Édition du 16 avril 2024

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Europe

Les Espagnols désabusés donnent un chèque en blanc à la droite

Eux, au moins, ont été consultés. A l’inverse de leurs voisins italiens et grecs, les Espagnols se sont prononcés, dimanche, sur la gestion de la crise, lors d’élections législatives suivies de très près par Bruxelles. Et leur message est sans appel : ils ont massivement sanctionné le Parti socialiste (PSOE) de José Luis Rodriguez Zapatero, au pouvoir depuis 2004. La formation, créditée de 28% des voix, a perdu près de 4,5 millions d’électeurs par rapport au scrutin de 2008.

Le candidat de la droite, Mariano Rajoy, 56 ans, a profité de la débâcle socialiste. Il obtient 44% des voix, soit une majorité absolue en sièges, à l’Assemblée (186 sur 350). Après deux échecs consécutifs, en 2004 et 2008, celui que la presse espagnole nomme le « survivant » est appelé à diriger une Espagne exsangue et inquiète, qui compte près de cinq millions de chômeurs. Rajoy réalise la meilleure performance de l’histoire du Parti populaire (PP), puisqu’il améliore encore le score de José María Aznar, qui avait obtenu, lors de sa réélection en 2000, 185 sièges.

Le scrutin de dimanche (lire l’intégralité des résultats ici) confirme cette règle en vigueur en Europe, selon laquelle les exécutifs sortants, de droite comme de gauche, se trouvent systématiquement sanctionnés dans les urnes depuis l’éclatement de la crise. Il marque aussi un nouveau revers de taille, pour le camp social-démocrate sur le continent, après les défaites de Gordon Brown en Grande-Bretagne (en mai 2010), de José Socrates au Portugal (en juin 2011) et la démission de Georges Papandréou en Grèce. Décryptage.

1. Un PP hégémonique

Depuis son confortable succès aux élections locales de mai, le PP contrôlait déjà la moitié des mairies du pays, et 11 des 17 communautés autonomes. Il vient de s’assurer la mainmise sur le parlement national, et de prendre les rênes du gouvernement. La droite domine désormais l’ensemble des institutions politiques du pays.

Deux communautés autonomes, et pas des moindres, illustrent l’effondrement du PSOE. L’Andalousie, d’abord, l’un de ses bastions historiques, où le PP règne désormais partout, sauf dans la province de Séville (où le « sage » Alfonso Guerra continue à faire de la résistance). La région pourrait donc basculer à droite, elle aussi, lors de ses prochaines élections locales, l’an prochain.

La Catalogne, ensuite, où les socialistes, emmenés par la ministre de la défense de Zapatero, Carme Chacón, qui lorgne la direction du PSOE, se sont fait dépasser par les nationalistes de CiU (16 sièges), mais restent devant le Parti populaire.

2. Vers la fin du bipartisme en Espagne ?

La tendance s’était confirmée à chaque scrutin depuis 1989 : les voix des Espagnols ne cessaient de se reporter, tous les quatre ans plus massivement, sur les deux principaux partis du paysage politique, PSOE et PP. En 2008, ces formations ont totalisé plus de 83% des voix, s’assurant ainsi 323 des 350 sièges de l’Assemblée. Mais le scrutin de dimanche marque un tournant. Les « indignés », qui appellent, depuis le printemps, à en finir avec le bipartisme, semblent avoir été entendus par une partie de l’électorat. Cette fois, PSOE et PP ne rassemblent « plus que » 72% des voix, soit un total de 296 sièges. Du jamais vu depuis 1989.

Le nouveau Parlement s’annonce donc moins homogène. La dispersion des voix a surtout joué à gauche, contre le PSOE. Izquierda Unida (« IU », pour gauche unie), qui rassemble communistes et écologistes, est l’autre grand gagnant de la journée. Le parti de Cayo Lara double quasiment son score, à 6,8%, et gagne neuf sièges par rapport à 2008 (11 contre 2 auparavant). Il formera un groupe parlementaire indépendant. L’ex-socialiste Rosa Diez, et son parti UPyD (centre), ont également progressé (cinq sièges contre un). A chaque fois, les transferts de voix socialistes ont joué à fond.

EQUO, un nouveau parti vert, dirigé par un ancien de Greenpeace, a profité d’une coalition, à Valence, pour arracher un siège. Par contre, le parti anticapitaliste peine à décoller, même à Barcelone, où il paraît être le mieux implanté. Quant à la gauche indépendantiste basque, autorisée à se présenter pour la première fois depuis 2003, alors que l’ETA a renoncé à l’usage de la violence, elle totalise pas moins de six députés. Un succès qui fait de l’ombre au Parti nationaliste basque, comme aux socialistes.

