Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Europe

Notre urgence : se débarrasser de Macron et son monde moisi

La politique du président des riches obéit à un but : le profit, l’enrichissement de quelques-uns au détriment de la majorité. La poursuite de cet objectif s’appuie sur un discours qui valorise les premiers de cordée, les entrepreneurs, les patrons, les startupers obsédés par le désir de devenir milliardaires, et « en même temps » ce discours déprécie ceux qui ne sont rien, les illettrés, les fainéants, ceux qui n’ont pas les moyens de se payer un costard et autres Comoriens amenés par des kwassa-kwassa. En résumé, les riches sont riches parce qu’ils le méritent et les pauvres sont pauvres parce qu’ils le veulent bien.

tiré de : Objet : [CADTM-INFO] Banques, APD, Argentine, France, Grèce...

Pour atteindre le but qu’ils se sont fixé, le président des riches et ses affidés développent de façon intensive l’appropriation privée des biens communs censés appartenir à la collectivité et la privatisation des services publics sur fond d’injustice fiscale. Cela se traduit par une captation de revenus par une minorité et son corollaire la mise en place d’un asservissement par la dette des familles qui ne peuvent plus vivre décemment et des États qui ne parviennent plus à financer les besoins sociaux collectifs. Ici aussi, un discours prêt à l’emploi vient naturaliser, légitimer et encourager ce processus. C’est le discours technocratique de la doxa libérale qui fait de la concurrence libre et non faussée, l’ouverture au marché, la marchandisation et les privatisations, l’horizon radieux et incontournable de notre société.

Les conséquences d’une telle politique, nous les vérifions au quotidien à travers le creusement des inégalités, le gonflement des dettes publiques et privées, le développement de la pauvreté et le saccage de la nature.

Ce système qu’affectionne tant le président des riches a un nom : le capitalisme.

Parce qu’il est hors de question que nous restions sans réagir, nous – le camp du plus grand nombre, des exploités –, tout en combattant le capitalisme, devons élaborer collectivement et avancer une alternative.

Notre but n’est pas l’enrichissement de quelques-uns mais le bien-être de toutes et tous. Un tel dessein ne se réfère pas aux dogmes de la concurrence et de l’opposition entre les individus, mais à des principes de solidarité et de partage.

Pour accomplir notre projet, nous devons nous approprier les biens communs qui relèvent d’un usage collectif tels les outils de production, nous réapproprier collectivement les services publics qui ont été livrés ou sont en voie de l’être à des intérêts privés, puis ensuite les destiner à un usage collectif maîtrisé. L’éducation, la santé, l’énergie, les transports, les banques, les assurances doivent être gérés dans le cadre de services publics associant les usagers, les salariés, les élus et tous les citoyens concernés. À la privatisation, opposons la socialisation et le contrôle citoyen.

Le discours justifiant la socialisation n’est pas de nature technocratique, c’est un discours éthique enraciné dans les comportements humains et la vie sociale. Nous devons également engager des audits de l’ensemble des dettes et répudier celles qui sont illégales, illégitimes, odieuses et insoutenables. La dette ne doit plus être un outil au service des puissants pour l’asservissement des populations.

Nul doute que la mise en œuvre d’un tel projet inscrit dans une logique de développement soutenable serait porteuse d’un mieux-être pour la planète et ses habitants.

La France a connu ces dernières années et connaît toujours aujourd’hui des grèves et des mouvements sociaux, mais malgré des succès non négligeables (par exemple le combat victorieux après 111 jours de grève des salariés d’Héméra, une société de nettoyage sous-traitante pour l’hôtel Holiday Inn de Clichy), la résignation et le découragement restent encore des sentiments partagés par beaucoup. Pourtant, une telle situation n’est pas inéluctable. Souvenons-nous, même si nous nous sommes fait voler notre victoire, du combat que nous avons mené contre le Traité constitutionnel européen (TCE) qui a abouti, le 29 mai 2005, à un vaste rejet populaire (près de 55 % de non !), malgré la coalition de l’ensemble des grandes organisations politiques et des médias mainstream à leur botte. Quelles ont été les raisons de notre succès ? Il y en a plusieurs. Tout d’abord ce TCE représentait à lui seul un projet d’ensemble, un projet de société identifié en tant que tel et perçu comme l’horizon libéral appelé à circonscrire nos vies et celles de nos enfants.

Ensuite, on doit saluer l’énorme travail de pédagogie entrepris par des militants pour expliquer à la population les enjeux d’un texte long et compliqué. Enfin, ce succès doit beaucoup à la façon dont le mouvement social a pris en charge l’organisation de la lutte sur le terrain dans le cadre de collectifs dynamiques faisant vivre une démocratie locale que l’on n’avait pas vue depuis longtemps.

