Édition du 16 avril 2024

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Politique canadienne

Le défi de Thomas Mulcair, faire du NPD le parti de l'alternance au Canada

Pour la première fois de son histoire, les dirigeants et les éluEs du NPD peuvent aujourd’hui envisager de former le gouvernement de l’État canadien. Dans ce contexte, dans cette course à la chefferie, il s’agissait moins de choisir entre les traditions du parti et sa modernisation comme on s’est plu trop souvent à le répéter qu’à se donner un chef capable de défaire le gouvernement Harper et de définir le NPD comme un parti capable de se faire le gestionnaire de l’État canadien.

Mais la volonté centralisatrice du gouvernement Harper, sa défense de politiques militaristes, son conservatisme moral, son mépris de la défense de l’environnement, ses conceptions de la politique sécuritaire, sa fermeture envers la population immigrée et ses initiatives favorisant la minorisation politique effective du Québec, tout cela facilitera le travail de la direction du NPD de se distinguer et de trouver un espace relativement libre pour offrir un choix gouvernemental aux secteurs substantiels de la population canadienne qui rejettent les politiques conservatrices.

Marginaliser ou s’allier avec le Parti libéral, les options sont ouvertes

Thomas Mulcair n’a pas un mince défi à relever. Il doit d’une part construire un parti qui pourra faire une nouvelle percée au Canada anglais en approfondissant la marginalisation du Parti libéral. Il doit, pour cela donner au NPD un profil suffisamment modéré pour qu’il apparaisse aux yeux des décideurs du pays comme méritant le statut de parti de l’alternance. Il doit dans un même temps éduquer et consolider sa députation au Québec qui a été le fruit d’une vague qui a construit un caucus particulièrement inexpérimenté.

Le Parti libéral du Canada va se retrouver dans une situation difficile. Affiaibli structurellement au Québec par la crise des commandites, décontenancé par l’ampleur de la défaite aux dernières élections, le PLC va voir son espace politique rétrécir davantage par un NPD qui cherchera à occuper des positions traditionnelles du PLC. Son écrasement au Québec et sa marginalisation dans une série de provinces de l’ouest lui ont fait perdre son statut de grand parti politique pancanadien. La direction actuelle mise encore sur sa reconstruction, mais cette entreprise va se faire dans des conditions qui semblent encore plus difficiles que dans les années récentes. Tant les néo-démocrates que les libéraux veulent en finir avec le gouvernement Harper. Si la lutte pour l’hégémonie du camp anticonservateur connaîtra différentes phases, les débats sur des alliances possibles pour chasser les conservateurs du pouvoir vont sans aucun doute se reposer ouvrant une série de nouvelles possibilités de réponses.

Mulcair a déjà choisi d’approfondir et de consolider le modérantisme du NPD

Mulcair a déjà annoncé qu’il n’était pas prêt à réformer la fiscalité. Il a rejeté du revers de la main la mise en place d’une imposition plus lourde pour les entreprises et les plus riches. Sa conception du développement durable n’en fait pas un opposant à l’exploitation des sables bitumineux. S’il est prêt à dénoncer les excès militaristes des conservateurs, il est a affirmé sa solidarité à plusieurs reprises aux missions militaires canadiennes aux côtés des Américains. Il a rejeté jusqu’ici toute critique des politiques d’agression de l’État d’Israël comme la nation palestinienne. Mais l’espace de manœuvre reste considérable pour apparaître comme une alternative à gauche du Parti conservateur du Canada et pour définir une perspective sociale libérale.

Mulcair va définir le NPD comme le champion de l’unité canadienne

Comme grand parti voulant accéder à la direction de l’État canadien, il fera de la défense de l’unité canadienne le cœur de sa politique. Il cherchera sans doute à éviter les provocations ouvertes contre le Québec et à convaincre les Québécoises et les Québécois de donner une nouvelle dernière chance au fédéralisme canadien. Mais, sa marge de manœuvre restera très étroite à ce niveau. Il est peu probable que la rhétorique du fédéralisme asymétrique et de la décentralisation des pouvoirs de l’État canadien vers le Québec soit une composante significative du discours du NPD sous la direction de Thomas Mulcair. Le nationalisme canadien est une dimension intrinsèque de ce parti.

