Édition du 23 avril 2024

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États-Unis

Pour en finir avec l'État policier

Kevin Alexander Gray est auteur et militant ; il vit en Caroline du Sud.

Commondreams.org, 10 avril 2015

Traduction, Alexandra Cyr

Quand l’avocat du policier Michael Thomas Slager de North Charleston, après les accusations de meurtres portées contre lui et son congédiement a déclaré que son client s’était « senti menacé » il ne parlait pas de menace à sa vie, il parlait de menace à son sentiment d’autorité. Parfois cela peut être le début d’une longue escalade pour le reste de la vie.

S’enfuir devant eux est une menace à la conception de leur autorité chez certains policiers. C’est surement le facteur déterminant dans la mort de Walter Lamer Scott, âgé de 50 ans, ancien combattant et père de quatre enfants. Il n’était pas armé. Mais il est assez clair que l’agent Slager, âgé de 33 ans, a placé son pistolet « Taser » près du corps de M. Scott pour rendre crédible son histoire à l’effet que la victime aurait tenté d’utiliser cette arme contre lui.

Malheureusement pour l’officier, M. Feidin Santana, un jeune barbier immigrant dominicain, se rendant au travail avait son téléphone cellulaire à la main. Il a filmé le tout. Cette vidéo montre l’agent Slager faisant feu huit fois contre M. Scott qui s’enfuie. Quatre balles l’ont atteint dans le dos et une dans une oreille. Deux de ces balles ont causé sa mort.

M. Santana a prouvé ce que bien des noirs croient dur comme fer : la police ment.
Le fossé dans la confiance de la population envers les comportements des policiers existait avant le meurtre de M. Scott. En 2014, un sondage Gallup montrait que 58% des répondants-es de race blanche déclaraient avoir « une grande confiance » ou « passablement de confiance » dans la police. Seulement 31% de l’échantillon de race noire en disait autant. L’évaluation de ces répondants-es de leur honnêteté et de leur niveau d’éthique était plus basse que celle des répondants de race blanche. Dans un sondage antérieur de la même firme couvrant les années de 2010 à 2013, 59% des répondants-es de race blanche répondaient que l’honnêteté et le niveau d’éthique des policiers étaient très élevés contrairement à seulement 45% de ceux de race noire qui en disaient autant.

Ensuite vient le fait de faire feu dans le dos d’un noir.

Quand j’étais gamin et que je regardais les films de cowboys, le « code de l’ouest » tenait le fait de faire feu sur quelqu’un dans le dos pour un acte de lâcheté. Mais mettre les menottes à un mort ou à une personne agonisante, la figure contre le sol dans la saleté pour masquer vos actes, est encore plus bas que la lâcheté, c’est le plus bas que bas.

En visionnant le film de M. Santana pris sur le fait, il nous vient d’autres images du racisme. Par exemple, un esclave africain qui ne réussit pas à échapper à son contremaitre qui le poursuit ; le fermier noir ou le militant pour les droits civiques tentant de ne pas être lynchés par les hommes du Kukluxclan.

Le maire de North Charleston, M. Keith Summey, a été bien avisé de ne pas tarder à porter des accusations de meurtre au premier degré contre l’agent Slager, après avoir visionné la vidéo. Les raisons invoquées par l’agent pour arrêter M. Scott, (un feu d’arrêt brisé sur sa voiture) et les gestes posés par les autres policiers arrivés sur la scène, sont autant de problèmes pour la direction du corps policier mais aussi pour l’administration municipale.

Probablement que, comme à Ferguson, le Département de la justice va découvrir la réalité économique d’une ville qui vit sur le dos des pauvres et de la classe moyenne en multipliant les contraventions, les frais et les amendes à leur endroit. La représentation de la diversité raciale n’est pas présente dans le service de police de North Charleston. Cette ville compte 47% de population noire et le service de police compte 80% d’officiers blancs.

Mais embaucher plus d’agents noirs n’est pas nécessairement le remède aux pratiques discriminatoires de ce service de police. Les policiers noirs peuvent adopter et effectivement adoptent, les pratiques de leurs collègues blancs. Le premier policier qui s’est présenté sur la scène du meurtre de M. Scott était noir. Le premier rapport officiel de l’agent dit que les deux agents aidaient la victime. Ce n’est pas ce qu’ils faisaient. L’officier noir est arrivé pour aider son confrère, M. Slager pas l’homme agonisant. Et il a participé à une tentative pour masquer les faits et il a peut-être participé à la préparation du rapport de M. Slager.

