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Europe

Le Pacte budgétaire européen, un traité immoral et stupide !

Le gouvernement a prévenu : le Pacte budgétaire européen sera voté au début du mois d’octobre. Pour Philippe Murer, professeur d’économie, ce traité, immoral sur le fond, est stupide économiquement. Il entraînera la perte de l’autonomie budgétaire de la France et constitue une contre-révolution démocratique.

Par les Économistes attérés, 31 août 2012

La rentrée approche et une drôle d’atmosphère flotte sur Paris. Après la coupure et la détente des vacances, chacun souhaite prolonger jusqu’au dernier moment cette pause bienvenue avant le déchaînement de la rentrée. Le gouvernement Hollande vient de nous prévenir : le Pacte budgétaire européen au nom barbare de TSCG sera voté début octobre et gare aux députés récalcitrants.

Au même moment, un sondage sorti dans l’humanité montre que 72% des Français pensent qu’un référendum est nécessaire sur ce sujet. Même s’ils sont prêts en majorité à accepter la solution en apparence responsable de l’austérité budgétaire induite par le Pacte (sondage publié en Juillet 2012 dans Marianne2 ). Ce traité comprend 16 articles : on peut le lire ici.

Le voici résumé en 5 points principaux :

1. Règle d’or : le déficit budgétaire hors éléments exceptionnels et intérêts de la dette ne doit pas dépasser 0.5% du PIB.

2. Surplus à la règle d’or (!) : pour les pays dont la dette est supérieure à 60% du PIB (presque tous), ils doivent en sus, chaque année, réduire l’écart entre leur dette et la norme de 60% de 1/20 chaque année : en langue non technocratique, la France devra faire un effort budgétaire supplémentaire de 1.5% chaque année et l’Italie de 3% ! (pour la France 1/20*(90% -60%) soit 1.5% de plus chaque année et pour l’Italie de 1/20*(120%-60%)=3% !

3. La règle d’or sera inscrite « de préférence », dans la Constitution. A défaut, un texte de loi suffira si sa valeur juridique garantit qu’il ne sera pas remis en cause.

4. Sanctions quasi automatiques pour les déficits jugés excessifs supérieur à 3% du PIB. Désormais un pays qui violera cette Règle sera exposé à des sanctions sauf si 72% des votants au Conseil Européen vote contre ces sanctions ! On rappellera en passant que le déficit public de la France pour 2011, année de croissance, a été de 5,2%, celui de l’Italie de 3,9%, celui de l’Espagne de 8,5%

Si le pays est sanctionné, la Commission interviendra dans l’élaboration du budget d’un Etat pour demander des « réformes structurelles » (article 5 du Pacte Budgétaire Européen en bas du texte).

5. Sanctions de la Cour de justice européenne : la Cour de justice européenne vérifiera la mise en place de la Règle d’or. Elle pourra être saisie par un ou plusieurs États (qui se « surveillent » les uns les autres…) et après examen, infliger une amende allant jusqu’à 0,1% du PIB du pays fautif. (2 Milliards d’euros pour la France)

Les critiques de bon sens abondent sur ce traité :

Nous n’avons pas élu des députés pour qu’ils abandonnent définitivement leur principale attribution (le vote du budget) à des gens non élus de la Commission Européenne et de la Cour de Justice Européenne ! Ce serait une trahison irresponsable des élites politiques de notre pays. Que restera-t’il après cela de notre Démocratie ? Le président et les députés ne serviront à rien, ils devront appliquer les recommandations de la Commission Européenne composée de personnalités non élues ! Après avoir abandonné notre politique monétaire à des gens non élus (la Banque Centrale Européenne), les politiques français souhaitent-ils maintenant abandonner en grande partie la politique budgétaire à la Commission Européenne ? Est-ce sérieux ?

Les Français doivent être respectés : ils demandent à juste titre un référendum, à 72% selon un sondage paru dans l’Humanité Lundi.
S’ils souhaitent délaisser le contrôle de leur budget par leurs élus, ils en ont le droit. Mais les politiques élus pour une durée déterminée ne peuvent céder la politique budgétaire de la France, qui plus est pour une durée indéterminée !

