Édition du 23 avril 2024

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Politique canadienne

Un meilleur monde est possible

La logique autodestructrice de l’austérité

Aperçu économique et politique (TCA)

Les dépenses du gouvernement américain ont été réduites de manière draconienne, et les conséquences ont été les plus douloureuses au niveau de l’État et des municipalités. Par exemple, plusieurs communautés ont même éliminé les services de police et de pompiers en raison du manque de financement. Et ici au Canada, où les déficits sont considérablement moins élevés, les gouvernements à tous les paliers (fédéral, provincial et municipal) ciblent les programmes publics, les travailleuses et les travailleurs de la fonction publique, avec des compressions profondes qui reposent toutes sur une peur exagérée des déficits. Les déficits du Canada sont beaucoup plus petits que ceux d’autres pays, et nettement inférieurs à ceux que nous avons connus dans les années précédentes.

Le graphique 1 illustre la trajectoire de la dette publique au Canada, mesurée (de manière adéquate) comme part de notre PIB. Alors que le fardeau de la dette a rebondi un peu après la récession de 2008-2009, il est encore nettement inférieur à celui des années 1990, et n’est pas suffisamment élevé pour susciter des inquiétudes financières importantes. Et le fait que les taux d’intérêt restent très bas (précisément en raison de la crise mondiale qui perdure) signifie que les coûts d’intérêt du gouvernement ont en réalité baissé (comme part du PIB) en dépit de la hausse modeste de la dette (graphique 2).

En bref, il n’y a pas d’urgence fiscale au Canada, contrairement aux cris alarmistes de ceux qui saisiraient cette opportunité pour faire reculer de manière draconienne les programmes gouvernementaux (comme les pensions publiques, l’assurance-emploi et les soins de santé) qu’ils souhaitent diminuer depuis des décennies. En fait, lorsque toute l’économie est prise dans la morosité, il est de fait sensé de tolérer un déficit : cela soutient les dépenses et les emplois qui autrement disparaîtraient, ce qui aggraverait du même souffle la récession. Les efforts des conservateurs de tirer profit de la crise économique pour refaçonner profondément nos politiques sociales et nos services publics sont un autre exemple clair de la « stratégie du choc ». Par exemple, le premier ministre Stephen Harper a annoncé que les prestations de la Sécurité de la vieillesse seraient reportées de deux ans, et ne seraient pas versées avant l’âge de 67 ans. Il a prétendu que cette mesure était nécessaire pour réduire le déficit, même si le budget du gouvernement fédéral est équilibré en 2015, bien avant l’entrée en vigueur des changements au programme de la Sécurité de la vieillesse, et même si un défilé complet d’experts financiers (de l’actuaire en chef du gouvernement au directeur parlementaire du budget jusqu’à l’OCDE) a affirmé que le Canada peut certainement se permettre ses pensions publiques en place. Néanmoins, le gouvernement a décidé de limiter le programme de la Sécurité de la vieillesse, en volant deux ans des « années dorées » des Canadiennes et des Canadiens, tout cela justifié par une « crise » fiscale qui n’existe pas.

Nous rejetons catégoriquement l’idée que les Canadiennes et les Canadiens « ne peuvent plus se permettre » des programmes publics et des services essentiels que nous avons bâtis (et payés) lors des décennies précédentes lorsque notre économie n’était pas aussi productive ou riche que maintenant. Les déficits actuels des gouvernements fédéral et provinciaux sont modestes et gérables. Jusqu’à ce que l’économie sous-jacente retrouve son élan, la réduction des déficits ne devrait pas être la priorité. Les gouvernements devraient plutôt chercher à créer de l’emploi pour les Canadiennes et les Canadiens. Lorsqu’ils généreront à nouveau des revenus et paieront des impôts, nous serons alors pleinement en mesure de payer le plein prix de nos programmes publics essentiels.

Dans ce débat sur les finances du gouvernement, nous devons toujours nous rappeler que la crise économique a provoqué les déficits, et non l’inverse. Nous n’allons pas accepter de sacrifier les programmes publics pour lesquels nous nous sommes battus pendant des décennies en raison des conséquences fiscales de l’effondrement financier dont nous ne sommes pas responsables. Pire encore, en réduisant les dépenses et en éliminant des dizaines de milliers d’emplois du secteur public, les mesures d’austérité du gouvernement peuvent en réalité se retourner contre nous. En réduisant la croissance économique (ou même, comme en Europe, en provoquant une autre récession), les mesures d’austérité portent atteinte à la capacité de l’économie de payer pour les services publics, ce qui potentiellement pourrait aggraver le déficit.

