Édition du 22 avril 2025

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Le mouvement des femmes dans le monde

Les 85 ans de San Isidro : les femmes au cœur de la résistance paysanne

Le petit ejido [1] de San Isidro, au Mexique, est un symbole de la propriété collective des terres depuis les années 1940, lorsque l’ancien président Lázaro Cárdenas a accordé 536 hectares aux paysan·nes de la localité qui s’étaient organisé·es et avaient revendiqué le droit d’autogérer leurs terres.

Tiré de Entre les lignes et les mots

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/04/larticulation-des-femmes-decvc-envoie-une-lettre-ouverte-a-hansen-sur-la-position-des-femmes-dans-la-vision-pour-lagriculture-et-lalimentation-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup

Aujourd’hui, San Isidro fait partie des plus de 29 000 ejidos et autres 2 400 communautés enregistrées comme « propriété sociale » au Mexique, un héritage des réformes agraires nées de la révolution mexicaine et inscrites dans la Constitution de 1917. Ces réformes ont limité la propriété foncière privée à 100 hectares etont placé plus de 50% du territoire national (82% d’ejidos et 17% de terres communales) sous propriété collective, les protégeant ainsi de la vente ou de la saisie par les banques.

Mais l’histoire de San Isidro ne se limite pas à la terre ; elle concerne aussi l’eau, les forêts et les habitant·es qui ont lutté pour les préserver. Les ejidos comme celui de San Isidro détiennent 70% des forêts du Mexique et deux tiers de ses ressources en eau. Pourtant, depuis les années 1990, ces terres communales sont menacées. La réforme constitutionnelle de 1992, la crise économique et l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ont ouvert la voie à la privatisation, permettant la conversion des terres d’ejidos en propriétés privées. Plus de 22% des parcelles de propriété sociale ont depuis été privatisées, souvent sous le couvert de l’autonomisation des femmes.

« Ce sont les femmes qui seront propriétaires » devint le cri de ralliement des partisans de la privatisation, notamment la Banque mondiale et la FAO. Mais les femmes de San Isidro savaient qu’il s’agissait de promesses trompeuses.

Dans les campagnes mexicaines, les inégalités de genre sont flagrantes. Les femmes représentent plus de la moitié de la population rurale, mais elles ne détiennent que 28% des titres de propriété sociale. Les femmes rurales sont également confrontées à des conditions de travail plus difficiles : 46 % d’entre elles gagnent le salaire minimum ou moins, contre 32% des hommes.

En 2024, les exportations agricoles du Mexique ont atteint un niveau record, les cultures gourmandes en eau, comme les avocats et les petits fruits figurant parmi les principales exportations. Ces monocultures, motivées par la demande mondiale, ont eu un coût élevé pour des communautés comme San Isidro.

Pour Trinidad de la Cruz, une ejidataria vivant depuis toujours à San Isidro, l’arrivée des fermes d’avocats et des serres a eu des effets dévastateurs. « Nous continuons à planter la milpa et les cuamiles (maïs, haricots, courges, nopal et piments), mais ce n’est plus comme avant », explique-t-elle. « Nous ne sommes plus soutenus par des politiques ou des crédits, de sorte que de nombreux ejidatarios louent leurs terres à des étrangers pour y produire des avocats, des agaves et des cultures horticoles. »

San Isidro est aujourd’hui entourée de plantations d’avocats, et même si peu de membres de la communauté louent leurs terres à des étrangers, la pression monte. « Beaucoup partent en ville ou aux États-Unis pour trouver du travail », explique Trinidad. « Je loue mes 4 hectares à un voisin qui cultive du maïs et du sorgho parce que je suis âgée et que je ne peux pas travailler la terre seule. Mais je ne louerai pas aux entreprises de culture d’avocats. Nous devons préserver l’ejido. »