3. Les inconnues du programme de Rajoy

L’intensité de la crise de la dette en Europe pourrait bousculer le calendrier officiel. En l’état, le nouveau parlement doit se réunir pour une séance inaugurale le 13 décembre. Rajoy devrait être investi le 20 décembre, et nommer son gouvernement le lendemain. Soit dans un mois : une éternité à l’échelle des marchés. Le nouvel homme fort de l’Espagne pourrait donc décider d’accélérer les choses, surtout si le taux auquel Madrid emprunte de l’argent sur les marchés continue de grimper, comme ce fut le cas ces derniers jours.

Rajoy prépare en fait la transition depuis l’été, lors de discussions régulières avec Zapatero. Il devrait désigner dès cette semaine un comité pour piloter la transition. Objectif principal : effectuer au plus vite de nouvelles coupes dans le budget 2012. Comment s’y prendra-t-il ? C’est la grande question, à laquelle Rajoy, aussi prudent que peu charismatique, a soigneusement refusé de répondre pendant toute la campagne électorale. Pas question de prendre des risques inutiles. Dimanche soir, après les résultats, Rajoy a parlé d’un « effort commun (et) solidaire », sans en dire davantage.

Pourtant, la tâche s’annonce démesurée. Madrid s’est engagé auprès de Bruxelles à ramener son déficit à 4,4% à la fin de l’année 2012. Rubalcaba (PSOE) avait prévenu qu’il comptait renégocier ce calendrier auprès des partenaires européens. Pour Rajoy, il en est hors de question, et l’Espagne, promet-il, s’y tiendra.

Pour y parvenir, il faudra économiser environ 20 milliards d’euros supplémentaires, par rapport au budget actuel. Dans le meilleur des cas. Car, si les prévisions de croissance pour l’an prochain s’annonçaient trop optimistes (un scénario probable vu la récession qui s’annonce en Europe), ou s’il fallait voler au secours d’une banque mal en point, il faudrait encore réviser à la hausse le volume des coupes.

A titre de comparaison, le premier plan de rigueur de Zapatero, annoncé en mai 2010, se chiffrait à 15 milliards d’euros d’économies... Seules certitudes : Rajoy s’est engagé à ne pas toucher aux retraites, et prévoit de baisser la fiscalité pesant sur les entreprises qui se mettent à embaucher. Pour le reste, c’est le saut dans l’inconnu. La numéro deux du PP, Maria Dolores de Cospedal, a déjà prévenu qu’il fallait s’attendre à des mouvements sociaux dans les semaines à venir.

Les doutes pèsent également sur l’avenir des grandes réformes de société, conclues durant le premier mandat de Zapatero. A commencer par la légalisation de l’avortement et la reconnaissance du mariage homosexuel. Interrogé sur ses intentions pendant la campagne, Rajoy a toujours esquivé, estimant qu’il ne s’agissait pas là de priorités, en pleine crise économique. Il n’a donc jamais exclu de revenir sur ces textes, et les conservateurs les plus durs au sein du PP l’attendent au tournant. Dimanche soir à Madrid, une grande banderole d’opposants à l’avortement flottait dans la foule, réunie devant le siège du parti populaire, pour fêter la victoire.

4. L’Espagne, en terrain glissant

La fin de campagne espagnole a été occultée par une actualité économique chargée – le pays a révisé en baisse sa prévision de croissance pour l’année en cours, tandis que ses taux pour emprunter sur les marchés touchaient de nouveaux sommets, sur fond de crise de l’euro. A tout moment, le « spread » espagnol peut atteindre les plafonds qui avaient déclenché, pour l’Irlande ou le Portugal, une intervention conjointe du FMI et de Bruxelles. A la télévision ou à la radio, les journalistes ne parlent plus que de cela, des bonds et des retraits de la « prime de risque ». Comme s’il s’agissait du principal enjeu de la campagne.

C’est toute la stratégie de Rajoy : provoquer, grâce à son élection à une majorité écrasante, un choc de confiance sur les marchés. Il se dit persuadé que, dès lundi, les taux espagnols baisseront. Pourtant, les marchés ont intégré depuis des semaines déjà qu’il allait gagner l’élection, et rien n’a changé. Surtout, les grands journaux financiers, du Wall Street Journal au Financial Times, ont critiqué, eux aussi, le manque de précisions du programme de Rajoy. L’alternance politique, en soi, ne garantit rien.

D’autant que Rajoy, à l’inverse du « technocrate » Mario Monti en Italie, est un inconnu en Europe. Il dit avoir suivi cet été des cours d’anglais, pour combler ses lacunes... Alors que l’Espagne de Zapatero a profité de la comparaison avec l’Italie d’un Berlusconi totalement discrédité, pour apparaître comme le pays le plus « sérieux » des deux, le match entre Rajoy et Monti s’annonce nettement plus délicat pour Madrid. Encore une fois, ce seront les marchés financiers qui l’arbitreront.


(tiré du site de Mediapart)

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