Aujourd’hui, pour renouer avec ce succès, il nous appartient de concevoir et porter un projet identifiable, lisible et qui parle à tous. Nous pensons que l’appropriation des biens communs relevant d’un usage collectif et la réappropriation des services publics privatisés doivent être au cœur de ce projet car, à partir de ce noyau, peuvent se décliner des mesures essentielles en matière de salaires, de retraite, de droit du travail, de fiscalité, d’éducation, de culture, de financement du développement soutenable, de répudiation des dettes illégales, illégitimes, odieuses et insoutenables, etc. Un tel projet, de par sa nature, aurait l’avantage d’intéresser et d’impliquer les populations délaissées des quartiers populaires et des campagnes particulièrement impactées actuellement par le manque de services publics.

Mais se doter d’un tel programme n’est pas suffisant en soi, et nous devons nous garder de deux dangers qui seraient de nature à provoquer son échec.

Le premier, c’est l’éternel piège du réformisme, des demi-mesures, des concessions au capital. Un exemple pour illustrer ce danger. Avec d’autres (citons par exemple Sud Solidaires BPCE, le CADTM, le NPA et des économistes tels Frédéric Lordon ou Michel Husson), nous préconisons la socialisation de l’intégralité du système bancaire contre un autre choix qui propose la mise en place d’un pôle public bancaire, essentiellement construit autour de la CDC, la Banque postale et la Banque de France, à côté de deux autres pôles, un pôle mutualiste et un ensemble de grandes banques privées. Ayant travaillé plus de trente ans dans le monde bancaire, côtoyé et observé ses dirigeants au quotidien, je sais très bien que le pôle public finira en banques des pauvres pendant que les banques privées poursuivront leurs activités spéculatives singées par les pseudo-banques mutualistes.

La socialisation intégrale que nous proposons n’obéit pas à une vision dogmatique, à une attitude psychorigide, au parti pris du tout ou rien. Elle relève au contraire d’une analyse objective et fondée de ce que doit être une banque. L’épargne, le crédit, l’intégrité des systèmes de paiement, la monnaie sont des biens communs devant être au service de l’ensemble de la société, c’est pourquoi il importe qu’ils soient gérés dans le cadre d’un service public bancaire socialisé sous contrôle citoyen [1].

Le second danger susceptible de mettre en péril notre entreprise, c’est le choix des armes pour notre combat. Nos armes doivent pouvoir rivaliser avec celles de nos ennemis, les capitalistes et leurs sectateurs. Il importe donc préalablement d’identifier ceux qui sont en face de nous, de révéler leur vrai visage et leur véritable nature qu’ils dissimulent en permanence. En face de nous, nous avons des tueurs sans états d’âme. La liste est longue de celles et de ceux qu’ils ont assassinés froidement au nom de leur logique de profit. Il n’est pas besoin de remonter au temps de l’esclavage et du travail des enfants pour le vérifier. Aujourd’hui, en France, c’est par milliers que se comptent les victimes de l’amiante, des maladies professionnelles, des accidents du travail, des suicides sans parler des autres victimes des guerres, du crédit, des famines et des migrations de populations qu’entraînent avec eux les capitalistes dans leur course effrénée à la mise à sac de la planète. Face à ces massacreurs, nos black blocs font figure d’enfants de chœur et de jeunes communiants.

Quittons l’aspect humain, pour évoquer l’aspect matériel. Que représentent les quelques millions d’euros de sucettes publicitaires cassées, de vitrines de banques brisées ou des quelques voitures brûlées à côté des milliards que vole au quotidien le capital à la société. Un seul exemple pour s’en convaincre : en avril 2016, alors que les banques privées se procuraient des financements auprès de la BCE à 0 %, voire à – 0,40 %, le Crédit Foncier de France (filiale du groupe bancaire BPCE) a extorqué à la collectivité de Nîmes Métropole qui remboursait par anticipation un emprunt toxique de 10 millions d’euros, en plus de ces 10 millions, une indemnité de remboursement anticipé de… 58,6 millions d’euros. Je laisse à chacune et à chacun le soin de convertir ce montant en équivalent sucettes, vitrines et voitures passées en pertes et profits. Il est vrai que BFM et ses collègues médiatiques se montrent plus diserts sur la casse des black blocs que sur les casses de la finance. Pas étonnant que sur ces derniers nous manquions cruellement de mots et d’images…

C’est donc à nous qu’il appartient d’enlever le masque du capital et de révéler au grand jour les violences qu’il nie, cache ou euphémise. C’est le préalable indispensable à la légitimation du choix et de l’usage des nouvelles armes dont nous devons nous doter pour affronter le capital car il est grand temps de réfléchir à nos forces, à nos armes et à nos modes d’action
. Les capitalistes exploitent de façon intensive ce qui est à leurs yeux une masse indistincte de travailleuses et de travailleurs pour réaliser l’extorsion de leurs profits.