Dans l’ejido voisin d’Alista, la situation est encore pire. « Environ 80% des terres sont louées pour la culture d’avocats, d’agave et de raisins », explique Ilma María Cruz, une habitante d’Alista. « Les vignes sont irriguées jour et nuit, ce qui ne laisse pas d’eau pour la communauté. Nous avions une source dans les collines, mais maintenant l’eau ne coule plus que deux jours par semaine, pendant environ trois heures. Comment pouvons-nous produire de la nourriture dans ces conditions ? »

La privatisation des terres et de l’eau s’est accélérée après l’ALENA, explique Evangelina Robles, une avocate qui travaille en étroite collaboration avec la communauté de San Isidro. « Les concessions d’eau sont devenues beaucoup plus rapides et les entreprises se sont facilement emparées des ressources. » L’une des premières à s’installer a été l’entreprise étasunienne Amway/Nutrilite, qui a acheté des terres destinées à l’ejido de San Isidro et a commencé à y installer des serres pour la production horticole.

« Ils ont promis des emplois et des salaires équitables », explique Trinidad. « Mais dans les serres, toute la main d’œuvre vient de l’extérieur. Les gens travaillent de longues heures, paient eux-mêmes leur transport et leur hébergement, et accumulent les dettes. Les femmes s’occupent de couper et de nettoyer les fruits, tandis que les hommes et les enfants travaillent dans les champs. C’est de l’exploitation. »

Ilma, une camarade de lutte de Trinidad, ajoute que les impacts sur la santé sont graves. Bien qu’elle ne soit pas elle-même une ejidataria, Ilma est devenue une figure clé de la communauté. « Les pesticides sont partout. On peut les sentir dans l’air, comme du piment. Beaucoup de gens tombent malades, mais les entreprises s’en moquent. »

La résistance
Malgré les difficultés, des femmes comme Trinidad et Ilma sont à l’avant-garde de la résistance. « J’ai été l’une des premières femmes ejidatarias à San Isidro », explique Trinidad. « À la mort de mon mari, le titre de propriété est resté à mon nom et j’ai obtenu le droit de participer aux assemblées. Aujourd’hui, sur environ 80 ejidatarios, près de 25 sont des femmes. C’est à nous qu’incombe la responsabilité de prendre soin de la terre, des enfants et des personnes âgées. »

« Nous avons décidé d’arrêter de louer nos terres et de nous lancer dans la culture agroécologique », explique Ilma. « Nous utilisons des semences indigènes, nous récupérons l’eau de pluie et nous cultivons du maïs, des haricots, des courges et des arbres fruitiers. C’est plus sain et plus durable. »

Leurs efforts s’inscrivent dans une lutte plus large visant à récupérer les terres et l’eau accaparées par l’agrobusiness. En juin 2022, San Isidro a remporté une victoire juridique contre Amway, qui était censée restituer 280 hectares de terres acquises illégalement. Mais l’entreprise a fait appel et a même porté l’affaire devant la Banque mondiale, réclamant 3 millions de dollars des États-Unis à l’État mexicain.

« La communauté a maintenant accès à environ 60 hectares, mais ce n’est pas simple », explique Eva Robles. « Elle doit faire face à des menaces et à une présence armée. Mais des femmes comme Trinidad et Ilma sont les piliers de cette résistance. Elles incarnent la permanence de la communauté face à la spoliation. »

Pour les femmes de San Isidro, la lutte dépasse la simple question des terres : il s’agit de préserver un mode de vie. « Nous nous battons pour nos enfants, pour notre communauté et pour l’avenir », déclare Trinidad. « Cette terre est notre héritage et nous ne laisserons personne nous l’enlever. »

Tandis que les monocultures s’étendent et que l’eau se raréfie, les femmes de San Isidro incarnent la puissance de la résistance collective. Leur histoire nous rappelle que la lutte pour la terre, l’eau et la dignité est loin d’être terminée, mais qu’elle est également loin d’être perdue.

https://grain.org/fr/article/7263-la-voix-des-femmes-semons-la-resistance-a-l-agriculture-industrielle

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