Édition du 16 avril 2024

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Afrique

La dette en Afrique subsaharienne et les différentes initiatives contre la dette

Au lendemain de la vague d’indépendances qui a frappé les pays d’Afrique subsaharienne - dont certains ont dû rembourser des dettes héritées de la période coloniale - les anciennes colonies et leurs banques ont massivement prêté à ces États. Plusieurs facteurs expliquent cet afflux de capitaux vers l’Afrique subsaharienne : le contexte de Guerre froide, la nécessité pour les banques du Nord de placer leurs capitaux dans les années 1970, la nécessité pour les pays du Nord d’écouler leur production dans le contexte de crise issu du choc pétrolier de 1973. Face à la hausse des taux d’intérêt impulsée par la FED et à la baisse des cours des matières premières dans les années 1980, une crise de la dette explose dans ces pays. La dette va devenir un système de captation des ressources empêchant ces États de mener un développement économique et social autonome. Face à ce problème structurel, les initiatives dites d’allègement de la dette africaine n’ont jamais permis d’apporter de solutions, elles ont simplement fait en sorte que les pays d’Afrique subsaharienne continuent à rembourser leurs créanciers.

Tiré du site du CADTM.

Introduction

Le processus d’endettement des Etats africains remonte à la période de la colonisation. En effet, après les indépendances, les pays libérés du joug colonial et de la phase d’occupation, se retrouvent avec très peu d’infrastructures susceptibles de concourir à la réalisation de leurs idéaux de construction nationale. En plus, il faut mentionner les dettes que les métropoles coloniales ont mises sur le dos des pays africains suite à leur indépendance : la Belgique, la France et la Grande Bretagne ont notamment transféré vers des pays nouvellement indépendants comme le Congo, la Mauritanie, des pays de l’Est africain [1], des dettes qu’elles avaient acquises auprès de la Banque mondiale.

Dans son livre Banque mondiale : Une histoire critique paru en 2022 [2], Éric Toussaint a mis en évidence le fait que la dette que la Belgique avait contractée auprès de la Banque mondiale au cours des années 1950 a été indûment mise à charge du peuple congolais grâce à la complicité de Mobutu qui avait organisé l’arrestation puis participé activement à l’assassinat de Lumumba.

De quoi s’agit-il ? En violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la Banque mondiale a octroyé des prêts à la Belgique, à la France, à la Grande-Bretagne, pour financer des projets dans leurs colonies [3]. Comme le reconnaissent les historiens de la Banque mondiale : « Ces prêts qui servaient à alléger la pénurie de dollars des puissances coloniales européennes, étaient largement destinés aux intérêts coloniaux, particulièrement dans le secteur minier, que ce soit par l’investissement direct ou l’aide indirecte, comme pour le développement du transport et des mines » [4]. Ces prêts permettaient aux pouvoirs coloniaux de renforcer le joug qu’ils exerçaient sur les peuples qu’ils ont colonisés. Ils contribuaient à approvisionner les métropoles coloniales en minerais, en produits agricoles, en combustibles. Dans le cas du Congo belge, les millions de dollars qui lui ont été prêtés pour des projets décidés par le pouvoir colonial ont presque totalement été dépensés par l’administration coloniale du Congo sous forme d’achat de produits exportés par la Belgique. Le Congo belge a « reçu » en tout 120 millions de prêts (en 3 fois) dont 105,4 millions ont été dépensés en Belgique [5]. Pour le gouvernement de Patrice Lumumba, il était inconcevable de rembourser cette dette à la Banque mondiale alors qu’elle avait été contractée par la Belgique pour exploiter le Congo belge. La Banque mondiale et la Belgique ainsi que la France et la Grande Bretagne ont agi en violation du droit international en faisant porter dans les années 1960 par leurs anciennes colonies la charge de dettes contractées pour les exploiter.