Dans cette période de crise économique internationale, le social libéralisme soft atteindra rapidement ses limites

Face aux mesures d’austérité exigées par la bourgeoisie canadienne, la direction du NPD aura des marges de manoeuvre très étroites. Elle ne s’opposera pas aux choix économiques fondamentaux de la bourgeoisie canadienne au niveau de ses stratégies énergétiques. La direction du parti sera amenée à composer avec les demandes environnementales des entreprises. Il en est de même de la politique militaire canadienne qui ne pourrait être remise en question que par un mouvement pacifiste particulièrement militant pour pouvoir faire reculer les intérêts du complexe militaro-industriel. La direction Mulcair a démontré, même durant la campagne à la chefferie, qu’elle était résolue à ne pas se laisser déporter sur la gauche. Mulcair évitera toute initiative trop clairement marquée à gauche qui ouvrirait un espace au PLC .

Seule une résistance syndicale, féministe, populaire, écologiste et pacifiste d’ampleur face aux attaques du gouvernement conservateur pourrait exercer des pressions sur le NPD et sur son glissement vers le centre si ce n’est le centre droit.

Confronter le NPD à reprendre à son compte les revendications des différents mouvements sociaux

Pour la gauche militante, il n’est pas question de se faire la moindre illusion sur les objectifs de la social-démocratie canadienne. Mais, cette gauche ne peut ignorer non plus que le NPD peut être un instrument disponible pour chasser les Conservateurs du pouvoir. La gauche ne peut donc ignorer cette réalité, mais elle doit aussi savoir développer une culture de confrontation avec toutes les concessions que la direction sociale libérale du NPD s’avéra prête à faire pour défendre sa crédibilité comme parti de l’alternance. Elle ne doit pas rester indifférente aux prétentions du NPD d’agir dans l’intérêt de la majorité. Elle doit exiger du NPD qu’il s’attaque à la concentration des richesses, qu’il mette de l’avant des politiques environnementales qui protègent réellement la nature, et qu’il organise le passage vers les énergies renouvelables. Mais il faut mener les débats avec les bases de ce parti et sa députation pour tirer au clair le peu de volonté de la direction de social-démocratie canadienne de conserver un minimum d’autonomie face au capital et à ses politiques d’austérité. L’objectif de ces débats est de faire comprendre que seules les luttes extraparlementaires permettront de développer un rapport de force permettant de résister aux politiques de la classe dominante au Canada. La gauche militante doit exiger de la députation du NPD de défendre les revendications du mouvement syndical et des mouvements sociaux progressistes tant au parlement que dans la rue.

Confronter le NPD et Thomas Mulcair à ses prétentions face à la défense des droits démocratiques du Québec.

Pas question de laisser la social-démocratie canadienne donner de la crédibilité à la perspective d’une nouvelle chance au fédéralisme canadien au Québec. Pour ce faire, le mouvement indépendantiste doit pouvoir lier la perspective d’un Québec indépendant, à un Québec égalitaire, féministe, qui rejette les politiques militaristes et qui est radicalement écologiste. Le rejet de notre statut de minorité politique dans l’État canadien est lié à notre projet d’un Québec indépendant, et à l’élargissement de la démocratie citoyenne et participative à laquelle nous aspirons.

Le peuple du Québec a le droit de choisir son destin. La reconnaissance du plein droit à l’autodétermination du Québec ne doit pas rester une résolution politique de congrès. On doit exiger des députéEs du NPD à défendre ouvertement cette perspective au parlement canadien. Pour que cette résolution dépasse une posture sans conséquence, le NPD, sa députation au Canada anglais tout particulièrement, doit mener un combat politique dans toutes les provinces pour convaincre le peuple canadien de ce droit. Il également exiger du NPD qu’il se démarque enfin de l’inique loi sur la clarté.

Tant sur le plan social que national, ne rien prendre pour acquis, compter d’abord sur nos propres luttes et poser des défis clairs au NPD pour jouer sur ses contradictions et ses prétentions à représenter les progressistes du Québec et du Canada, c’est la seule façon de préparer les conditions de l’émergence d’une véritable alternative à la gauche du social-libéralisme.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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