Les racistes sont habités-es par l’idée qu’il ne s’agit après tout que de noirs-es qui sont tués-es et que c’est bien mérité. Prenez la peine de lire les commentaires à divers reportages portant sur ces sujets dans les journaux pour vous en convaincre. Il y a des gens qui seront toujours profondément convaincus que les noirs-es sont par définition des criminels-es. Conséquemment, quand les policiers et les médias font état à leur sujet de drogues, d’armes, d’activités reliées à des gangs ou à des arrestations antérieures, ces personnes sont confortées dans leurs croyances. Les pires sont ceux et celles de race noire ou blanche qui ne se considèrent pas racistes et qui, en entendant ce type de discours ferment les yeux et le son.

Certains faits sont clairs : les policiers font feu plus souvent sur les personnes de race noire que sur celles de race blanche et la mort est plus souvent leur lot. Par exemple, entre 2010 et 2014 la police de la Caroline du Sud a fait feu sur au moins 209 suspects-es. Elle en a tué 79. Parmi ces personnes 101 étaient de race noire et 67 de race blanche. Selon les données recueillies par le journal The State, à Columbia en Caroline du Nord, 34 des personnes qui en sont mortes étaient de race noire et 41 de race blanche (dans 4 cas la race n’est pas spécifiée). Il n’y a eu que trois policiers soumis à enquêtes pour usage abusif de la force pour ces 209 cas. Un seul a été condamné.

Selon les Département de la justice, entre 2003 et 2009, dans le pays tout entier, 1,215 personnes de race blanche sont mortes d’actes posés par les policiers et 932 de race noire. D’autres sources estiment que les homicides commis par les policiers entre 2003 et 2011 se chiffrent à 7,427 soit une moyenne de 928 par année. Personne n’a de chiffres exacts parce que les services de police ne rapportent pas ces morts.
Selon l’organisation Killed by Police, depuis le début de l’année jusqu’au 2 avril, il y a eu presque 300 morts par le fait de policiers. Au cours du seul mois de mars, 115 personnes sont ainsi décédées. Pas que des gens de race noire, pas seulement des hommes, des hommes et des femmes, des jeunes, des personnes âgées, des malades mentaux, des blancs et des Latinos.

Comment donc réformer nos corps de police et mettre fin à cette épidémie de violence de la part de leur personnel ?

Voici quelques suggestions :

 Utiliser les caméras portées par les agents-es. Beaucoup de services policiers utilisent déjà les caméras intégrées dans les voitures. Bon nombre acceptent que les caméras portées par les agents soient le prochain équipement. Il faudra introduire des pénalités dont le congédiement en cas de mauvais usage ou de bris volontaire à ces caméras.

 Le développement de la police communautaire, celle où les agents sortent de leur voiture et entre en communication avec les résidents sur place. Cela inclut la fin des diverses fouilles au corps, de l’usage abusif des escouades canines qui nous rappellent celles utilisées en Alabama du temps de la ségrégation et en Afrique du Sud au temps de l’apartheid, la fin également des pratiques policières basées sur la fausse théorie de « la vitre brisée » [1].

 Il faut développer des organisations qui mobiliseront les citoyens-nes sans considération de race et d’ethnicité. Antérieurement, les antennes locales de la National Association for Advancement of People of Color, (NAACP), au moins en Caroline du Sud, avaient l’habitude de rapporter les abus commis par les policiers. Cette organisation et la Black Lives Matters doivent reprendre ce rôle : repérer les citoyens-nes affectés-es, les rapports conséquents pour que nous sachions ce qui se passe réellement et que nous puissions agir. Les jeunes gens comme M. Santana, assez courageux pour enregistrer ce qu’il a vu directement, doivent en prendre le leadership. Mais les personnes âgées et les jeunes doivent agir ensemble. Les agissements abusifs des policiers n’appartiennent pas qu’à la génération actuelle.
Il nous faut des équipes d’enquête citoyennes avec le pouvoir d’assignation à comparaitre et celui de poursuite devant un grand jury contre les pires éléments. Nous ne pouvons plus permettre aux corps de police de s’auto-juger. Les procureurs plus souvent qu’autrement, défendent les agissements de policiers. Il nous faut des tribunaux de citoyens-nes pour recueillir et enregistrer les données sur le fonctionnement de la police.

