Édition du 26 mars 2024

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Planète

La gauche doit défendre les droits des animaux

Depuis quelques années, nous parlons beaucoup du statut juridique des animaux et de l’impact environnemental de l’élevage. Toutefois, la question des droits des animaux est encore très marginale dans la société. Elle doit aujourd’hui être inclue dans le projet politique de la gauche.

Par Frédérick Fortier

La période électorale que nous connaissons actuellement n’est guère réjouissante, et ce pour plusieurs raisons. À l’exception de la campagne intéressante de Québec solidaire, la remise en cause du système électoral représentatif et du soit-disant pouvoir du vote des citoyen.nes est tout simplement absente. La pauvreté des débats entre les trois grands partis est remarquable. Ultimement, il faut s’attendre à l’élection probable de la CAQ, un parti conservateur ne promettant que plus d’austérité, plus d’inégalités sociales, plus de corruption et de pollution. Je voudrais en ajouter une que l’on évoque moins souvent : l’absence complète des droits des animaux dans le débat politique au Québec. Les animaux sont les grands oubliés des discussions politiques pour la simple raison qu’il ne s’agit pas d’êtres humains. Pourtant, ils devraient y être.

Je veux ici expliquer en quoi le mouvement pour les droits des animaux est profondément lié à des questions sociales et politiques et pourquoi la gauche politique devrait intégrer cette question dans sa lutte. Il y a différents types de raisons pour lesquelles la gauche ne peut plus nier les droits des animaux aujourd’hui. J’évoquerai ici trois types de raisons pour défendre cette position. Le premier type est d’ordre empirique : il s’agit des liens inséparables entre l’exploitation animale, l’oppression humaine et la crise écologique. Le second type est stratégique : tenir compte de cette question peut renforcer les liens entre les mouvements sociaux au sein de la gauche, permettre au mouvement antispéciste de sortir de la marginalité, mettre fin à la fausse opposition des droits humains/droits des animaux et mieux lutter contre les changements climatiques. Finalement, pour des raisons de principes : les valeurs qui sont chères aux « progressistes » ne sont guère éloignées de celles du mouvement pour les droits des animaux.

Le spécisme et les droits des animaux


Mais avant, il faut expliquer deux idées importantes : le spécisme et les droits des animaux. Par spécisme, j’entends ici la discrimination des animaux selon l’espèce, celle qui justifie le sort réservé aux individus n’appartenant pas à l’espèce humaine. Dans notre société, nous exploitons les animaux dans l’élevage pour leur chair, lait et œufs, dans la chasse et la pêche, pour les vêtements (cuir, laine, fourrure), pour la recherche scientifique et l’expérimentation, pour de nombreux divertissements comme les zoos, les cirques, l’équitation ou les rodéos, pour le travail comme les calèches, ou encore pour la compagnie. Au niveau mondial, ce seraient 70 milliards d’animaux terrestres qui sont exploités et tués chaque année, potentiellement jusqu’à 3000 milliards d’animaux aquatiques et près de 100 millions d’animaux pour la recherche et les tests. Il faut ajouter à cela les autres formes d’exploitation que je viens de mentionner. Bref, le spécisme nous permet d’exploiter et de tuer des centaines de milliards d’animaux chaque année sous prétexte qu’il ne s’agit pas d’êtres humains.

Les « antispécistes » qui défendent le véganisme (le boycott de l’exploitation animale) et les droits des animaux, basent leur éthique sur des faits. Le fait principal est que d’autres animaux sur la planète sont conscients, ce qui est d’ailleurs reconnu par la Déclaration de Cambridge sur la conscience depuis 2012 et soutenu par des décennies de recherche en éthologie cognitive. De ce constat découle l’idée que nous ne devrions pas exploiter les animaux lorsque l’on peut faire autrement. Ainsi, les animaux devraient avoir des protections légales qui seraient des droits fondamentaux : droit à la vie, droit à l’intégrité physique et droit à la liberté. Contrairement à l’idée kantienne que seulement des sujets raisonnables ou rationnels peuvent avoir des droits, des philosophes comme Tom Regan ont défendu que le seul fait d’être un sujet conscient est suffisant pour se voir accorder des droits. Ce n’est donc pas la raison ou le langage qui compte moralement, mais la subjectivité et la conscience, ce que nous savons être possédé par au moins tous les animaux vertébrés et par certains animaux invertébrés.

Inclure la question animale dans le projet politique de la gauche

Le recherche empirique de ces dernières années a enrichi encore plus notre compréhension de la question animale. Le spécisme, de par sa nature profondément discriminatoire et violente, a servi de modèle pour opprimer les humains. Historiquement, plusieurs groupes furent réduits au statut d’animal. Que ce soit les esclaves africains ou les Premières Nations d’Amérique vues comme des « sauvages », des peuples entiers furent constamment comparés aux animaux et asservis comme eux. Les colons européens les considérèrent comme des « êtres irrationnels » qui méritaient leur sort car « inférieurs » à la « race » blanche. On nia aux peuples colonisés un quelconque degré de civilisation ou de rationalité. Ces peuples étaient vus comme n’ayant pas d’histoire, « comme les animaux », donc inférieurs. Le modèle est le suivant : les humains méprisent les animaux et les exploitent violemment, et font de même ensuite avec différents groupes. L’Autre est toujours présenté comme un animal devant être dominé et exploité, ou encore comme étant d’une autre « race » ou même d’une autre « espèce ». L’analyse de l’exploitation animale peut donc nous permettre de mieux comprendre des phénomènes comme des rapports de domination tels que la suprématie blanche, le racisme, l’esclavage et le colonialisme.

