Édition du 12 mars 2024

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Histoire

Platon : Les lois

Résumé des Livre III et Livre IV (Texte 20)

Livre III

Nos trois personnages s’interrogent au sujet de l’origine des constitutions et le développement historique des régimes politiques depuis l’origine de l’humanité. En retraçant la genèse des sociétés les trois interlocuteurs cherchent à comprendre comment les lois sont apparues dans les divers regroupements humains et par conséquent les différentes sociétés. Le récit du poète Homère alimente la discussion et la réflexion au sujet de la formation des premières formes de communautés humaines, à savoir : les cyclopes dont la constitution avait pour nom : « autocratie » (p. 169). Régime parental incontestablement patriarcal[1]. D’abord la formation de la famille au sein de laquelle «  le pouvoir est issu du père et de la mère » (p. 171). Famille qui forme « une seule troupe, régis par la loi parentale et soumis à un pouvoir royal qui est le plus juste de tous  » (p. 171). Mais ce modèle n’avait pas l’éternité pour lui, il a dégénéré pour devenir un clan ou une tribu, régis par des règles propres et distinctes à chaque groupe. Nous passons ici de l’autorité paternelle à celle du chef. Suit le regroupement des différents clans au sein d’une communauté unifiée. Les chefs des clans deviennent des législateurs chargés d’édicter et de rédiger des lois désormais écrites (lois positives). Cette genèse des lois écrites s’exprime également à travers un processus de conquête géographique. Les humains, qui s’étaient installés dans les hauteurs pour plus de sécurité se sont progressivement déplacés vers les collines et les plaines pour fonder leurs cités. Ce qui leur a permis par la suite de s’aventurer sur les mers et d’envahir les cités étrangères. Parcours qui aboutit à la célèbre Guerre de Troie et au début de l’histoire dite traditionnelle.

Voilà le mythe des origines de la loi qui a précédé celui de la Cité, dans la mesure où il faut une autorité révélée qui dicte pour inspirer une union d’individus orientés vers un même but. C’est la confiance mutuelle qui pousse à explorer, à sortir de la caverne pour se rendre dans les collines et les plaines. Cette première phase, non exempte d’embûches, encourage à repousser les frontières jusque vers la mer demandant a être bravée. À la fois mythe d’évolution et mythe de répression, la loi transcende les communautés dans leur expédition, dépasse leurs besoins en subsistance, afin de justifier un appétit de conquête, selon les cas, parce qu’elle parle au nom des chefs en qui elle s’incarne. La loi est à la fois création et créatrice, destruction et destructrice, selon la manière dont elle inspire dans sa morale les actes des dirigeantEs.

L’histoire des constitutions et la fondation des cités commencent immédiatement après le déluge de Deucalion au moyen des formes de vie pastorale et patriarcale, auxquelles suivront le rassemblement des villages dans les plaines et la création de véritables cités. C’est ainsi, selon Platon, que se sont transformées «  les autocraties en une espèce d’aristocratie  » (p. 173). Arrive le moment d’examiner une «  autre forme de constitution, la troisième, celle où se rencontrent toutes les formes malades de constitutions aussi bien que de cités avec toutes leurs vicissitudes  » (p. 173). Ici il est question de la constitution dorienne (constitution à la base de l’alliance de Sparte, Argos et Messène). Se pose la question suivante : comment cette constitution a-t-elle pu échouer ? La réponse réside en ceci : il ne s’agit pas de savoir si les dirigeants politiques disposent d’assez de force pour s’imposer, mais s’ils savent faire preuve suffisamment de sagesse pour faire un bon usage de leur force. Un individu comme un régime politique doivent savoir agir conformément à de bonnes raisons et non pas à de mauvais désirs.