Les politiques d’endettement adoptées par les anciennes colonies, ont été encouragées par le contexte international tant sur le plan économique que politique. Dans la situation de Guerre Froide, les pays occidentaux du bloc de l’Ouest et la Banque Mondiale utilisent les emprunts pour contrer l’expansion du socialisme sur le continent africain. Selon Joseph E. Stiglitz : « Dans de nombreux cas, les prêts étaient destinés à corrompre des gouvernements pendant la guerre froide. Le problème n’était pas alors de savoir si l’argent favorisait le bien-être du pays, mais s’il conduisait à une situation stable ». Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 provoquent également une crise économique en Europe et aux Etats-Unis et les pays occidentaux cherchent des débouchés pour leurs productions industrielles. Les prêts accordés à l’Afrique leur permettent d’écouler leurs productions notamment par la pratique de « l’aide liée », c’est-à-dire des prêts sous forme de crédits à l’exportation. Par exemple, un pays prête 1 million de francs CFA au Mali à taux réduit sous condition qu’il achète pour un million de marchandises à ce même pays. « Cela revient en bout de course à subventionner indirectement les grandes entreprises du Nord et à faire payer les intérêts par les peuples africains » selon Damien Millet dans L’Afrique sans dette, CADTM Edition Syllepse, 2005. C’est ainsi que les stocks des dettes des pays du Sud n’ont cessé de croître atteignant souvent des niveaux de surendettement. De 1960 à 1970, le stock de la dette des pays du Tiers-Monde est passé de 8 milliards à 70 milliards de dollars.

État des lieux de la dette publique des États de l’Afrique subsaharienne

Actuellement, la dette pèse lourd dans les budgets nationaux des États africains : beaucoup de pays se sont fortement endettés ces dernières années, parfois de manière inconsidérée, notamment par l’émission d’« eurobonds ». Une majorité de pays dépensent plus pour la dette que pour la santé. Par exemple, le Cameroun consacre 23,8 % de ses recettes au service de la dette, contre 6,9 % à la santé. Cette année, le continent devrait en tout payer 44 milliards de dollars d’intérêts à ses créanciers extérieurs.

L’encours de la dette extérieure publique de l’Afrique subsaharienne a triplé entre 2010 et fin 2018, passant de 160 milliards $US à environ à 600 milliards de dollars, dont 500 milliards à long terme, composés de 370 milliards dus à des organismes publics et 130 dus à des sociétés privées. Pour certains pays, le service de la dette représente plus de 25 % de leurs revenus, les pays dépensent plus dans le remboursement de dette qu’ils n’en consacrent aux services essentiels. Les pays riches investissent 8 % de leur PIB dans des mesures de relance économique, tandis que les pays africains n’y consacrent que 0,8 % de leur PIB.

On note l’introduction de nouveaux acteurs dans l’accentuation de l’endettement de l’Afrique subsaharienne, mettant ainsi en péril l’hégémonie des créanciers traditionnels dans son endettement. En effet, l’Afrique subsaharienne est devenue le lieu d’affrontement d’intérêts des créanciers traditionnels et des puissances émergentes, accentuant son enlisement dans la spirale de l’endettement. La Chine apparait aujourd’hui comme le principal créancier des États au sud du Sahara. Les montants de prêts que la Chine a accordé aux pays africains n’ont cessé de croitre puisqu’ils ont presque quadruplé en moins de dix ans, passant ainsi de 40 milliards de dollars en 2010 à 153 milliards en 2019.

Très avide des matières premières de l’Afrique, la Chine a ouvert une rivalité avec les créanciers classiques en offrant des opportunités et des conditions d’endettement autres que celles qui étaient naguère proposées aux Etats africains.

Ce nouvel acteur affiche ses modalités d’endettement comme la marque d’une supposée générosité pour renforcer la coopération Sud-Sud. Si la Chine adopte aujourd’hui d’autres stratégies dans l’endettement des pays africains, ses visées ne diffèrent pas fondamentalement de celles des créanciers traditionnels dans la mesure où elle s’inscrit dans la même accumulation des richesses et la maximisation du profit fondées sur le productivisme.

Impact de la dette sur le développement socioéconomique et culturel des Etats de l’Afrique subsaharienne

Les fortes sommes que les États au Sud du Sahara consacrent chaque année pour assurer le service de leurs dettes ont de graves répercussions sur les secteurs socioéconomiques de développement tels que la santé, l’éducation, l’accès à un emploi décent, l’accès à l’électricité et à l’eau potable. Les États africains compromettront davantage leurs chances dans l’atteinte des objectifs du millénaire pour le développement (ODD) tant qu’ils continueront d’appliquer les politiques néolibérales. Les budgets alloués au fonctionnement des secteurs socioéconomiques de développement en Afrique subsaharienne – déjà insignifiants pour stimuler un vrai développement socio-économique – connaîtront une diminution conséquente à cause de l’apparition de la double crise sanitaire et sécuritaire partout en Afrique subsaharienne. Si l’on s’en tient aux déclarations du Magazine One au Sénégal posté le 18 août 2020, dix ans après la déclaration d’Abuja en 2011 sur le financement de la santé publique, seule la Tanzanie avait “atteint l’objectif de la Déclaration d’Abuja, à savoir “au moins 15 %”, tandis que 11 pays avaient “réduit leur contribution relative aux dépenses publiques de santé au cours de la période”.

