Édition du 10 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Intervention impérialiste

Les massacres de masse en Irak : Le solde de tout compte pour les États-Unis

« Nous avons amené la torture, les bombes à fragmentation, l’uranium appauvri, d’innombrables assassinats commis au hasard, la misère, la dégradation et la mort au peuple irakien, et on appelle ça apporter la liberté et la démocratie au Proche-Orient. »

« Nous avons amené la torture, les bombes à fragmentation, l’uranium appauvri, d’innombrables assassinats commis au hasard, la misère, la dégradation et la mort au peuple irakien, et on appelle ça apporter la liberté et la démocratie au Proche-Orient. »

Harold Pinter (Prix Nobel de littérature)

Irak ! Afghanistan ! Pakistan ! Ghaza ! Nous commençons à nous habituer à l’horreur des bilans macabres de dizaines de personnes journellement fauchées avec tout au plus une attention de quelques secondes, le temps de passer dans les médias européens et occidentaux à des informations évaluées selon d’autres critères. Un policier est mort, un bébé se noie ! C’est le branle-bas de combat des médias qui en rajoutent. D’un côté, des morts par dizaines des blessés, des vies brisées, de l’autre des unités. Sans tomber dans la concurrence victimaire, qu’on le veuille ou non, c’est la même humanité en Irak, en France, aux Etats-Unis ! Les grandes messes médiatiques, plus que jamais aux ordres, nous annoncent qu’Obama a décrété que la guerre est finie en Irak.

Avant justement de parler de la fin de la guerre selon les Etats-Unis. Qu’il nous soit permis de revenir sur le début de la guerre en faisant le bilan de la première croisade du XXIe siècle. Tout commence pour l’Irak, avec les 8 ans de guerre contre l’Iran, aidé en cela par les monarchies du Golfe et le camp occidental qui voulait conjurer le péril vert de la Révolution iranienne. Fin des années 80, la guerre alimentée par l’Occident termine par un non-lieu qui a rendu exsangue l’Irak. D’autant que la chute des prix du pétrole fut importante du fait que les pays du Golfe pratiquaient un dumping qui contournait les quotas.

Ce qui exaspérait Saddam Hussein à qui le Koweït réclamait les prêts versés pour alimenter la guerre avec l’Iran. Résultat des courses, Saddam Hussein envisage d’envahir le Koweït pour récupérer sa 19e province [que la Grande- Bretagne avait détaché, suite à l’éclatement de l’Empire ottoman, au début du XXe siècle]. Il demande la « permission » aux Etats-Unis lors d’une entrevue le 25 juillet 1990 avec l’ambassadrice April Glaspie. Ils lui font savoir à mots à peine couverts que les USA ne se considéreraient comme nullement impliqués si l’Irak lançait une opération contre le Koweït. C’est ce qu’on appelle un « feu vert ». Une petite semaine après l’entretien, le 1er août 1990, Saddam pénètre au Koweït.

Tragique erreur ! C’est la faute inespérée qui a permis aux Etats-Unis, dont les réserves de pétrole étaient sur le déclin, de trouver le motif de s’installer durablement dans le Golfe persique. Plusieurs bases américaines sont installées dans tous les pays du Golfe. On dit d’ailleurs que pour savoir où sont implantées les bases américaines, il faut suivre les pipes. Le président des Etats-Unis, George Bush, prend prétexte pour mettre la coalition contre Saddam Hussein mis au ban du monde « civilisé ». Malgré son offre de se retirer, James Baker eut des mots très durs envers Tarik Aziz. Promesse tenue, le 17 janvier 1991, ce fut « Desert storm » la première guerre du Golfe. 400 morts du côté de la coalition, qui comprenait, il faut le rappeler, aussi plusieurs pays arabes.. Plusieurs milliers de morts du côté irakien, mais le régime a été laissé en place.
Par la suite, il y a eu 12 ans d’embargo pour la recherche d’armes de destruction massive et le fameux Plan « Pétrole contre nourriture » qui a affamé des centaines de milliers d’Irakiens et causé la mort de 500.000 enfants irakiens.