Le manque de sagesse est folie ou déraison et il est à l’origine de la ruine de certaines communautés comme de certains individus (p. 187 à 189). Quoi qu’il en soit, dans les cités, «  il y a nécessairement des gens qui commandent et des gens qui sont commandés  » (p. 191). Il existe selon Platon sept titres qui accordent un pouvoir d’autorité de commandement : le premier est celui de père et de mère qui accorde le droit de commander aux enfants et aux descendants ; le deuxième est en lien avec la naissance (la noble naissance peut commander « ceux qui sont de basse extraction ») ; le troisième titre de commandement est en lien avec l’âge, « il revient à ceux qui sont plus âgés de commander et à ceux qui sont plus jeunes d’être commandés  » (p. 191) ; le quatrième, les maîtres commandent les esclaves ; le cinquième, les plus forts commandent les plus faibles ; le sixième, celui qui possède la sagesse ou l’intelligence commande celui qui en est dépourvue ; et le septième, celui qui est désigné par le sort commande le « non désigné » (p. 192). En filigrane, Platon commence à dessiner ce qui semble être un nouveau type de régime politique idéal : le pouvoir à ceux qui détiennent et possèdent l’intelligence. Platon examine ensuite deux constitutions qui ont été condamnées par l’histoire : la monarchie (l’empire despotique perse) qui a réduit son peuple « à une servitude totale » et la démocratie (la démocratie athénienne) qui « a poussé la masse vers une liberté totale » (p. 209). Clinias dévoile à ses partenaires de route qu’il est mandaté, avec neuf autres citoyens, par sa cité (Cnossos) pour réfléchir à une colonie qui verra le jour sous peu. La suite du dialogue est consacrée à la fondation de cette cité « en paroles d’abord » (p. 214).

Notons avant d’entrer dans le Livre IV, l’exhaustivité recherchée des types de commandement, justement dans une prétention à assurer l’originalité de ce qui suivra. Bien sûr, Platon expose la sagesse dans le sixième pouvoir d’autorité, sans rien avancer de plus, voire même tente de la placer dans les bas échelons afin de l’élever par la suite. Peut-être. Mais si nous portons attention, il serait préférable d’y voir une série chronologique en accord avec le mythe des origines, partant avec la famille, se déplaçant vers les clans et les tribus, pour en venir aux cités-États. En même temps, il suggère le passage d’une absence de régime politique vers une première apparition suivie de l’éclosion d’un certain nombre, alors que le cinquième type de commandement renvoie à la monarchie despotique perse, le septième à la démocratie athénienne, et entre les deux, la sixième avenue à s’y intéresser plus sérieusement.

Livre IV

Le livre IV est consacré à l’installation fictive de la colonie qui ne sera pas un port maritime. La mer est identifiée comme étant une cause de corruption sociale et politique. La colonie sera localisée à l’intérieur des terres sur un site accidenté et éloignée d’au moins dix kilomètres des côtes (à « quatre-vingts stades ») (p. 215). Elle sera auto-suffisante et produira en quantité suffisante sans chercher de débouchés extérieurs. Elle aura pour nom la cité des Magnètes. Le commerce extérieur est posé comme étant un facteur de détérioration de la vie sociale et politique. La population (les Magnètes) n’aura pas une composition homogène. Elle sera diversifiée et soumise à un tyran jeune et courageux « et de la grandeur d’âme  » (p. 225). Il sera doté d’une bonne mémoire, il aura des aptitudes à apprendre, il aura une nature brave et sera tempérant. Il est plutôt rare que toutes ces qualités requises à l’avènement d’une cité parfaite se retrouvent réunies en un seul homme (p. 229-230).

Platon vante-t-il réellement l’autarcie ? En effet, il n’y pas meilleure façon d’assurer la préservation des vertus, dans un monde fermé aux influences extérieures. Ces menaces viennent des mers, d’où l’élimination des activités portuaires. Mais c’est surtout la facilité et la densité de circulation permises par les voies maritimes qui sont dénoncées, peut-être par manque de contrôle des entrées et des sorties, ce qui semble être différent pour le commerce par voies terrestres, quoique de toute façon les échanges se font avec des cités peu éloignées et au courant des lois de leurs alliés. Et qui gouvernera cette autarcie ? Un tyran jeune et courageux… Mais Platon n’a-t-il pas dit ailleurs que le meilleur dirigeant est celui d’un âge honorable, qui a vécu et vu suffisamment pour bien gouverner avec la sagesse acquise durant sa formation ? N’est-il pas dit ailleurs que la fougue de la jeunesse précipite les actions, malgré tout le courage et la bonne volonté ? Sûrement cet écart sera corrigé plus loin.