Aujourd’hui, le constat sur les indicateurs de performance du système sanitaire en Afrique subsaharienne est alarmant. En effet, selon le magazine, au moment où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise un ratio de 7 médecins et 30 lits d’hôpitaux pour 100 000 habitants, l’Afrique subsaharienne n’en compte respectivement qu’un 1 et 10.

Le même magazine ajoute que dans la même région, les dépenses de santé restent dix fois inférieures à la moyenne mondiale. L’espérance de vie est inférieure de 14 ans à la moyenne mondiale. Un Africain a deux fois plus de chances de mourir à la naissance qu’un autre habitant de la Terre.

En ce qui concerne le ratio personnel de santé/population, les complications post-opératoires sont devenues un problème de santé publique, l’Afrique ne compte que 0,7 spécialiste (chirurgiens, obstétriciens, anesthésistes...) pour 10.000 habitants contre 20 à 40 recommandés. Les chefs d’État africains au Sud du Sahara ont encouragé la privatisation de la santé avec une volonté affichée d’appliquer de manière inconditionnelle des programmes d’ajustement structurel depuis le début des années 90.

Dès lors que les Etats en Afrique subsaharienne se sont investis dans l’application sans faille de ces programmes en réduisant drastiquement les montants de leurs budgets alloués à l’Éducation, on a également assisté à la privatisation de l’éducation, accordant ainsi plus d’importance à la maximisation du profit plutôt qu’à la qualité de l’enseignement. Certains États ont coupé les bourses aux élèves et étudiant·es et d’autres ont diminué et durci leurs conditions d’octroi. Il faut aussi noter qu’en voulant prioriser la pérennité du service de la dette, l’État malien s’est désengagé de la construction de nouvelles infrastructures scolaires, obligeant les parents d’élèves à se tourner vers le privé.

Enfin, le service de la dette a été préjudiciable à la promotion de l’emploi décent au Sud du Sahara. Dans le contexte africain, les PAS ont liquidé et privatisé la plupart des entreprises d’État. À cause du paiement du service de la dette, les États n’accordent plus de budget conséquent pour la promotion d’un emploi décent. La précarité des emplois en Afrique subsaharienne repose essentiellement sur la priorisation du service de la dette. Par exemple, ce qui concerne le chômage des jeunes, le Fonds des Nations Unies pour la population, dans une étude monographique sur la démographie, la paix et la sécurité au Sahel, cas du Mali, conduite en 2019, présente une dynamique démographique à prédominance juvénile. Cette étude déplore l’exposition d’un grand nombre de jeunes à un chômage endémique et à un sous-emploi chronique. Déjà en 2016 selon le même rapport, le taux de chômage des jeunes de 15 à 19 ans au Mali s’élevait à 40,3%. Dans le contexte africain, la scolarisation ne concerne qu’une infime partie de la population. Si la politique de l’emploi reste en l’état au Mali, de nombreux jeunes s’enliseront davantage dans le sous-emploi et le chômage. C’est d’ailleurs ce qu’annonce Ivan Postel, responsable d’équipe projet et référent emploi décent à l’Agence française de développement : « D’ici 2030, près de 350 millions de jeunes arriveront sur le marché du travail dans le monde, dont la moitié en Afrique. Pour qu’un maximum d’entre eux aient accès à des emplois décents, la croissance économique ne suffira pas. Des politiques plus ambitieuses doivent être mises en place ».

