Édition du 23 avril 2024

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États-Unis

Les démocrates se joignent à l'offensive contre les droits de négocier des syndicats

Républicains ou Démocrates, les deux camps politiques ont fait preuve d’intransigeance à l’égard des fonctionnaires en ces temps de récession ; en équilibrant les budgets au niveau de l’État et de la municipalité par des licenciements, le gel des salaires, des congés imposés et d’autres coupes budgétaires. Mais rarement auparavant, les Démocrates bénéficiant du soutien des travailleurs, ne s’étaient attaqués en particulier au droit de négociation collective des fonctionnaires.

Traduction : Daphné D’Cruz

C’est maintenant en train de changer. Dans les États du Massachusetts, du New Jersey, de l’Illinois et du Connecticut, les législateurs démocrates, empressés d’économiser de l’argent, ont parié sur le fait qu’il leur était possible d’entraver le droit de négociation des fonctionnaires tout en s’assurant le soutien de ces derniers lors des élections.

Les politiciens marchent sur la corde raide. Les Démocrates tirent la majorité du financement de leurs campagnes électorales – 72 pour cent à l’échelle nationale - des businessmen, comme l’a annoncé ce mois-ci le président du Mouvement Syndical Américain, Rich Trumka. Par ailleurs, celui-ci ajoute que la contribution des syndicats à la caisse du Parti démocrate, a été réduite de moitié par rapport à leurs contributions d’il y a dix ans.

Toutefois, l’apport d’argent des syndicats demeure toujours substantiel. L’AFSCME s’est révélé en pôle position durant l’année 2010 quant à toutes les dépenses liées à la politique, en contribuant financièrement aux campagnes électorales à hauteur de 87,5 millions de dollars.

Les efforts des syndicats pour « faire sortir le vote » peuvent marquer aussi bien l’arrêt que la poursuite de la participation de certains candidats à une course électorale. Les votes issus du bastion syndical ont permis d’augmenter le pourcentage des votes en faveur d’Obama, et par conséquent, de la Chambre des démocrates en 2008.

Les législateurs se doivent de préserver les syndicats sous leur giron. En effet, jusqu’où pourront-ils aller à l’encontre des revendications des syndicats sans s’aliéner leur soutien ?

Les précédents en disent long. Années après années, les chefs syndicaux évaluent les alternatives au fléau républicain et poussent leurs membres à travailler pour le Parti démocrate et peu importe si le candidat est déplorable.

Au New Jersey, le syndicat du secteur des Communications, représentant 45 000 fonctionnaires au plan étatique et local, a pu tenir en haleine le gouverneur démocrate Jon Corzine durant des mois en 2009, en manifestant contre son projet de couper les salaires en imposant des congés sans solde. Toutefois, le CWA lui a apporté son soutien lorsque ce dernier est entré en campagne contre le républicain Chris Christie, adepte de « la solution finale » par licenciement.

A mesure que certains Républicains, comme Christie ou encore Scott Walker ( Wisconsin), démontrent une inclinaison prononcée pour le mouvement politique du Tea Party ; le désir de les empêcher, coûte que coûte, d’accéder aux fonctions publiques prévaut. Après tout, tout ce que souhaitent des gens de la même veine que Walker c’est se débarrasser des syndicats du secteur public et de leurs contributions aux Démocrates, une fois pour toute. Les politiciens démocrates tablent tous sur cette maigre différence.

Indignation face à cette « trahison ».

Au Massachusetts, bastion démocrate, les législateurs sont disposés à priver 175 000 employé-e-s municipaux du droit de négociation concernant la sécurité sociale. Par ailleurs, les membres de la Chambre ont validé, le 26 avril, des mesures empêchant les enseignant-e-s, les policiers et autres, de négocier les franchises d’assurances.