Nous allons voir que ce traité, immoral sur le fond, est en plus stupide économiquement.

Les politiques pour relancer la croissance mise en place en 2008-2009 seront impossible avec ce traité : on ne pourra plus faire de politique contra cyclique pour relancer l’économie. Nous resterons donc au fond du trou à faire programme d’austérité sur programme d’austérité en laissant toute la population s’enfoncer dans le déclin pour les plus riches, et pour les plus pauvres, advienne que pourra…

L’austérité généralisée dans tous les budgets des pays européens pour essayer de respecter le traité va accentuer la récession économique et faire rentrer tous les pays d’Europe en dépression. La récession est déjà là presque partout en Europe (voir graphique ci-dessous) et ce n’est que le début : tous les indicateurs avancés montrent la récession va s’accentuer partout en Europe comme en Italie et en Espagne ; l’Allemagne a des indicateurs avancés pire que la France en Août.

Sur la base d’une prévision de croissance de 1 % en 2013, la France devrait avoir un déficit budgétaire limité à 1,1 % en 2013 pour respecter le point 5. Pierre Moscovici a avoué en mai que le déficit budgétaire devrait être de 4,5 % à 5 % en 2012 après 5,2 % en 2011. On ne voit pas comment la France échappera aux sanctions de la Cour de Justice européenne.

Mais il y a plus grave : au vu de la récession généralisée en Europe (voir graphique ci-dessus), il est très probable que la France ait un déficit budgétaire supérieur à 3 % du PIB en 2013 !

La Commission Européenne exigera donc très probablement de la France un « partenariat économique » c’est-à-dire le sort réservé à la Grèce avec réformes structurelles à la clé ie augmentation de l’âge de départ à la retraite, coupe dans la Sécurité Sociale, réduction du SMIC, suppression de postes de fonctionnaires, réduction des allocations chômage, privatisation de services publics… Un vrai bonheur : tout le monde en prendra pour son compte ! (voir article 5 du traité en bas de page). Les mécanismes d’austérité cumulative feront exploser le chômage comme cela s’est passé dans les autres pays du Sud.

Je n’ai personnellement aucune envie de voir le budget de la France décidé par la Commission Européenne et notre pays suivre la voie des autres pays du Sud : c’est pourtant ce qui se passera si le Parlement vote le TSCG.

Une simple relance de l’économie avec de l’argent de la BCE comme nous le faisions si intelligemment pendant les trente glorieuses serait plus efficace pour relancer la croissance et de régler le problème comme les dirigeants politiques français le firent brillamment au sortir de la guerre (dette publique en 1945 : 290 % du PIB, dette Publique en 1973 : 20 % du PIB et sans austérité !).

Enfin, pour ceux qui sont persuadés que tout ceci est terrible mais qu’il faut bien réduire la dette publique, et qui sont prêts à ces sacrifices, on peut montrer mathématiquement que ce n’est pas le bon chemin pour réduire la dette publique.

En effet, la somme des recettes et des dépenses de tous les agents dans une économie est nulle. Comme l’économie est ouverte sur l’étranger, cette somme des recettes et des dépenses est en fait égale à la balance des paiements (grosso modo la balance commerciale plus les revenus nets dégagés sur l’étranger).

On en déduit que :
(Recettes de l’Etat-Dépenses de l’Etat) + (Epargne privée-Investissement)= Balance Courante.

Le blog frapper monnaie le montre très bien dans cet article et les graphiques sont clairs :

Si on veut réduire par le traité le déficit budgétaire hors intérêts de la dette (Recettes de l’Etat-dépenses de l’Etat), il faut :

Soit que le privé s’endette : Epargne privée - Investissement négatif ce qui n’est presque jamais le cas dans une économie en récession ou les ménages et les entreprises ont peur et épargnent.