Ce constat fait par Ivan Postel remet en cause l’optimisme affiché par les laudateurs de l’amélioration de la croissance économique de l’Afrique subsaharienne avant l’avènement de la Covid-19 comme gage de développement. À cette époque le taux moyen de croissance économique en Afrique subsaharienne était largement au-dessus de celui des puissances occidentales, certains pays comme la Guinée équatoriale et l’Angola affichaient des taux de croissance à deux chiffres, de 20% et plus. Malheureusement, cette amélioration du taux de croissance économique dans cette partie de l’Afrique à cette période s’est accompagnée d’une accélération du processus de surendettement, compromettant ainsi les chances d’atteindre les objectifs du millénaire pour le développement. Une analyse de la dynamique de la dette publique des États africains fait ressortir que le nombre d’émissions d’obligations internationales par les pays africains a fortement augmenté, atteignant un total estimé à plus de 155 milliards d’USD fin 2019.

Les espoirs fondés sur les effets d’annonce de l’amélioration des conditions de vie et d’existence grâce à une embellie du taux de croissance économique à cette période se sont effondrés dans la mesure où les budgets alloués au fonctionnement des services sociaux de base ont connu une baisse drastique ou à tout le moins sont restés stationnaires.

Les initiatives dites d’allègement de la dette africaine, une fausse solution à un vrai problème

Les solutions proposées par les créanciers pour juguler la crise de la dette se sont toutes avérées contreproductives. D’abord, dès l’éclatement de la crise de la dette en 1982, pour empêcher d’autres pays de suivre le Mexique dans son incapacité de rembourser sa dette extérieure, les créanciers ont mandaté la Banque mondiale et le Fonds monétaire international pour imposer aux pays du tiers monde des politiques néolibérales. Ces politiques néolibérales ont eu pour corolaire la dévaluation de la monnaie nationale pour stabiliser l’économie dans les plus brefs délais ; la réduction de façon drastique du déficit de la balance des paiements en réduisant les dépenses publiques et en augmentant les impôts afin de dégager des ressources pour payer la dette ; la réduction drastique des dépenses courantes (les salaires des fonctionnaires, militaires compris), la libéralisation intégrale des importations et des exportations, l’élimination des barrières douanières de protection des produits nationaux ; et la privatisation et liquidation des entreprises d’État assorties de licenciements massifs de travailleur·euses... Contrairement à leurs objectifs proclamés, les programmes d’ajustement structurel n’ont pas pu rétablir les équilibres budgétaires et commerciaux tel qu’annoncé, ils ont exacerbé les revendications sociales puisque les pays qui les ont appliqués se sont retrouvés 3 fois plus endettés et le plus souvent plus pauvres.

Face à l’enlisement des États au Sud du Sahara dans un surendettement aggravé par l’imposition des PAS, les créanciers à travers les institutions de Bretton Wood ont lancé l’Initiative pays pauvres très endettés (initiative PPTE, en anglais : HIPIC) en 1996. Officiellement, elle avait pour objectif d’apporter une assistance exceptionnelle aux PPTE afin de les aider à réduire le poids de la dette extérieure à un niveau soutenable. Il s’agissait pour la BM et le FMI de concéder un allègement de la dette de façon à s’assurer que les pays surendettés puissent continuer à rembourser. Il faut rappeler que les Critères d’éligibilité à cette initiative étaient rigoureux à telle enseigne que très peu de pays en ont bénéficié. Pour bénéficier d’un allégement de dette dans le cadre de l’initiative PPTE, les étapes étaient nombreuses et exigeantes.

Tout d’abord, les pays devaient, selon le FMI, « avoir un degré d’endettement intolérable ». Le pays concerné devait signer un accord avec le FMI afin de mener pendant trois ans une politique économique approuvée par Washington. Cette politique s’appuyait sur la rédaction d’un Document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP). Par exemple, dans le cas du Mali, les autorités politiques devaient s’engager à l’élaboration du CSLP/CSCRP ; la mise en œuvre des réformes dans les secteurs sociaux (santé, éducation, et promotion de la femme) ; la privatisation des entreprises publiques (EDM/SOTELMA) ; la réforme de la filière coton ; l’amélioration du cadre réglementaire des affaires.

Les deux initiatives précédentes PAS et IPTTE n’ont pas réussi à résoudre la crise de la dette en Afrique, elles l’ont tout au contraire exacerbée. Aujourd’hui, l’encours de la dette extérieure des pays qui ont expérimenté ces deux initiatives demeure parfois surélevé par rapport à ceux qui n’ont pas bénéficié de l’IPTTE.