Pour Madeleine Albright, secrétaire d’Etat de la période Clinton, « ce n’est pas cher payé si c’est le prix à payer pour faire partir Saddam ». L’avènement du born again « George » Walker Bush donna un coup d’accélérateur à la démolition systématique de l’Irak. Ce fut la deuxième guerre du Golfe, opération Iraqi Freedom, qui a débuté le 20 mars 2003. Prenant prétexte des ADM, jamais trouvés, des liens non prouvés avec Al Qaîda, les néoconservateurs comptaient faire coup double par le prétexte de la démocratie aéroportée et le Mepi (le Grand Moyen-Orient) : s’emparer des réserves pétrolières évaluées à 110 milliards de barils [Liens entre les néoconservateurs au pouvoir à Washington et des entreprises d’exploitation pétrolière, notamment le Groupe Carlyle, Enron, Halliburton Energy Services et Unocal et désarmer le Moyen-Orient pour permettre à Israël d’être la seule puissance en face de 300 millions d’Arabes avec éventuellement le règlement du sort des populations palestiniennes réduites à vivre sur un bantoustan sur les 18% de la Palestine originelle.

Après leur victoire sur un tas de ruines, les troupes de la coalition ont cherché à « pacifier l’Irak ». Néanmoins, la majorité des villes se trouvent dans une situation difficile : pillages, affrontements, règlements de comptes... Selon J.Stieglitz, le coût global de la guerre en Irak serait de 3000 milliards de dollars. Il y eut le scandale de la prison d’Abou Ghraib avec toute l’horreur attachée à la perversion d’un côté et aux souffrances de l’autre. En janvier 2007, en pleine fête de l’Aïd el Adha, Saddam Hussein a fait preuve d’un rare courage lors de sa pendaison. En octobre 2006, la revue médicale The Lancet estimait le nombre de décès irakiens imputables à la guerre à 655.000.

Pour la seule deuxième guerre du Golfe , l’Institut Opinion Research Business a estimé à plus de 1.000.000 le nombre de victimes irakiennes entre mars 2003 et août 2007. La guerre a provoqué l’exode d’au moins deux millions d’Irakiens. Ceci sans parler des dégâts occasionnés par le programme « pétrole contre nourriture » : plus de 500.000 enfants seraient morts de maladie et de malnutrition. Les dommages aux infrastructures civiles sont immenses : les services de santé sont pillés. Il y a eu une détérioration des canalisations d’eau et la dégradation des bassins hydrographiques du Tigre, de l’Euphrate. Il y a de plus, augmentation de l’insécurité générale (pillages, incendies et prises d’otage), suite à la désorganisation totale des différents services publics tels que les forces de l’ordre. De nombreux centres historiques ont été détruits par les bombardements américains, les combats et les pillages. Le Musée national d’Irak a été pillé.(1)

Les Américains quittent l’Irak : le solde de tout compte

En novembre 2008, les gouvernements irakien et américain ont signé un pacte bilatéral incluant le Status of Forces Agreement (Sofa) qui fixe à la fin 2011 le terme de la présence militaire des États-Unis. Les Américains avec la satisfaction du devoir bien fait, notamment par une mainmise sur les ressources pétrolières par les multinationales américaines interposées, rentrent au pays. Dans son discours du 31 août 2010 décrétant « terminée l’opération Liberté irakienne », Barack Obama a précisé : « Notre engagement pour le futur de l’Irak, lui, ne prend pas fin » et il a ajouté que « les Etats-Unis seraient toujours présents en tant qu’ami et partenaire ». En clair, c’est toujours une armée d’occupation qui veille au grain avec comme priorité, sécuriser les puits de pétrole. Peu importe si, par leur faute, les Irakiens s’étripent à qui mieux mieux.
Obama a rappelé une promesse qu’il avait faite en tant que candidat.

