Tiré du blogue de l’auteur.
La journée de la fête du Travail en ce 1er mai en Iran a été assombrit par le deuil. Alors que les travailleurs du monde entier célèbrent leurs droits et leur dignité, le peuple iranien est toujours sous le choc de la tragédie, cinq jours après l’explosion meurtrière survenue au port de Rajaï à Bandar Abbas. L’émotion se mêle à une colère profonde contre un régime accusé de négligence criminelle, de dissimulation et de mise en danger de la population civile.
Une détonation qui secoue toute une nation
Le samedi 26 avril, une explosion d’une rare intensité a frappé le terminal de conteneurs de Rajaï, principal port commercial d’Iran. Le souffle a dévasté une partie des infrastructures, embrasé des centaines de conteneurs, libéré des fumées toxiques pendant plusieurs jours, et ravagé les zones résidentielles voisines, dont la totalité d’un village.
Selon des chiffres officiels partiels, au moins 70 personnes ont perdu la vie, et plus de 1 200 ont été blessées, dont de nombreux cas graves. Mais les sources indépendantes, notamment issues de la résistance iranienne, parlent de plusieurs centaines de morts. « On ne peut pas voir ces images, entendre les cris dans les hôpitaux, et croire à leurs chiffres », témoigne un habitant de Bandar Abbas joint par messagerie sécurisée.
Du perchlorate de sodium à proximité des zones civiles
Rapidement, des éléments ont émergé sur l’origine probable du drame. Une explosion dû à des produits chimique. Après enquête le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) a pu établir que c’est un entrepôt de conteneurs enfermant du perchlorate de sodium, un composé utilisé pour la production de propergol solide dans les missiles balistiques, aurait explosé.

Ce produit peut exploser suite à une erreur de stockage ou de manipulation, sous l’effet de l’impact, de l’inflammation ou de la chaleur. L’entrepôt appartenait à la société Banagostar, filiale d’ Sepehr Energy, elle-même liée au ministère de la Défense et de la Logistique des forces armées (MODAFL) du régime. "Sepehr Energy" a été sanctionné par le Trésor américain le 30 novembre 2023 :
« Ce sont des matériaux de guerre stockés comme de simples marchandises, sans protocole de sécurité, au milieu de la population » selon un expert.
L’information a été relayée par l’agence de presse iranien ISNA, le 28 avril, avant d’être supprimée quelques heures plus tard. ISNA révélait que la cargaison importée, victime d’une explosion et d’un incendie au port de Rajaï samedi, ne comportait aucun numéro de covoiturage ni déclaration douanière, et que le navire et sa cargaison n’étaient pas en possession des douanes.
Un port stratégique paralysé
Le port de Rajaï, situé dans le détroit d’Hormuz, est un maillon essentiel de l’économie iranienne : il concentre 80 % du trafic conteneurisé du pays, assure l’approvisionnement en nourriture, matières premières et produits de première nécessité. Sa paralysie risque de provoquer une crise logistique et sociale majeure.

Les écoles ont été fermées, l’air est resté irrespirable pendant deux jours, et le trafic maritime a été suspendu dans plusieurs zones. Des familles cherchent encore des disparus, sans réponse des autorités.
Le silence d’État et les accusations de dissimulation
Face à la colère grandissante, le régime tente de minimiser la catastrophe. Le porte-parole du ministère de la défense du régime iranien, Reza Talaeinik, a nié toute présence de matériel militaire, qualifiant les informations diffusées par les médias étrangers de « guerre psychologique ». Pourtant, le PDG de Sina Marine – sous-traitant de Banagostar – a reconnu que certaines cargaisons « extrêmement dangereuses » avaient été introduites sans documents douaniers ni étiquetage conforme.
« C’est un mensonge d’État de plus », dénonce un membre du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI). « Le régime islamiste stocke des explosifs dans des ports civils, puis cache les conséquences lorsqu’ils tuent des innocents. »
Une comparaison avec Beyrouth 2020
Pour Maryam Radjavi, présidente élue du CNRI, le parallèle avec la catastrophe du port de Beyrouth est évident. « Comme au Liban, la dictature religieuse a stocké des explosifs au mépris des vies humaines. Le résultat est le même : des morts, des blessés, des ruines, et aucune justice. »