Les créanciers débordant d’ingéniosité pour maintenir l’Afrique dans le piège de l’endettement vont encore une fois lancer l’Initiative d’Allègement de la Dette Multilatérale (IADM) en 2005. En effet, les pays du G8 ont conclu un accord en 2005 portant sur l’annulation totale de 100% de la dette multilatérale des pays pauvres très endettés ayant atteint le point d’achèvement de l’Initiative PPTE. La dette du Mali envers la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et le groupe de la Banque Africaine de Développement était concernée par cette initiative.

L’IADM entendait fournir des ressources additionnelles aux quarante pays pauvres éligibles à l’Initiative PPTE, pour les aider à progresser vers la réalisation des objectifs du millénaire dont la réduction de moitié de l’extrême pauvreté et de la faim dans le monde. Elle prévoit l’annulation de 100% du stock de la dette multilatérale contractée avant le 1er janvier 2005 pour le FMI et le Fonds Africain de Développement (FAID) et avant le 1er janvier 2004 pour l’Agence International de Développement (AID/IDA). L’IADM doit répondre au critère d’additionnalité, cela signifie que chaque dollar annulé devra être refinancé par la communauté internationale. L’annulation ne se substitue pas aux financements futurs. Cette annulation ne concerne pas le service de la dette qui continue de s’accroître et dont le remboursement constitue toujours une priorité pour les pays du sud.

Enfin, l’Initiative de suspension du service de la dette des pays dits les plus pauvres (ISSD) constitue le nouveau-né des fausses solutions imposées par le club de Paris et le G20 comme une alternative à l’endettement des pays africains. Cette initiative a été imposée aux pays africains en lieu et place des solutions plus radicales telles que celles exprimées en mars 2020 par le chef d’Etat sénégalais Macky Sall. Il a exigé une annulation de la dette publique africaine et un rééchelonnement de la dette privée dans le contexte de la pandémie de Covid-19. La résurgence d’une telle exigence intervient dans un contexte où l’Afrique subsaharienne fait face à une récession économique dont la conséquence est la baisse drastique du taux moyen de sa croissance économique.

Face à la pandémie de Covid-19, le G20 a opté le 15 avril 2020 pour un report des échéances du service de la dette dues par 77 pays, du 1er mai 2020 au 31 décembre 2020. Ce report concernait 40 pays africains, pour un montant de 20 milliards de dollars. Pour la France, qui détient 45 milliards de créances sur 41 pays africains, l’effort porte sur 1 milliard d’euros, dont 300 millions d’euros dus à l’AFD. En revanche, il n’y a pas de moratoire sur les dettes privées, alors que les 68 pays éligibles devaient verser près de 10,22 milliards de dollars à des créanciers privés. Les 46 pays qui ont bénéficié de la suspension du service de la dette devaient verser 6,94 milliards à des créanciers privés. Cela représente 1,64 milliards de dollars de plus que ce qu’ils reçoivent des créanciers bilatéraux au titre de la suspension de la dette. En marge des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI, qui se tiennent du 12 au 18 octobre, les ministres des Finances du G20 se sont réunis mercredi 14 octobre 2020 et ont décidé de prolonger de 6 mois, jusqu’au 30 juin 2021, l’ISSD.

La liste des bénéficiaires a été réduite à 73 dont 46 pays avaient confirmé leur participation à l’ISSD, 4 pays étant exclus en raison de leurs arriérés envers le FMI ou la Banque mondiale (Érythrée, Soudan, Syrie et Zimbabwe). D’après les analyses conjointes de la Banque mondiale et du FMI sur la viabilité de la dette, parmi les 26 pays qui n’ont pas demandé à rejoindre l’initiative, 11 pays présentaient un risque élevé de surendettement en août 2020. Il s’agit du Ghana, d’Haïti, du Kenya, de Kiribati, du Laos, des îles Marshall, de la Micronésie, des Samoa, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, de Tuvalu et de la Zambie. Le montant total de la suspension est de 5,3 milliards de dollars, cela ne représente que 1,66% de ce que l’ensemble des pays en développement doivent rembourser. Selon la Banque mondiale, la dette des 73 pays a augmenté de 9,5 % en 2019, atteignant un record de 744 milliards de dollars US.

