Édition du 23 avril 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Les enjeux de l’immigration

Pendant que le gouvernement sème la confusion avec son projet de « charte des valeurs », les enjeux véritables des grandes transformations en cours sont occultés. Parmi ces enjeux se situent évidemment les questions relatives à l’immigration. Aujourd’hui, plus de 250 000 personnes arrivent au Canada légalement. À cela il faut ajouter les réfugiés (+ de 10 000), ainsi que le nombre substantiel et en croissance d’ « illégaux » (estimé à 100 000) et de migrants « temporaires » (+ de 300 000). Résultat, en 2017, 22 % de la population du Canada sera immigrante. Certes, le phénomène canadien s’inscrit dans des processus complexes, qui relèvent de la restructuration du capitalisme « globalisé ». L’accroissement de l’immigration est également relié à la dépopulation relative et au vieillissement, caractéristiques des pays capitalistes du « centre ».

Discriminations

Comme ailleurs dans le monde, cette population immigrante est segmentée. Les immigrant-es non-qualifiés sont dans le secteur des services privés et l’agriculture. Les qualifiés sont dans l’ingénierie, l’informatique, la médecine, l’enseignement universitaire. Fait à noter, même en tenant compte du pourcentage élevé de diplômés universitaires pour les nouveaux immigrants, leurs revenus restent de 10 % inférieurs, en moyenne, à ceux des autres populations canadiennes. Les immigrants et immigrantes sont réellement « déqualifiés », via un dispositif complexe de systèmes discriminants, et qui aboutit à les pénaliser lourdement sur le marché du travail, quelles que soient leurs compétences et diplômes. Entre temps, le taux de chômage parmi les immigré-es est pratiquement le double de celui qui existe pour la population en général. Autre indicateur important, 15% de la population immigrante vit en dessous du seuil de la pauvreté : c’est le double du pourcentage national.

Zone de non-droits

Certaines catégories sont particulièrement vulnérables, comme les migrants à « contrat ». Récemment, le système d’immigration canadien a considérablement augmenté le nombre de ces travailleurs à contrat, qu’on est maintenant habitués à voir dans les fermes du Québec. Mais aujourd’hui dans la construction, l’industrie, les services, ces immigrants temporaires aux droits très restreints prolifèrent. En Alberta par exemple, leur nombre a augmenté de 340 % depuis 2004 ! Parallèlement, d’autres catégories d’immigrant-es en état de fragilité augmentent également, tels les travailleuses domestiques.

Controverses sur l’« identité »

Aujourd’hui, les flux immigrants proviennent très majoritairement des pays du tiers-monde. Ainsi à l’échelle canadienne, 47 % de la population affirme maintenant une autre origine ethnique que britannique ou française. Dans plusieurs grandes villes dont Toronto et Montréal, la couleur de la population a changé. Avec cette réalité viennent d’autres « marqueurs » qui permettent de singulariser, et donc de plus facilement discriminer et discipliner la main d’œuvre immigrante. Le facteur racial n’est pas négligeable, par exemple. Par ailleurs, une partie considérable de cette « nouvelle » immigration provient de régions principalement habitées par des Musulmans. Selon les projections, on comptera (dans dix ans) 1,8 million de Musulmans au Canada, majoritairement concentrés à Toronto, Vancouver et Montréal. Certes, l’identité religieuse (pour les Musulmans comme pour les autres) s’exprime par des traditions, des points de repère qui sont souvent les fêtes religieuses, ainsi que des habitudes culinaires et vestimentaires. De temps en temps, ces différences culturelles sont exacerbées ou manipulées par des projets qui cherchent à exagérer les « marqueurs » des identités.

Deux poids deux mesures

En fin de compte, il faut admettre que notre société à bien des égards n’est pas « radicalement » séculière. Cette sécularisation de la société reste sans doute un lointain objectif qui viendra, non pas de décrets ou de discriminations, mais à travers des changements dans la société, et sur la base de nouvelles valeurs comme l’égalité, la solidarité, l’internationalisme. En attendant, il est facile d’exacerber ces différences en prétendant que les uns ou les autres (les Musulmans en l’occurrence) refusent « nos » valeurs et doivent être sanctionnés pour cela. Que des Musulmans désirent afficher leur religion n’est pas acceptable. Alors que de mille et une manières, si ce n’est que dans le calendrier officiel, les références chrétiennes abondent. Ce qui est juste pour les uns cesse de l’être pour les autres.

Les immigrants comme acteurs sociaux et politiques

De tout cela, on pourrait conclure, un peu facilement, que les immigrants sont au centre des luttes sociales et politiques contemporaines. Or tel n’est pas le cas, contrairement à une certaine image romantique véhiculée par certains courants de gauche. En réalité, les discriminations jouent un rôle considérable, d’une part pour isoler les migrants dans une lutte sans fin pour la survie, d’autre part pour les marginaliser au sein même des mouvements populaires. Mais il y a aussi d’autres facteurs. Beaucoup d’immigrants s’insèrent, par nécessité ou par choix, dans les micro entreprises privées, dans les services notamment, un milieu, d’une part, peu propice à l’organisation et d’autre part, imbu de préjugés réactionnaires contre les classes populaires dont il faut, pour acquérir un certain statut, se distinguer clairement. Cette évolution est plus forte aujourd’hui, alors que le gouvernement Harper courtise cette classe de migrants sur la base de son idéologie anti-secteur public, religieuse-conservatrice, fondamentalement réactionnaire.

Résister

Le mouvement populaire doit donc élaborer de nouvelles stratégies et ce, dans le but ultime de coaliser les classes populaires, immigrantes et non immigrantes, autour d’un programme de lutte pour la justice. D’importantes luttes sont déjà en cours. Parallèlement aux résistances contre la discrimination, des initiatives de toutes sortes se multiplient pour organiser et densifier la vie communautaire et l’entraide parmi les immigrants et immigrantes. Plusieurs « fronts » sont indispensables. Par contre, une convergence de ces initiatives leur permettrait d’aller plus loin, ce qui implique de définir un certain nombre d’éléments cohésifs, autour desquels les divers mouvements peuvent se rassembler. Terminons en suggérant un certain nombre de ces éléments potentiellement rassembleurs :

L’interdiction de toutes les discriminations formelles et informelles qui singularisent et marginalisent les immigrants (dans l’accès aux services et aux logements, l’emploi, la reconnaissance des diplômes, etc.)

 L’organisation et la syndicalisation des travailleurs et travailleuses précaires, dont un grand nombre sont des immigrants.

 La légalisation massive et rapide des « illégaux » et réfugiés en attente de statut. La mise en place de mécanismes adéquats et accueillants pour permettre aux personnes persécutées de prendre refuge au Canada.

 La défense de la primauté des droits citoyens comme l’égalité entre les hommes et les femmes, quelque soit leur origine, religion, ethnicité.

 Le respect des autres cultures et religions, et des mœurs qui vont avec (y compris le port du Hijab), dans le respect plus global des droits fondamentaux qui excluent toute discrimination basée sur la religion, la race, le sexe, etc.

 La promotion par et pour tout le monde d’une nation québécoise plurielle et civique dont la langue commune est le français.

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