Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

La peur de la liberté des autres

On a fait grand cas, de l’autre côté de l’Atlantique, du geste fatal d’une personne âgée et visiblement déséquilibrée qui se serait supprimée pour « réveiller la France ».

Il ne faut jamais prendre à la légère les suicides ; leur prévention est un devoir de tous et chacun envers les êtres qui nous sont chers. Une fois cela établi, il convient de ne pas mettre sur le même pied des gestes de significations fort différentes.

Ce n’est pas du même ordre que de s’immoler en public quand on est jeune et désespéré parce que son avenir est bouché, et qu’il s’agit alors du sacrifice de toute une vie, ce qui a déclenché le printemps arabe en Tunisie, cela n’est pas du même ordre dis-je que de mettre fin à ses jours alors que le reste de nos jours n’est pas menacé, et cela parce qu’on n’est pas capable de supporter la liberté des autres, qu’ils soient homosexuels ou musulmans.

D’autres que moi sont beaucoup mieux placés pour expliquer l’importance fondamentale de l’immigration dans l’évolution des sociétés et pour démontrer que, mis à part peut-être, mais je suis loin d’en être sûr, quelques rares régions de l’Afrique, berceau de l’humanité, toutes les populations actuelles sont issues d’un mouvement migratoire, plus récent pour certaines très ancien pour d’autres.

Je m’en tiendrai donc à l’autre sujet de désespoir qui a été évoqué, soit le
délitement de la famille. Qu’est-ce donc que ce délitement ? Doit-on comprendre que la famille était beaucoup mieux au XIXe siècle quand la pauvreté et l’alcoolisme, causés par l’exploitation de la classe ouvrière, faisaient des ravages et que l’on devait abandonner des milliers d’enfants ou quand justement les gardiens des valeurs familiales, les bons bourgeois, faisaient travailler les enfants dans les usines et dans les mines jusqu’à les faire mourir ?

C’est vrai qu’à cette belle époque, les puissants exerçaient un véritable droit de cuissage sur toutes leurs subalternes qui n’avaient qu’à se taire pour ne pas déranger l’apparente harmonie des ménages. Ah, les bonnes valeurs familiales, qu’elles étaient bien protégées en ces temps bénis !

Les familles françaises comptent trois ou quatre enfants, elles ont la possibilité de prendre des vacances, en plus on propose de reconnaître des familles qui existaient avant, mais qui devaient se cacher, les familles homoparentales. C’est l’accès à l’égalité et à la justice qu’on appelle délitement ?

Il est assez ironique d’entendre les organisateurs de la répétitive et odieuse Manif de la Honte, qui ose s’appeler Manif pour tous alors que c’est la manif de l’exclusion, parler de liberté. La liberté d’opprimer si je comprends bien. Ou alors, la liberté pour les « normaux », mais pas pour les autres. Il faut voir les références aux animaux dans les pancartes des anti-égalité. Ils ne sont pas homophobes, ils veulent juste ramener les pédés dans la cage qui leur sied si bien. On en faisait autant avec les suffragettes, rappelons-nous.

J’ai demandé en ces pages le 21 janvier dernier en quoi une France retardataire dans les droits était plus civilisée que ses voisins. Je n’ai jamais obtenu de réponse et n’en aurai jamais. Je reprends les mots que j’avais employés : « J’aimerais bien qu’on m’explique comment les Espagnols, les Belges et les Néerlandais échappent tout à coup à la "civilisation" ou aux "principes anthropologiques". » Depuis 10 ans, ces pays pratiquent l’égalité et leur société ne paraît pas plus délitée que la France idéale des fachos.

En fait, le délitement, il faut le chercher du côté de la haine qui se déverse dans les discours des anti-égalité qui se pressent dans les marches de l’exclusion et qui pervertissent jusqu’au sens des mots en coalisant les ennemis de la justice, de l’égalité et de la liberté.

S’il faut chercher un message dans ce geste d’une personne troublée, c’est l’horreur incontrôlable que suscite chez certains la liberté quand elle est partagée par tous, c’est le vide abyssal et terrifiant qui reste dans la pensée de ceux qui sont incapables de voir outre leurs privilèges.

Francis Lagacé

LAGACÉ Francis
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