Il est également connu que l’exploitation animale affecte gravement la planète. Les besoins pour l’élevage accaparent l’équivalent des territoires de l’Europe, des États-Unis, de la Chine et de l’Australie combinés. L’élevage engendre une grande déforestation pour les pâturages en plus de polluer l’eau, l’air et la terre par l’accumulation de lisier. Il est la principale cause de GES, de méthane (encore plus polluant) et l’une des grandes causes de l’extinction des espèces et la destruction des habitats naturels. L’élevage nécessite aussi énormément d’eau, d’agriculture, de pétrole et d’énergie, comparativement à une alimentation à base de plantes. La pêche, quant à elle, fait disparaître un grand nombre d’espèces dans les prises recherchées et accessoires. À 7 ou 8 milliards d’êtres humains sur la planète, la pêche dite « durable » n’existe pas. De même, la chasse et le commerce mondial des animaux sauvages engendrent un profond choc dans la « toile du vivant », perturbant tous les services écologiques que rendent les animaux. Inversement, la destruction de l’environnement affecte aussi bien les animaux, ce qui rend inséparable la question animale et la question environnementale.

Cette question est donc pertinente au niveau stratégique car il y a beaucoup à gagner. La gauche ne peut ignorer de telles informations. En considérant ces réalités, il est opportun de marier les droits des animaux avec l’écologie et la justice sociale. Au Québec, le mouvement antispéciste est encore à ses débuts et a encore très peu d’impact sur les immenses lobbies que sont ceux de l’élevage et des pharmaceutiques par exemple. Une critique de gauche est donc nécessaire pour éviter que cette question ne demeure comprise par la population que comme une simple mode ou une éthique personnelle. La gauche peut sortir ce mouvement de la marginalité en le politisant, en en parlant dans les médias, dans des partis politiques comme Québec solidaire et bien sûr, dans les autres mouvements sociaux (écologiste, féministe, antiraciste, etc.) pour créer des ponts. En reconnaissant les liens entre justice humaine et justice animale, on peut enfin arrêter d’opposer les droits humains aux droits des animaux, mais plutôt les voir comme les deux faces d’une même médaille. De plus, les écologistes ne peuvent évacuer la libération animale en continuant d’être spécistes, puisque nous ne réglerons jamais la crise écologique sans abolir l’exploitation animale. Pour lutter contre les changements climatiques, il nous faut rompre certainement avec les énergies fossiles, mais aussi lutter contre le spécisme au même titre que le capitalisme et d’autres systèmes oppressifs.

Finalement, les principes de la gauche et des animalistes sont fortement similaires. Les valeurs de la gauche que sont l’égalité, la justice, la non-discrimination, la non-violence, les droits, l’inclusion, l’écologie, etc., sont également celles du mouvement pour les droits des animaux. La principale différence est que ce dernier cherche à les étendre au-delà de l’humanité. Il est clair que ce mouvement ne peut se situer à la droite politique et s’associer au conservatisme, car les valeurs conservatrices sont incompatibles avec celles d’un mouvement luttant pour une justice globale et réellement inclusive. La gauche ne peut que demeurer dans la contradiction en refusant d’accepter cette nouvelle lutte dans ses objectifs politiques.

Pour conclure

Ce texte a pour but de faire pression sur les progressistes et de mobiliser la gauche humaniste qui continue d’ignorer cette question. Il est certain que cela doit aller dans les deux sens. Le sexisme, le racisme ou le conservatisme n’ont aucune place dans le mouvement antispéciste et les tendances souvent apolitiques des animalistes doivent être dépassées. Il y a donc lieu de critiquer aussi bien le mouvement antispéciste. Néanmoins, un dialogue est nécessaire pour sortir de la crise actuelle qui s’aggrave constamment, risquant de mener la civilisation à un effondrement d’une violence inimaginable. Si les autres mouvements sociaux doivent aussi considérer cette question, il est clair que le rôle des progressistes sera nécessaire à sa politisation et à sa diffusion. Au XXIe siècle, le temps de la négation est donc bel et bien révolu : la gauche doit défendre les droits des animaux.

Notes

1.https://fr.wikipedia.org/wiki/Sp%C3%A9cisme
2. https://www.worldanimalprotection.org/our-work/animals-farming-supporting-70-billion-animals
3.http://fishcount.org.uk/fish-count-estimates
4.Andrew Knight, The Costs and Benefits of Animal Experiments, Palgrave Macmillan, 2011
5.Valéry Giroux et Renan Larue, Le véganisme, PUF, 2017
6.http://www.cahiers-antispecistes.org/declaration-de-cambridge-sur-la-conscience/
7..Tom Regan, Les droits des animaux, Éditions Hermann, 2013
8.Charles Patterson, Un éternel Treblinka, Calmann-Lévy, 2008
9.Marjorie Spiegel, The Dreaded Comparison : Human and Animal Slavery, Mirror Books, 1997
10. http://www.fao.org/3/a-a0701f.pdf
11.https://sciencepost.fr/2018/06/adopter-un-regime-vegetalien-serait-le-meilleur-moyen-de-sauver-la-planete/
12.Lisa Kemmerer (dir.), Animals and the Environment, Routledge, 2015

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