De son côté, le porte-parole des Moudjahidine du Peuple a accusé directement les Gardiens de la révolution d’avoir importé illégalement ces matériaux. Ce carburant provenait de Chine et avait été acheminé vers l’Iran par deux navires, comme l’avait révélé le Financial Times en janvier.
Même au sein du régime, des voix discordantes émergent. l’ancien député Heshmatollah Falahatpisheh a évoqué une faille catastrophique dans la chaîne de sécurité civile.
Le journal Etemad constate que l’explosion a révélé une grave mauvaise gestion au port de Rajaee, allant du stockage de matières dangereuses dans des conditions dangereuses au non-respect des normes de sécurité élémentaires.
Une fête du Travail sous le signe du deuil et de la révolte
En ce 1er mai, alors que le pays traverse une grave crise sociale et économique, le peuple iranien ne manifeste pas pour plus de droits sociaux : il cherche ses disparus, enterre ses morts, soigne ses blessés, et réclame des comptes.

« Le port de Rajaï est devenu un cimetière à ciel ouvert », écrit un travailleur portuaire sur Telegram. « Ce régime n’honore ni les vivants ni les morts. Il sacrifie tout à sa survie. »
Dans les villes de Bandar Abbas, Chiraz, Kerman et Ahvaz, des rassemblements spontanés ont été signalés, malgré la censure et les arrestations. Sur les réseaux sociaux, la solidarité avec les travailleurs à Bandar Abbas se pultiplient.

Focus sur les conditions des travailleurs iraniens
De nombreux syndicats ouvriers et des confédérations syndicales à travers le monde expriment leurs solidarités et dénoncent les conditions de vie et de travail insupportables des ouvriers iraniens.
Des syndicats australiens ont énuméré ces conditions désastreuses :
– 94 % des travailleurs sont employés sous des contrats à durée déterminée ou informels, ce qui les prive de toute sécurité d’emploi et de tout avantage, selon les journaux Jahan-e Sanat et Resalat.
– 95 % des travailleurs ne reçoivent pas de copie de leur contrat de travail, ce qui permet aux employeurs de les licencier à leur guise sans indemnité.
– Le régime ne reconnaît pas les syndicats indépendants. Il impose plutôt des entités contrôlées par l’État, comme les « Conseils islamiques du travail », qui ne représentent pas les intérêts des travailleurs.
– Le salaire minimum iranien pour 2025 a récemment été fixé à 10 millions de tomans par mois, alors que le coût de la vie dépasse 35 millions de tomans, selon les médias d’État. Des millions de familles sont ainsi privées des produits de première nécessité.
– Le quotidien Arman Emrooz a noté en 2023 que certains travailleurs ne pouvaient pas se permettre de manger de la viande plus de trois fois par an.
– Selon le quotidien Kar o Kargar (Travail et Travailleur), environ 40 travailleurs meurent chaque semaine des suites d’accidents du travail, souvent dans des mines et sur des chantiers dangereux et dépourvus de contrôle réglementaire.
– Un rapport de Farhikhtegan de 2021 a révélé que 20 % des femmes actives ont perdu leur emploi en une seule année, soulignant une grave discrimination fondée sur le sexe dans l’emploi.
À l’heure où les travailleurs iraniens peinent à vivre dignement, où les syndicats indépendants sont muselés et interdits, et où les libertés fondamentales sont bafouées, cette tragédie du 26 avril apparaît comme le symbole d’un système à bout de souffle. Un régime qui, aux yeux de millions d’Iraniens, n’a plus ni légitimité ni avenir. Une fois le deuil passé, la colère d’un peuple tout entier pourrait bien porter un coup fatal à l’ensemble du régime.
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