Rappelons tout de même que le montant global de la dette des pays éligibles à l’initiative du G20 est estimé à un peu plus de 750 milliards de dollars, soit 1 % du PIB du G20 de 2019 (78 286 milliards dollars), moins que le plan d’aides adopté par le parlement allemand (1100 milliards d’euros) ou que celui des États-Unis (2000 milliards de dollars) … Une goutte d’eau dans l’océan de la finance ! L’annulation de la dette est économiquement possible mais il n’y a pas de volonté politique pour aller dans ce sens. Si l’UE et les États-Unis ont pu débloquer 2 500 milliards de $US pour soutenir leurs économies depuis le début de la crise, effacer la dette de 3 000 milliards de $US des 135 pays du Sud, soit 83 % de la population mondiale, ne semble pas être un obstacle insurmontable. Surtout qu’un fonds fiduciaire destiné à compenser les pertes des institutions multilatérales avait été créé et financé par les contributions des bailleurs et la vente des réserves d’or du FMI. Cette annulation pourrait être financée par les bénéfices provenant de la seule vente de 6,7 % de l’or détenu par le FMI qui rapporterait 8,2 milliards de dollars aux pays pauvres.

Si l’on considère l’importance des sommes d’argents qui s’évadent à travers les crimes financiers et économiques, tels que la fraude et l’évasion fiscales, le pillage des ressources, la corruption, les fausses solutions apparaissent comme dérisoires. À titre d’illustration, Global Finance Integrity et la Banque Africaine de Développement ont estimé la fuite illicite de capitaux entre 1970 et 2008 à plus de 1000 milliards de dollars rien que pour les pays africains. Cela représente environ 4 fois le montant de la dette de l’Afrique et 56% de son PIB en 2008. « L’hémorragie illicite des ressources de l’Afrique représente près de quatre fois sa dette extérieure », constate un rapport conjoint de la Banque africaine de développement (BAD) et de Global Financial Integrity.

Les Prêts des banques du Nord aux États du Sud en 2011 étaient de 124 milliards de dollars. Et le dépôt des riches des pays en développement (PED) dans les banques du Nord en 2007 était de 2 380 milliards de dollars. De plus, environ 450 entreprises, ont déclaré des chiffres d’affaires inférieurs aux marchés publics qui leur ont été attribués en 2010 et 2011.

La Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA), révèle que les flux financiers illicites en provenance d’Afrique, dus à des manipulations frauduleuses, représentent un montant de 50 milliards de dollars américains par an. En considérant que 1 dollar est égal à 500 Francs CFA, cela signifie que chaque année, l’Afrique perd vingt-cinq mille milliards de francs CFA (25 000 000 000 000 F CFA). De quoi financer plusieurs fois les Objectifs de Développement Durable (ODD) visant à sortir de la misère des centaines de millions d’êtres humains, puisque selon J. Boyce et L. Ndikumana (2002) : « entre 1970 et 1996 la fuite accumulée des capitaux privés à partir des 30 pays les plus endettés d’Afrique subsaharienne représentait 170% du PIB de la région, ce qui a forcément décimé les investissements et les recettes fiscales en Afrique ».

Par ailleurs, le crime financier et économique est entretenu par une prédation des richesses et des biens de l’Etat par une élite oligarchique en Afrique subsaharienne.

Les détournements de deniers publics, l’enrichissement illicite et la corruption sont érigés en mode de gouvernance dans les plus hautes sphères de l’administration publique. Si l’on en croit Jean Baptiste Natama, secrétaire permanent du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, il est insupportable qu’un pays comme le Burkina Faso, chroniquement endetté, perde au moins 25% de son PIB à travers la corruption.

Par leur politique, le FMI et la Banque mondiale alimentent la faible captation des ressources fiscales. Le FMI préfère imposer la TVA plutôt que des impôts progressifs sur les revenus et les entreprises. La Banque mondiale empêche également toute redistribution équitable des richesses avec le Doing Business. Ces deux institutions ont fortement pesé sur la définition/révision des codes miniers, des investissements pétroliers, forestiers, etc, très favorables aux grandes entreprises. Au nom du remboursement de la dette, l’Afrique brade ses ressources et est forcée par les créanciers de céder les exploitations aux multinationales étrangères.

Au Mali, par exemple, le montant total des exonérations s’élevait à 203,4 milliards de francs CFA en 2015, soit trois fois et demi le budget de l’éducation. Au Mali toujours, dans un rapport d’enquête publié en 2007, la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH), a constaté que 890 sur 900 grammes d’or disparaissent dans les mines d’or. Cela veut dire que la quantité réellement produite n’est pas déclarée.