Un discours où il ne dit pas un mot de la souffrance des Irakiens, des décombres que les Etats-Unis laissent au contraire dans la lignée de Bush, il persiste et signe :
« Les Américains qui ont servi en Irak ont accompli la mission qui leur avait été confiée. Ils ont infligé la défaite à un régime qui terrorisait son peuple. Avec les Irakiens et les partenaires de la coalition, ils ont fait d’immenses sacrifices. Nos troupes ont combattu pâté de maisons après pâté de maisons pour aider les Irakiens à avoir une chance d’avenir meilleur. Nous avons persévéré car nous partageons avec le peuple irakien une croyance : celle qu’un nouveau début peut sortir des ruines de la guerre dans ce berceau de la civilisation. Il est désormais temps de tourner la page. »

Du côté des néoconservateurs, c’est l’allégresse, Obama continue « l’oeuvre » de Bush. Doug Ireland écrit :

Dans son discours sur la fin des missions de combat en Irak, Obama a bel et bien confirmé l’importance du pouvoir impérial armé. Les néoconservateurs applaudissent. Selon l’important ténor des néoconservateurs John Podhoretz, chef éditorialiste au New York Post, le discours présidentiel a incarné « un défi nationaliste au monde » quand Obama a dit que l’événement devait faire passer au monde « le message que les États-Unis ont l’intention de maintenir et renforcer [leur] leadership dans ce jeune siècle ».

Encore « plus frappant », écrivait Podhoretz dans sa chronique titrée Barack le néo-con, « est le fait qu’Obama a présenté l’engagement américain en Irak comme un exemple de ce que l’Amérique peut faire quand elle le veut » car le président a affirmé que « cette étape doit servir à rappeler aux Américains que nous avons à déterminer l’avenir ». (2)

Pour Podhoretz, Obama « ressemblait à Bush » quand il a semblé bénir la guerre en Irak en déclarant qu’avec elle l’Amérique avait « assumé ses responsabilités ». Même son de cloche chez William Kristol, rédacteur en chef de la bible des néoconservateurs, le Weekly Standard, qui a écrit que le discours d’Obama était « louable », particulièrement quand le président a proclamé sur un ton guerrier que « nos soldats sont l’acier dans le navire de l’État...Ils nous donnent confiance dans la justesse de notre chemin, et qu’au-delà de la nuit qui précède l’aube, des jours meilleurs sont devant nous ». Une « déclaration pas mauvaise sur l’importance et la nécessité d’un pouvoir fort », conclut Kristol. Autrement dit, Obama a bel et bien confirmé l’importance du pouvoir impérial armé. C’est dire si la gauche a été très déçue par le discours présidentiel.(2)

Le bilan

Nous donnons à Théophraste R. du journal LeGrandsoir le soin de nous décrire d’une façon simple et percutante l’histoire de l’invasion de l’Irak.
« C’est l’histoire de sauvageons qui débarquent dans votre maison, cassent tout (sauf les objets d’art qu’ils volent pour décorer leur repaire), violent, tuent, circonviennent des membres de votre famille, fabriquent des collabos qu’ils arment pour les remplacer. Puis, les vandales quittent le champ de ruines en avertissant que le commerce des fruits de votre jardin est régi par des contrats qu’ils vous ont fait signer, le couteau sous la gorge, et dont le respect sera assuré par des nervis payés par eux. Ainsi, après bientôt 8 ans d’occupation, de pillages, de massacres à grande échelle, d’exécutions sommaires, de tortures, l’Irak détruit (où se déchaînent les sanglantes haines religieuses revigorées) est livré à un gouvernement élu sous la botte et dont l’allégeance aux intérêts états-uniens continuera à être contrôlée par 50.000 soldats résiduels US et des cohortes de mercenaires motivés par l’argent et par la garantie de l’impunité pour des exactions qui les conduiraient à la potence ou à la prison à vie dans les pays d’où ils viennent (...) » (3)