Nos trois personnages dressent un tableau des conditions dans lesquelles une nouvelle cité serait parfaitement ordonnée. Ils rappellent l’époque de Kronos où triomphait un gouvernement divin et parfait (p. 232-234). Kronos, le dieu législateur a décidé de mettre à la tête des cités à titre de rois et de chefs des « démons » (p. 233) capables de veiller sur le genre humain mieux que les hommes eux-mêmes. C’est à ce qu’il y a en nous de divin (la raison) que Kronos répartira le pouvoir. L’autorité souveraine sera accordée à celui où les chefs de la cité seront les esclaves de la loi (p. 237-238). Les fondateurs de la cité adressent un discours aux citoyens dans lequel ils précisent que «  c’est dieu qui doit être la mesure de toutes choses » (p. 239). Les premiers devoirs des citoyens, s’ils veulent être cher au dieu, est d’agir avec tempérance (p. 239). Ils doivent aussi rendre les honneurs dus aux divinités, aux héros, aux parents (p. 240), « aux descendants, aux proches, aux amis, aux citoyens […]  » (p. 241). Le législateur accompagnera la loi d’un préambule expliquant le principe de la mesure législative. Le législateur agira comme un médecin qui qui soigne un patient de condition libre en lui fournissant au préalable toutes les explications requises pour son traitement. Alors que le médecin qui a une approche tyrannique se limite à ordonner un traitement sans aucune explication. La loi doit viser l’adhésion au moyen de la persuasion et non grâce à la contrainte. Platon propose de baliser, par la loi, le mariage. Il sera fixé entre trente et trente-cinq ans pour les hommes et «  celui qui obéit à la […] loi sera quitte de toute pénalité. Tout au contraire, celui qui n’obéit pas à la loi parce qu’il n’est pas marié à l’âge de trente-cinq ans paiera chaque année une amende de telle ou telle somme, pour qu’il n’aille pas se figurer que le célibat apporte profit et aisance  » (p. 248). Il existe deux manières de rédiger une loi, la « double longueur » (qui joint « la persuasion à la menace ») et la « longueur simple » (qui se contente uniquement « de la menace ») (p. 248). Certaines lois méritent un préambule alors que d’autres ne le nécessitent pas. Il convient à ce moment-ci de poursuivre la réflexion sur la façon dont il faut entretenir son âme, son corps et ses biens (p. 252).

Autrement dit, il faut vénérer en quelque sorte les lois comme on vénère les dieux, puisque la sagesse ultime provient d’eux et que les lois reposent sur ce besoin de la sagesse afin d’assurer le bon fonctionnement de la cité. En vénérant les dieux, nous vénérons la sagesse, celle qui inculque des valeurs morales à préserver de la corruption. Platon craint le despote et pour lui enlever ses chances d’atteindre le gouvernement, il impose les lois du sage. Une loi peut guider ou prescrire. Platon prescrit plutôt que persuade, bien qu’il veut préconiser la persuasion plus que la contrainte. En revanche, cette crainte du despote se transpose dans un pessimisme pour l’avenir de la Grèce, justifiant ainsi sa Politique comme coffre d’outils pour renverser une tendance régressive. Dans une dialectique intime partagée, Platon espère et lègue son oeuvre à ceux et celles qui croient en un avenir optimiste.

Les bonnes lois sont celles dont la finalité vise le bonheur des citoyens et le bonheur dépend (encore) de l’éducation. Car l’éducation permet de mettre bout à bout les différentes composantes qui vont des affects à la raison, par le biais de la persuasion. Éduquer a pour effet de modeler l’âme et persuader est possible uniquement si l’âme est modelable. C’est grâce à la liberté d’expression et la liberté de pensée que la persuasion permet de comprendre pourquoi et comment sa propre liberté est limitée. Sinon, ce sera par la contrainte que le pouvoir imposera son point de vue.

Yvan Perrier

Guylain Bernier

29 novembre 2020

10h30

yvan_perrier@hotmail.com

[1] Platon décrit ce régime autocratique à même une citation d’Homère :

« Ceux-là n’ont pas d’assemblées délibérantes ni de règlements

Mais ils habitent les cimes des hautes montagnes,

Au creux des cavernes, et chacun régit

[680c] Ses enfants et ses femmes, sans souci du voisin » (p. 170).

Zone contenant les pièces jointes

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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