 Nous devons nous attarder sur l’étude de l’usage de la force pour arriver à la diminuer sinon à faire disparaitre la pratique de tirer pour tuer. Au cours des dernières 5 années, seulement 4 officiers de police ont été tué durant l’exercice de leurs fonctions en Caroline du Sud. Pour tragiques que ces morts puissent paraitre, il n’y aucune indication empirique qui soutienne une épidémie de violence contre les policiers que ce soit dans l’État ou dans le pays. Mais, l’idée que les policiers ont le droit de tirer pour tuer tient toujours. Les policiers qui vont à procès ont presque toujours des accusations mineures. C’est inhumain. Les victimes se voient privées de leur droit à une justice honnête et supportent leur propre condamnation à mort. Les tueurs s’en tirent avec une condamnation pour une simple inconduite.

 Nous devons arriver à savoir, de façon sure, comment les gens meurent aux mains de la police. Ne pas en connaitre le nombre exact mine la confiance dans la justice. Les services policiers devraient être obligés de conserver les rapports de chacune des fois où les agents ont utilisé leur arme et de ce que sont devenues les balles.

 Revoir les liens entre l’armée et les corps policiers dont la pratique de la vente d’équipements aux services de police par l’armée. Plusieurs municipalités embauchent aussi d’ex soldats à cause de leur expérience. Mais servir la population n’a rien d’un combat. Les citoyens-nes ne sont pas des ennemis-es combattants-es.

La logique de l’affrontement armé ne peut s’appliquer ici.

Il faut mettre fin à la militarisation des services de police, diminuer les escouades antiémeutes ou spéciales, (SWAT) limiter les perquisitions impromptues, renvoyer et rejeter les équipements de guerre et les munitions destinées aux corps policiers.
Nous devons mettre fin à la guerre aux drogues qui ne fait que nourrir le profilage racial. Cela signifie que les gens de couleur doivent prendre la tête d’un mouvement pour défendre la légalisation et la décriminalisation des drogues.

Nous devons soumettre les candidats-es aux fonctions policières à des tests psychologiques pour éliminer les racistes, les sadiques et ceux et celles qui croient que les gens de couleur sont des sous humains, que les agents de police sont au-dessus de la loi.

Il faut que le Département de la justice revoie les juridictions des services de police et des départements qui ont des rapports douteux avec leur population. Ce qui a été fait à Ferguson a permis de rendre visible le lien entre les besoins économiques de la municipalité et le manque de justice des amendes, des frais et autres sommes imposées aux citoyens-nes. Les pratiques d’embauche de ces services doivent aussi être révisées.

Il y a longtemps qu’on se plaint des rapports racistes et des abus du service de police de North Charleston. C’est pareil à Ferguson. C’est la même histoire que les services soient importants ou petits s’ils interviennent principalement dans les communautés noires et pauvres partout aux États-Unis.

Les personnes de race noire supportent de se faire traiter sans aucun respect par les policiers. Elles vivent en gardant en tête que ne pas faire son arrêt obligatoire est souvent une situation qui met votre vie en danger et que c’est le fait de la personne qui devrait vous protéger. Nous savons très bien comment les policiers agissent quand ils croient que personne ne les voit. Ils croient aussi que les personnes de race blanche ne se sentent pas du tout concernées et même pire, qu’ils ont leur appui.
S’il n’y avait pas eu la vidéo du meurtre de M. Scott, le service de police l’aurait camouflé. La famille de cette victime vit comme une mesure de justice les accusations de meurtre auxquelles le policier va devoir faire face.

Ce que vous pouvez voir sur cette vidéo est en contradiction avec le jugement de la Cour Suprême, Tennessee vs Garner en 1985. Le jugement stipulait que les policiers peuvent utiliser une force mortelle contre un suspect en fuite seulement s’il est probable qu’il « représente une menace significative de mort ou de sérieuses blessures physiques pour l’officier ou les autres ».

Je crois en ce que j’ai vu. Je crois aussi que l’agent Slager est innocent jusqu’à preuve du contraire, qu’il a droit à un procès juste et équitable ce dont M. Scott a été privé. Je ne veux pas qu’il ait le même sort.

Certains policiers pensent que tuer les gens de couleur et les traiter comme des sous humains quand personne ne les regarde améliore leur sécurité. Ce n’est pas le cas. Les mauvais policiers contaminent les bons qui finissent par fermer les yeux sur les abus et les injustices.


[1Cette théorie a été développée par les néoconservateurs de l’école de Friedman. Elle veut qu’une négligence aussi banale que ne pas s’inquiéter d’une vitre brisée quelque part soitit le signe d’un esprit déviant et mérite une punition conséquente. N.d.t.

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