contrôle de la finance qui nous auraient évité les crises précédentes, ou qui, à tout le moins, nous auraient permis de les gérer et d’engager la nécessaire transition écologique et sociale ?

Bérénice : «  Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !  »

Jean Gadrey

Jean Gadrey, né en 1943, est Professeur honoraire d’économie à l’Université Lille 1.
Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères).
S’y ajoutent En finir avec les inégalités (Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques), réédité en 2012 avec une postface originale.
Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.

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