Édition du 3 décembre 2024

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Inde

Les élections en Inde, la croissance inégalitaire et la résistible montée de Narenda Modi

Une récente série de sondages d’opinions indique que le principal parti d’opposition, le Bharatiya Janata Party, (BJP) sera largement en tête pour les élections parlementaires de 2014. Le parti, mené par son leader « charismatique », Narenda Modi, domine les autres partis y compris l’Indian National Congress (INC) au pouvoir.

Ce terreau fertile pour l’éruption de l’extrême droite a été construit par le gouvernement de l’INC dirigé par l’Alliance Progressiste Unie qui a mené constamment une politique allant contre les intérêts du peuple durant les cinq dernières années, renforçant encore le néolibéralisme des deux dernières décennies. Il est important de noter que le point focal de la politique indienne est passé du centrisme à la droite au cours des trente dernières années, et du centre droit à l’extrême droite récemment.

Récemment, la détérioration sans précédent du niveau de vie des gens ordinaires est le résultat d’une corruption massive et d’une terrible inflation. Les ouvriers de l’industrie ont vu leur salaire réel s’écroulé. Les autres secteurs, pour la plus part informels, n’ont pas de salaire minimum. Au cours des vingt dernières années, la précarisation et la croissance du secteur informel a été continue.

Environ 65 % des travailleurs du secteur formel n’ont que des CDD et ne bénéficie que du quart du salaire des travailleurs en CDI à des postes similaires. Par ailleurs, nous assistons à un énorme accaparement des terres et des autres ressources naturelles pratiqué par les grandes entreprises. Les populations les plus touchées sont les dalits (intouchables), les Adivasis (indiens autochtones), les femmes, les groupes ethniques marginalisés et tous ceux qui sont au bas de l’échelle sociale.

La croissance : avantages et défauts

La mondialisation a considérablement changé les structures du capitalisme en Inde. Il est possible qu’en deux décennies, l’économie indienne devienne quasiment troisième, derrière les Etats-Unis et la Chine. En parité de pouvoir d’achat (PPA), l’Inde est déjà la troisième plus grande économie . Selon le FMI, le PIB de l’Inde en 2012 était de 4 711 milliards de dollars, juste devant le Japon.

Ce développement économique est mal partagé. Malgré la croissance industrielle, en 2001, près de 58 % de la population vivait de l’agriculture, tandis que la part de l’agriculture dans le PIB chutait à 22% en 2006. En 2012-13, cette part n’est plus que de 13,7%. Actuellement, la proportion de la population qui vit de l’agriculture est d’environ 53 %. Mais les avancées de l’agriculture ne bénéficient au mieux qu’à 8% de la population paysanne. Le grand nombre de suicides d’agriculteurs indiens montre trop bien que la mondialisation n’a pas bénéficié à tous les paysans. Ce sont les entreprises agroalimentaires qui ont été les premières à en profiter, qu’elles soient indiennes ou non, ainsi que les exploitants agricoles les plus riches. Le nombre de familles de paysans sans terre est passé de 35% en 1987 à 55% en 2005.

La combinaison d’un accroissement des cultures de rente, avec un encouragement sous diverses formes aux investissements dans l’agro-industrie, a été fortement négative, même pour les agriculteurs relativement aisés. Les cotonculteurs qui avaient l’habitude d’utiliser des semences locales sont maintenant obligés d’acheter des semences BT (OGM) dont les prix ont fortement augmenté. Entre l’année 2 000 et aujourd’hui, les dépenses d’un fermier pour cultiver un acre (moins d’un demi hectare) sont passés de 2 500 roupies à 15 000-20 000 Rs (de 30 à 200 E)

D’autres pans de la mondialisation doivent être mis au clair parce que les affirmations sur la croissance inclusive sont très discutables. Le nombre de chômeurs est passé de 9,02 millions en 1993-1994 à 13,1 millions en 2004-5. En Janvier 2012, il était encore de 10,8 millions. Le chômage des jeunes est particulièrement grave. Un rapport du ministère du Travail a révélé qu’en 2012-13, le chômage chez les 15-29 ans était de 13,3%. Dans les zones rurales, l’estimation du taux de chômage des diplômés et particulièrement des 15-29 ans serait plutôt de 36,6%, alors que dans les zones urbaines, il serait de 26,5%.

La productivité du travail en Inde, entre 2008 et 2011, a augmenté de 7,6%. Dans la même période, le revenu réel des travailleurs a baissé de 1%. Le Rapport mondial sur les salaires 2012 le prouve, il détruit le mythe selon lequel les « réformes » auraient aidé les pauvres. Entre 1999 et 2007, les données disponibles suggèrent une autre baisse de 1% du revenu réel tandis que la productivité du travail a augmenté de 5%. En d’autres termes, en douze ans (1999-2011), la productivité du travail a augmenté de 12,6%, tandis que le revenu réel a baissé de 2%. Cet ensemble de données révèle que la crise économique mondiale n’a pas changé la dynamique de l’économie indienne. Que ce soit avant ou après, les travailleurs doivent toujours se serrer la ceinture, alors que la productivité continue d’augmenter.

Au cours de la dernière décennie, les profits ont plus que doublé par rapport aux salaires. Dans la production et les services, les entreprises utilisent les failles ou l’absence de mise en œuvre de la législation du travail pour supprimer la garantie des salaires. Les entreprises et le gouvernement se tournent de plus en plus vers le système du travail contractuel pour faire baisser les coûts salariaux et améliorer la productivité.

Une étude gouvernementale indique qu’entre 1991 et 2006, 870 000 emplois ont été détruits dans le secteur public, alors que dans le même temps le nombre de personnes engagées comme « travailleurs contractuels » ou « occasionnels » a fortement augmenté, lorsque la relation contractuelle n’était pas totalement absente. Chacune de ces évolutions amoindrit le pourcentage des travailleurs protégés par la loi, et ce n’est pas fini.

En 2005, la population active totale était de 457 millions de personnes, dont 395 millions étaient employées dans le secteur informel. Seulement 53% du secteur formel ont été protégés par les lois du travail, les 47% restants constituant une forme d’emploi « informel ». Il existe différents chiffres mais on estime que 90% de la population active est hors de la protection des lois du travail.

Le défi à relever

Nous devons nous opposer à tous les communautarismes. En Inde aujourd’hui, le communautarisme hindou - comme celui qui est potentiellement majoritaire - peut conduire à un régime de type fasciste. La libéralisation sauvage de l’économie avec la dérégulation, la précarisation du travail, l’escalade de l’injustice sociale sont sans précédent. Les inégalités, l’augmentation des écarts de revenus comme celle de la marginalisation doivent être combattus à tous prix.

* Traduit pour la revue Les Z’indigné(e)s (http://golias-editions.fr/).

Sushovan Dhar

Militant de gauche en Inde membre du CADTM.

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