En fait, les Etats-Unis laissent un pays livré au chaos et il n’est pas interdit de prédire une partition de l’Irak en trois régions. Seuls les Etats-Unis avaient la capacité d’influencer les principales forces politiques en Irak, que ce soient les formations kurdes, chiites ou sunnites, afin d’éviter l’éclatement du pays. Une perspective toujours bien réelle. Pour preuve, le gouvernement du Kurdistan irakien est en train de signer des accords avec des compagnies étrangères pour l’exploitation du pétrole et du gaz. Et ce, contre la volonté de Baghdad.
Alain Gresh écrit à propos du chaos actuel :
« (...) Cette guerre d’agression, non provoquée, déclenchée sous le faux prétexte de chercher des armes de destruction massive, est d’abord une violation des principes des Nations unies qui, le 14 décembre 1974 à travers leur assemblée générale, adoptaient un texte définissant l’agression. Au-delà de cette dimension juridique et des querelles qu’elle peut susciter, le bilan de la guerre américaine, menée sans l’aval des Nations unies, est accablant : destruction du pays, de ses structures étatiques et administratives. Il n’existe plus d’Etat irakien qui fonctionne. Sept ans après la guerre, l’électricité arrive à peine quelques heures par jour, la production pétrolière stagne, l’administration ne fonctionne pas, les écoles et les universités sont à l’abandon, etc. » (4)

« Reconstruire une structure unifiée et efficace nécessitera sans doute des décennies. Le confessionnalisme, encouragé dès les premiers jours par l’occupant, a été institué dans toutes les fonctions, et la répartition des postes se fait désormais en fonction de l’appartenance communautaire ou nationale. Les principales forces politiques sont « chiites », « sunnites » ou « kurdes ». Et demeurent une série de bombes à retardement, comme la délimitation des « frontières incertaines du Kurdistan ».(4)

« Le bilan humain est terrible. Si on connaît précisément les pertes américaines (environ 4400 tués), celles des Irakiens ont fait l’objet d’évaluations très diverses : on ne recense pas un mort "arabe" comme on recense un mort "occidental" ; seul ce dernier a un visage. (...) Et la question que personne ne posera : qui sera jugé pour ce crime ? Comment s’étonner que nombre de pays ne suivent pas le Tribunal pénal international quand il inculpe le président soudanais Omar Al-Bachir, ou des criminels de tel ou tel petit pays africain, alors que MM.George W.Bush, Dick Cheney et Donald Rumsfeld continuent tranquillement à couler des jours heureux en donnant des conférences sur le monde libre, la démocratie et le marché pour quelques dizaines de milliers de dollars la prestation ? »(4)

« Obama n’a pas eu un seul mot pour les civils irakiens, au moins 650.000 et peut-être même plus d’un million morts à cause de la guerre. Il n’a pas eu une pensée pour les plus de quatre millions d’Irakiens chassés de chez eux par la guerre et qui croupissent dans la misère dans des pays voisins, sans papiers, sans pouvoir travailler, et sans pouvoir retourner dans leurs maisons détruites ou par peur des violences sectaires des intégristes. Obama a passé sous silence les souffrances de ces victimes d’une guerre illégale contre un pays qui ne nous a rien fait de mal. Au lieu de quoi, le président a souligné qu’il fallait "tourner la page" sur cette guerre. Parce qu’il n’ose pas regarder ce qui est écrit sur cette page ! »(4)

Même Tony Blair occupé à parcourir la planète, avec ses multiples casquettes d’émissaire onusien, de consultant grassement rémunéré, écrit dans ses mémoires : « Je ne peux pas regretter. » Si c’était à refaire, Tony Blair n’hésiterait pas une seconde.
« L’invasion de l’Irak, écrit Harold Pinter prix Nobel de Littérature, était un acte de banditisme, un acte de terrorisme d’État flagrant, la preuve d’un mépris absolu pour le droit international. Combien de personnes faut-il tuer avant de mériter d’être décrit comme un massacreur et un criminel de guerre ? Cent mille ? » La question est à poser au Tribunal pénal international.

Notes/Références

1.Chems Eddine Chitour http://www.legrandsoir.info/L-Irak-d-Hammourabi.html

2.Doug Ireland enchante-les-faucons-neo,11774.html 4.09.2010

3.Théophraste R. : Tuez-vous, mais ne vous faites pas mal ! Legrandsoir.info 2.09.2010

4.Alain Gresh : Guerre d’Irak, le crime, Le Monde diplomatique, 2 Septembre 2010

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