Deux-tiers de la Chambre des démocrates ont exprimé leur soutien à cette mesure, ignorant la levée de boucliers et une campagne de publicité radiophonique lancée par le Mouvement syndical Américain. Ce geste de la part des Démocrates a suscité une large indignation et un sentiment de trahison parmi les mouvements syndicaux, selon Dan Clawson, membre du Conseil de l’Association des Enseignants du Massachusetts ( MTA). « Il y a définitivement rupture avec le passé. »

Le projet de loi des Démocrates, dont l’objectif est d’économiser 100 millions de dollars en dépenses liées à la sécurité sociale, s’inscrit dans un contexte financier particulier : celui du déficit budgétaire de l’État atteignant 2 milliards de dollars. Ce déficit a des répercussions sur les administrations locales, puisque celles-ci dépendent des caisses de leurs états et de la redistribution de l’argent.

Les municipalités, dont les budgets sont restreints, sont plus enclines à transférer le fardeau du coût de la sécurité sociale à ses fonctionnaires, tout comme cela a été fait au niveau du gouvernement de l’État l’année précédente. Les responsables municipaux soutiennent le projet de loi anti-négociation, afin qu’ils puissent imposer ce changement de manière unilatérale.

La majorité des législateurs font fi des autres options permettant d’endiguer le déficit des États, telles que l’augmentation des taxes ou encore effectuer des réformes au niveau de la sécurité sociale qui permettraient de contrôler son coût. Les organisations syndicales et communautaires ont, d’une part, proposé de lever 1,2 milliard de dollars, via l’augmentation des impôts sur le capital ou les revenus des grandes fortunes. Des centaines de militant-e-s, appartenant à des organisations syndicales et communautaires, ont convergé vers le siège de législature de l’État du Massachusetts, la journée du 03 mai consacrée aux doléances et aux lobbying.

Toutefois, cette bataille s’annonce rude. Seule une poignée de législateurs soutiennent l’augmentation des taxes et démontrent une certaine bravoure, selon Andrei Joseph (membre du Conseil du MTA et professeur au secondaire à Concord).

Dans l’État voisin, le Connecticut, le gouverneur et les démocrates en haut-rang ont joué sur une « technicalité » linguistique pour priver les universités du droit de négociation, en les requalifiant comme étant des managers.

Avec de pareils amis

Les négociations entourant les avantages à la sécurité sociale, s’avèrent également être un terrain de batailles au New-Jersey. Le syndicat des salariés du secteur des Communications s’est engagé dans la négociation d’un accord (au cours du mois de mars) concernant la sécurité sociale, et dans lequel ce premier donnait son l’aval à une proposition sanctionnant une franchise plus élevée pour leurs membres ( quant à la cotisation au système de sécurité sociale).

En dépit de ce compromis, Christie a refusé de négocier et a proposé, comme alternative, que les fonctionnaires s’acquittent de 35% des franchises d’assurance médicale, en sus des 8,5 % déboursés en moyenne, présentement.

La proposition de Christie a été suivie, par une autre, un tantinet meilleure et venant du président du Sénat de l’État du New Jersey : Stephen M. Sweeney, d’obédience démocrate et occupant une position importante au sein de l’association des forgerons.

Toutefois, ces deux propositions privent, peu importe, les syndicats du droit de négocier leurs avantages à la sécurité sociale.

« Nous sommes scandalisés par le fait que Steve Sweeney, se réclamant du parti démocrate, agisse de cette manière, » énonce un gradé exerçant la profession de pompier.

Patrick Kavanaugh, président du CWA (local 1032), déclare qu’un salarié gagnant 35 000 $ paierait 3000 $ si la proposition de M. Sweeney était appliquée et 5 700$ si celle du gouverneur présent l’était, et ce, en comparaison avec les 525$ actuels.

En réponse, le CWA et autres syndicats de fonctionnaires demandent à leurs représentants de s’engager, de lutter contre la suppression des droits de négociations des syndicats. Certains l’auraient déjà fait, d’après Kavanaugh, alors que les autres refusant de le faire, doivent subir l’installation de lignes de piquetage devant leurs bureaux. Par ailleurs, ce représentant précise que les employés syndiqués exigent que les enjeux relatifs à la sécurité sociale fassent l’objet d’une réelle négociation, plutôt que de devenir un objet sur lequel on puisse légiférer.