Soit que la balance des paiements s’améliore. Cela se fait alors par une réduction de la consommation intérieure réduisant mécaniquement les importations, réduction d’autant plus forte que les principaux pays avec lesquels on commerce font la même chose ! Voila pourquoi la récession en Europe a de fortes chances de se transformer en dépression (sauf si O miracle, un plan de relance à la Roosevelt est fait avec de l’argent imprimé sur les presses à billets de la banque centrale européenne)

Mathématiquement, cette solution est donc idiote.

Et cette dépression entraînera une baisse des recettes fiscales malgré l’augmentation exponentielle des impôts comme le montre l’exemple de la Grèce et de l’Espagne.

D’où des plans d’austérité en série.

Dans une situation de surendettement publique, les seules façons de gérer habilement ce problème sans mener la population à la catastrophe sont :

De faire une relance comme Roosevelt en 1933 (le New Deal) avec l’aide de la planche à billet de la Banque Centrale et de faire croître la richesse du pays et les rentrées fiscales afin de réduire le ratio Dette/PIB et le déficit public.

De faire acheter par la Banque Centrale la moitié de la dette et du pays (par exemple) en imprimant des billets et d’annuler cette dette de l’Etat pour remettre les compteurs à zéro. Il peut y avoir un risque d’inflation mais avec un chômage à 10%, on ne voit pas trop comment les salaires et les prix pourraient monter fortement.

Les autres solutions sont peu réjouissantes :

Le défaut sur la dette, jamais agréables pour les épargnants ni très glorieux pour le pays.

La guerre pour remettre les compteurs à zéro.

Tester une solution à ma connaissance jamais faite dans l’histoire de l’humanité, solution que préconisent la BCE et la Commission Européenne : acheter de la dette publique pour que les Etats aient un prêteur quoiqu’il arrive et faire un programme d’austérité simultanément. Ainsi, le système continue à tourner : les riches épargnants continuent à toucher leurs intérêts sur la dette publique (détenue via des contrats d’assurance vie), les banques aussi, et le reste de la population souffre des programmes d’austérité, d’un chômage qui s’aggrave et des coupes dans les programmes sociaux.

La solution que l’on demande aux députés de voter est donc une catastrophe pour la démocratie et pour l’économie. Elle permettrait à la Commission Européenne de dicter au parlementaire l’élaboration du budget de la France, menaçant de détricoter tout le modèle social humaniste que les courageux hommes du Conseil National de la Résistance avaient voté à l’unanimité en 1944, toutes tendances politiques confondues.

Cette Europe là ne peut que détruire les liens entre les peuples, ce n’est pas une Europe de la paix, c’est une Europe de la guerre économique. Nous ne pouvons pas laisser des gens non élus prendre la main sur le contrôle et l’élaboration du budget.

Sources

 Données statistiques Eurostat, Natixis.

 ARTICLE 5 du Pacte Budgétaire Européen :
Une partie contractante qui fait l’objet d’une procédure concernant les déficits excessifs en vertu des traités sur lesquels l’Union européenne est fondée, met en place un programme de partenariat budgétaire et économique comportant une description détaillée des réformes structurelles à établir et à mettre en oeuvre pour assurer une correction effective et durable de son déficit excessif. Le contenu et la forme de ces programmes sont définis dans le droit de l’Union européenne. Leur présentation pour approbation au Conseil de l’Union européenne et à la Commission européenne ainsi que leur suivi auront lieu dans le cadre des procédures de surveillance existantes en vertu du pacte de stabilité et de croissance.

 Le Pacte Budgétaire Européen (en langue française)

http://european-council.europa.eu/media/639232/08_-_tscg.fr.12.pdf

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pacte_budg%C3%A9taire_europ%C3%A9en

 Les recommandations de la Commission Européenne à la France concernant son « Programme national de réforme pour 2012 »
http://ec.europa.eu/europe2020/pdf/nd/csr2012_france_fr.pdf

 sondage sur le pacte budgétaire européen

http://www.humanite.fr/politique/traite-europeen-les-francais-veulent-voter-502794

et

http://www.marianne2.fr/52-des-Francais-pour-un-referendum-sur-le-Traite-budgetaire_a220996.html

Philippe Murer

Économiste attéré

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