Quant aux Investissements Directs Etrangers (IDE), les rapatriements de profits vers les maisons-mères ont augmenté de 16 à 342 milliards de dollars entre 1990 et 2010. Selon le BIT : « Il ne sert à rien d’attirer les investissements étrangers pour des emplois à n’importe quel prix si tout ou partie des gains qui en résultent ne restent pas dans le pays. » Le problème est donc la capacité des PED à gérer les tensions entre les objectifs de développement et les intérêts financiers des firmes transnationales, qui détermine le degré d’efficacité des IDE en termes de développement.

Le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes dans une posture radicale de l’annulation de la dette des Etats de l’Afrique Subsaharienne

Dans la suite logique des campagnes des années 2000 pour l’annulation de la dette, d’autres campagnes nationales et internationales pour l’annulation de la dette ont été lancées avec l’apparition du Covid-19, afin de permettre aux Etats africains de faire face à la crise sanitaire et de mettre en œuvre un plan de relance économique post Covid-19. C’est ainsi que l’initiative d’annulation de la dette africaine (IADA) a été mise en place au Sénégal. Cette plateforme a mobilisé des acteurs comme le réseau CADTM, qui y a apporté un soutien critique, Eurodad, Womin, Afrodad etc autour du slogan de l’annulation pure et simple. Dans cette synergie d’actions, les différentes structures impliquées dans cette campagne de l’annulation de la dette africaine ont lancé à l’endroit des Chefs d’Etats africains, des Chefs d’Etats du G8 et des institutions financières internationales, des déclarations pour réitérer l’appel de Thomas Sankara sur le refus du remboursement de la dette le 29 juillet 1987, à la 25e conférence des Chefs d’Etats africains en Ethiopie.

Conclusion

Somme toute, au regard de l’enlisement des États de l’Afrique Subsaharienne dans le piège de l’endettement malgré l’énormité et la diversité de leurs richesses, la fuite de leurs capitaux à travers la fraude et l’évasion fiscales, la perte d’importantes sommes d’argent qu’ils subissent à travers le libre échange et l’échec avéré des fausses solutions à la crise de la dette africaine, le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes reste intransigeant pour exiger l’annulation pure et simple de la dette africaine, publique extérieure illégitime.

Notes

[1] Les colonies concernées par les prêts de la Banque mondiale sont pour la Belgique, le Congo belge, le Rwanda et le Burundi ; pour la Grande Bretagne, l’Afrique de l’Est (comprenant le Kenya, l’Ouganda et la future Tanzanie), la Rhodésie (Zimbabwe et Zambie) ainsi que le Nigeria auxquels il faut ajouter la Guyane britannique en Amérique du Sud ; pour la France, l’Algérie, le Gabon, la Mauritanie, l’Afrique occidentale française (Mauritanie, Sénégal, Soudan français - devenu Mali, Guinée, Côte d’Ivoire, Niger, Haute-Volta - devenue Burkina Faso, Dahomey - devenu Bénin).

[2] Éric Toussaint, Banque mondiale Une histoire critique, Syllepse, 2022 https://www.cadtm.org/Banque-mondiale-une-histoire-critique

[3] Les colonies concernées par les prêts de la Banque mondiale sont pour la Belgique, le Congo belge, le Rwanda et le Burundi ; pour la Grande Bretagne, l’Afrique de l’Est (comprenant le Kenya, l’Ouganda et la future Tanzanie), la Rhodésie (Zimbabwe et Zambie) ainsi que le Nigeria auxquels il faut ajouter la Guyane britannique en Amérique du Sud ; pour la France, l’Algérie, le Gabon, la Mauritanie, l’Afrique occidentale française (Mauritanie, Sénégal, Soudan français - devenu Mali, Guinée, Côte d’Ivoire, Niger, Haute-Volta - devenue Burkina Faso, Dahomey - devenu Bénin).

[4] KAPUR, Devesh, LEWIS, John P., WEBB, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 1, p. 687.

[5] Le fait que la Belgique soit bénéficiaire des prêts au Congo belge peut être déduit d’un tableau publié dans le quinzième rapport de la Banque mondiale pour l’année 1959-1960. IBRD (World Bank), Fifteenth Annual Report 1959-1960, Washington DC, p. 12.

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