En Europe, même les économistes traditionnels se réveillent devant les dommages énormes et inutiles qui ont été provoqués par des mesures d’austérité irréfléchies. Nous ne devons pas faire la même erreur ici.

Le moteur manquant du capitalisme

Toute la théorie économique de « percolation », si centrale au néolibéralisme, prétend que si l’on aligne les « éléments fondamentaux » de manière adéquate et que l’on crée un climat très favorable aux entreprises, l’esprit entrepreneurial des entreprises privées sera libéré. La vague d’investissement qui en résulterait (y compris de la part d’investisseurs étrangers qui chercheraient à tirer profit de rendements et d’impôts attrayants) créerait de nouveaux emplois, et une nouvelle richesse qui serait éventuellement partagée par les personnes au bas de l’échelle économique.

Cette théorie présente plusieurs lacunes. Même lorsque l’économie est florissante, il n’y a aucune garantie que les avantages seront partagés par l’ensemble de la société. C’est pourquoi les syndicats sont si essentiels. Sans eux, les travailleuses et les travailleurs ont peu de chance de saisir une juste part de la richesse qu’ils produisent.
Toutefois, ces dernières années, le raisonnement logique de cette théorie de percolation s’est brisé dès son premier maillon. En dépit de politiques qui ont créé un climat énormément favorable aux entreprises, l’effort économique réel des entreprises privées s’est affaibli, et non l’inverse. Grâce à une baisse d’impôts aux entreprises, à une réduction des coûts de main-d’œuvre et à une hausse importante des prix des biens de base, les rendements des entreprises au Canada n’ont jamais été aussi élevés (mesurés en part du PIB). Pourtant, les dépenses en capital des entreprises, même avant la crise financière, n’étaient pas élevées. Et depuis la récession, les investissements des entreprises privées ont représenté le segment le plus lent à reprendre de l’économie intérieure. Même à la fin de l’année 2011, les dépenses des entreprises en investissements étaient inférieures au niveau enregistré avant le début de la récession. Les engagements des entreprises en recherche et développement, et en innovation, sont pires encore : par rapport au PIB, les entreprises canadiennes dépensent maintenant un tiers de moins en recherche et développement qu’avant le début du siècle.

Qu’arrive-t-il à ces rendements records s’ils ne sont pas réinvestis dans des nouveaux projets de création d’emplois ? Certains sont versés aux actionnaires sous forme de larges paiements de dividendes. D’autres sont transférés en investissements en capital dans d’autres parties du monde. Mais, incroyablement, l’essentiel repose dans une énorme pile d’argent immobile, accumulé par des entreprises privées qui littéralement engrangent tellement de profits qu’elles ne savent plus quoi faire avec.

Le graphique 3 illustre l’accumulation d’argent et d’actifs à court terme détenus par des entreprises non financières au Canada (sans tenir compte des énormes réserves d’argent des banques et d’autres institutions financières). À la fin de l’année 2011, les entreprises non financières reposaient sur près de 600 milliards de dollars de liquidités oisives. En contraste avec les consommateurs et les gouvernements étranglés de dettes, les entreprises ont de fait augmenté leurs réserves pendant la récession.

Imaginons l’énergie qui serait dégagée de l’économie canadienne si les entreprises dépensaient leur argent ici, plutôt que de s’asseoir dessus. L’échec des entreprises privées à réinvestir leurs bénéfices records sème le doute sur le raisonnement des énormes réductions aux impôts sur le revenu des entreprises qui ont été appliquées par les gouvernements fédéral et provinciaux, en dépit des récents déficits. Les impôts sur le revenu des entreprises ont été réduits de plus du tiers depuis l’an 2000, des réductions qui coûtent maintenant à nos gouvernements plus de 25 milliards de dollars par année en recettes perdues. L’impact de ces baisses d’impôt sur les dépenses en investissement a été nul. Il serait nettement préférable de prendre ces fonds et de les investir dans les infrastructures publiques et les projets de transport, plutôt que d’attendre un regain aléatoire des activités du secteur privé qui ne semblent jamais se produire.

Les mesures incitatives fiscales devraient cibler des entreprises qui augmentent leurs investissements au Canada, plutôt que de les gaspiller sur des réductions d’impôt tous azimuts qui récompensent l’accumulation de liquidités oisives.

[Pour une analyse détaillée des minces dépenses des entreprises en investissements au Canada, et l’échec des réductions d’impôt aux entreprises comme mesures pour corriger le problème, voir
l’article intitulé « Having Their Cake and Eating It », publié par le Centre canadien de politiques alternatives à l’adresse www. policyalternatives.ca.]

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