En revanche, ils ciblent de façon très précise celles et ceux qui s’opposent à eux : grévistes, manifestants, syndicalistes, opposants politiques, lanceurs d’alerte. Ils ne reculent devant rien pour s’emparer des fruits du travail des autres : meurtre [2], menace, chantage, vol, commerce avec les cartels de la drogue et les trafiquants d’armes, ententes illicites, fraude, utilisation des paradis fiscaux, casse d’entreprises, etc. Au vu de cette liste non exhaustive et vérifiable, la question de la violence nécessaire à la défense des intérêts du plus grand nombre doit être posée. C’est à cette seule condition que nous pourrons rétablir et maintenir la paix sociale qui nous fait défaut aujourd’hui. Dans notre code pénal, l’article 122-5 reconnaît la nécessité de légitime défense sous réserve qu’il n’y ait pas « disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte ».

Face à l’extrême gravité des atteintes multiples et répétées commises par les représentants du capital, on mesure la « disproportion » des moyens de défense que sont les pétitions, les grèves saute-mouton, les manifestations et autres rassemblements festifs aussi louables que soient toutes ces initiatives. Mais pour nécessaires qu’elles soient, ces actions n’en sont pas moins insuffisantes. Aujourd’hui, il est grand temps que nous nous posions collectivement la question de notre légitime défense et de la mise en œuvre de nouvelles formes de lutte dont les ZAD sont une illustration. Ce questionnement doit s’accompagner de la critique radicale de nos institutions qui nous représentent de moins en moins et se complaisent dans des forfaitures à répétition. Il n’y a plus de démocratie dans les institutions lorsque l’Assemblée nationale et le Sénat sont aux ordres des lobbies
, le président de la République et le gouvernement à la solde du Medef, le Conseil constitutionnel et la justice inféodés à la finance. Camarades, dessillons-nous les yeux et mettons les mots justes sur ce que nous voyons avant d’en tirer les conséquences pratiques qui s’imposent !

Pour se débarrasser de Macron et son monde moisi, concevons et portons ensemble un projet de société identifiable, lisible et qui parle à tous, bâti d’une part sur l’appropriation des biens communs qui relèvent d’un usage collectif, et d’autre part sur la réappropriation des services publics privatisés. Si nous voulons vraiment rompre avec la logique du capital, notre projet doit être radical et bannir les demi-mesures.

De même, pour que ce projet puisse voir le jour et s’appliquer, il va nous falloir choisir et employer des armes susceptibles de faire plier le capital. Retournons contre celui-ci les armes qu’il utilise au quotidien contre nous. Le capital sabote nos vies en supprimant nos emplois sans état d’âme, en nous imposant des rythmes de travail infernaux, en nous consentant des revenus indignes, en nous plongeant dans l’insécurité, alors en retour, sabotons le capital, bloquons la production par tous les moyens utiles… même si quelques caténaires doivent en faire les frais. Les capitalistes, leur pouvoir et leur police ciblent et s’acharnent contre les plus combatifs d’entre nous, à notre tour, attaquons-nous aux capitalistes. Identifions et faisons connaître physiquement les grands requins du CAC 40, les dirigeants des grands groupes bancaires et des grosses sociétés. À cette centaine d’individus, rendons la vie impossible chaque jour comme ils s’y appliquent à notre égard.

Tous ensemble, battons pour une société juste, solidaire et pacifique. Plus que jamais, la radicalité, nos racines, c’est notre cause.

Notes

[1] Sur la question de la socialisation du système bancaire, je renvoie à mon récent article : http://www.cadtm.org/Pourquoi-la-socialisation-du ainsi qu’à un texte collectif : http://www.cadtm.org/Que-faire-des-banques-Version-2-0. Je signale également cette plaquette à vocation pédagogique du syndicat Sud Solidaires BPCE : https://blogs.mediapart.fr/patrick-saurin/blog/131214/au-service-de-quelle-banque-sommes-nous

[2] Je renvoie ici à l’assassinat déguisé en suicide de David Rossi, survenu la nuit du 6 mars 2013, alors que celui-ci, à l’époque directeur de la communication de la banque Monte de Paschi de Sienne, s’apprêtait à faire des révélations au procureur chargé d’enquêter sur les scandales dans lesquels était prise cette banque. La défenestration à l’origine de la mort de David Rossi a été filmée par une caméra de surveillance dont l’objectif était braqué sur une impasse longeant le bâtiment dans lequel se trouvait le banquier.

Patrick Saurin

Membre de l’Exécutif National de Sud Banque Populaire Caisses d’Epargne (BPCE). Un des porte paroles du syndicat Sud Solidaires BPCE, et membre de la Commission pour la Vérité sur la Dette grecque

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