Édition du 17 juin 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Asie/Proche-Orient

Le Bangladesh après le soulèvement de 2024

En 2024, pendant ce qui fut un été intense, le Bangladesh a connu des bouleversements politiques sans précédent depuis son indépendance. Ce qui avait commencé comme des manifestations étudiantes contre un système de quotas dans la fonction publique, controversé depuis longtemps, s’est rapidement transformé en un mouvement de masse qui a mis fin à plusieurs décennies de domination de Sheikh Hasina et de la Ligue Awami au pouvoir.

Tiré d’Europe solidaire sans frontière.

Début août, les rues de Dhaka et des autres grandes villes ont vibré au rythme des slogans de protestation et ont été le théâtre de violences sanglantes, dans ce qui est depuis connu sous le nom de « révolution de juillet ».

Le 5 août 2024, sous la forte pression des manifestant.e.s, d’une partie de l’armée et d’un système de partis de plus en plus fracturé, la Première ministre Sheikh Hasina a fui le pays. Son départ a marqué la fin symbolique et effective d’une époque caractérisée par le développement économique et le développement des infrastructures, mais aussi par l’autoritarisme, la répression de la dissidence et la violence politique. Dans le vide du pouvoir qui a immédiatement suivi, le chaos a régné. Les forces de sécurité se sont temporairement retirées de nombreuses zones et les institutions ont vacillé, à deux doigts de l’effondrement. C’est dans ce climat d’incertitude qu’une figure fédératrice a émergé : le prix Nobel Muhammad Yunus. Ancien leader politique marginal, Yunus était depuis longtemps reconnu pour son travail au sein de la Grameen Bank et connu pour ses critiques à l’égard de la classe dirigeante. À l’invitation des dirigeants étudiants et avec le soutien d’une large partie de la société civile, Yunus a prêté serment le 8 août en tant que chef d’un gouvernement intérimaire. Son gouvernement de transition s’est engagé à rétablir l’ordre démocratique, à réformer les institutions défaillantes et à préparer le terrain pour la tenue d’élections dignes de ce nom.

Les mois qui ont suivi ont été marqués à la fois par l’espoir et l’incertitude. Une commission de réforme a été créée pour l’examen du fonctionnement de la justice, des forces de police, des agences de lutte contre la corruption et du système électoral. Un organe consultatif constitutionnel a commencé à travailler à la refonte de ce que beaucoup qualifiaient de structure aux mains d’un clan politique. Mais dans le même temps, ce changement a mis en évidence les profondes divisions sociales du pays. Le vide politique qui a suivi le renversement de Hasina a entraîné une forte recrudescence des violences communautaires, en particulier à l’encontre de la minorité hindoue, dans certaines régions du pays. Plus de 2 000 incidents ont été signalés entre août et décembre, notamment des attaques contre des temples, des pillages de biens et la perte de vies humaines. La réponse initiale du gouvernement a été lente, ce qui lui a valu les critiques des groupes de défense des droits humains et des observateurs internationaux. Mais selon certaines sources, la Ligue Awami, qui avait été évincée du pouvoir, aurait orchestré ces incidents afin de ruiner la réputation du gouvernement intérimaire et de provoquer des troubles sociaux dans le but de prouver que le régime précédent était meilleur.

À fur et à mesure que le programme de réforme avançait, le gouvernement intérimaire lançait également une vaste campagne de poursuites judiciaires. Des milliers de membres de la Ligue Awami et de ses affiliés ont été arrêtés, notamment après une attaque meurtrière à Gazipur en janvier 2025, qui aurait été perpétrée par des partisans du parti au pouvoir. Beaucoup ont salué cette mesures, y voyant la mise en œuvre d’une justice qui avait fait défaut pendant de longues années de violence politique ; d’autres ont craint qu’il ne s’agisse là que d’un prélude à une vengeance post-électorale. En mai 2025, les tensions atteignaient un nouveau paroxysme. Des foules immenses se rassemblaient à nouveau sur la place Shahbagh de Dhaka, réclamant non pas davantage de réformes, mais l’interdiction définitive de la Ligue Awami. Cette fois-ci, c’est le National Citizen’s Party (Parti national des citoyens, NCP), né du soulèvement de 2024 et mené par des étudiant.e.s, qui a pris les choses en main. Le 12 mai, le gouvernement intérimaire a annoncé la suspension de toutes les activités de la Ligue Awami, invoquant les lois antiterroristes. Le paysage politique, déjà en pleine mutation, était désormais plus clairement redessiné.

Hasina, toujours en exil en Inde, a été inculpée de crimes contre l’humanité. Le 1er juin, un tribunal de Dhaka a officiellement ouvert le procès contre elle et plusieurs anciens ministres, accusés d’avoir orchestré la répression meurtrière des contestataires lors du soulèvement de juillet. L’affaire a divisé l’opinion publique : tandis que les partisans du nouveau régime saluent cette mise en cause tant attendue, ses détracteurs y voient une instrumentalisation politique de la justice. Parallèlement, Yunus subit des pressions croissantes pour qu’il précise son calendrier électoral. Après être resté dans le vague, il a récemment annoncé que les élections nationales se tiendraient au cours du premier semestre 2026. Le BNP, autrefois principal parti d’opposition à la Ligue Awami de Hasina, a rejeté cette date et exige des élections avant décembre 2025.

La société civile est elle aussi divisée : si certains se réjouissent du temps ainsi gagné pour mener à bien les réformes institutionnelles, d’autres craignent que les retards et l’inégalité des chances ne portent atteinte à la légitimité du processus engagé. Les réactions internationales ont également été mitigées. L’Inde, qui soutient Hasina depuis des années, a exprimé son inquiétude quant à la marginalisation de la Ligue Awami, mettant en garde contre la création d’un précédent qui exclurait des acteurs politiques clés. Les gouvernements occidentaux, notamment le Royaume-Uni et l’Union européenne, soutiennent le processus de réforme mais restent vigilants quant à la situation des droits humains et à l’indépendance du pouvoir judiciaire. À mi-chemin de l’année2025, le Bangladesh reste suspendu entre révolution et reconstruction.

Badrul Alam

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Asie/Proche-Orient

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...