Les enseignants touchés

La guerre concernant les droits syndicaux à la négociation, en Illinois, s’est surtout concentrée sur le corps enseignant, notamment dans la ville de Chicago. Les élus démocrates se sont liés aux groupes du lobby, pesant plusieurs millions de dollars, afin de priver les enseignants de leurs droits de négociation, à la sécurité de l’emploi et de leur droit de grève.

Une première tentative, réalisée en janvier par le porte-parole de la Chambre des démocrates Mike Madigan, s’effrite face à l’opposition de l’Union syndicale des enseignants de Chicago (Chicago Teachers Union- CTU) et des autres unions syndicales des enseignants de l’ensemble de l’Illinois. Toutefois, les groupes du lobby sont revenus à la charge au printemps et en faisant preuve de plus d’intelligence. Ils se sont engagés à négocier avec les syndicats des enseignants au Capitol de l’État, ce processus étant chapeauté par la sénatrice démocrate Karen Lightford de l’État de l’Illinois.

Les syndicats des enseignants étaient même prêts à faire des concessions, par exemple en acceptant que la prime d’ancienneté soit supprimée afin d’éviter de plus grosses pertes (notamment leur droit de négociation collective).

Mais Lightford et les grands lobby ont apporté des changements à la dernière minute au texte que les syndicats n’ont pas su prévenir. Les enseignants de la ville de Chicago ne peuvent plus porter plainte pour des pratiques de travail déloyales contre leurs employeurs, dans le cas où ceux-ci refuseraient de négocier sur plusieurs sujets. Par ailleurs, ce projet de loi fait en sorte de créer nombres d’obstacles rendant la capacité des professeurs à entrer en grève virtuellement impossible.

Le président du CTU a rejoint les deux grandes fédérations nationales des enseignants, en apportant son soutien au projet de loi, qui s’est frayé un chemin au Sénat, contrôlé par les Démocrates.

Deux semaines plus tard, le CTU changeait diamétralement de position , mais le projet de loi avait déjà été adopté par l’ensemble de la Chambre, sous contrôle démocrate et à l’exception faite d’une voix dissidente. Présentement les enseignants se battent pour l’obtention d’un « trailer bill » (loi attachée au budget et court-circuitant le législatif), qui leur permettrait d’amender les pires aspects des mesures contenues dans la loi.

Conséquences

La volonté des Démocrates de l’État de s’attaquer aux syndicats des travailleurs et des travailleuses, combinée à un soutien moribond de l’administration Obama aux problèmes des syndicats, ont conduit Trumka à agiter la menace de non-alignement.

Trumka a déclaré que la fédération dépenserait l’argent de sa caisse dans le financement d’actions politiques, dans l’information et la mobilisation des syndiqués tout au long de l’année ; plutôt que de donner l’argent aux Démocrates et de subvenir à leurs besoins pécuniers lors de campagnes électorales. Cette entreprise aidera sans doute toujours les candidats Démocrates, supposément.

Trumka est même allé plus loin, en s’engageant à faire payer le prix fort aux personnes qui ne respectaient pas leurs promesses, insinuant que les syndicats pourraient s’opposer, durant les primaires, au candidat démocrate qui ne les soutient pas ; et comme ils ont tenté de le faire (en vain) l’année dernière dans l’Arkansas, contre l’ex-Sénatrice Blanche Lincoln.

Il a d’ailleurs ajouté que les syndicats commenceraient à présenter leurs propres candidatEs lors des campagnes à l’échelle de l’État.

Mais atteindre ce genre d’indépendance politique nécessitera des changements de pensée majeurs de la part des syndicats. Au Wisconsin, les violentes attaques de la part des Républicains, ont permis aux syndicats et à leurs supporters de collecter assez de signatures pour revenir sur les élections de 6 sénateurs Républicains de l’État cet été.

Malgré l’élan de soutien aux syndicats, seul un candidat, un professeur choisi par les démocrates pour se lancer dans la course, est issu du mouvement syndical.

Jane Slaughter a contribué à cet article


tiré du site de Labor Notes (USA)

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