Édition du 1er octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Arts culture et société

Pour que les arts demeurent vivants

Rapport sur les effets de la pandémie sur le milieu des arts et de la culture : état de situation économique prépandémie et faits saillants de la santé psychologique des artistes (extraits)

La crise économique et psychologique qui accable le secteur culturel ne peut plus durer. En effet, les travailleurs du milieu sont à bout de souffle. Le sondage conduit auprès de nos membres révèle qu’un peu plus de 41 % d’entre eux ont considéré ou considèrent abandonner leur carrière. Cette statistique dégage un réel essoufflement des personnes qui œuvrent dans le secteur culturel, ce qui constitue une menace à la pérennité et à la vitalité du secteur culturel québécois.

Faits saillants

La situation économique précaire des artistes accentuée par la pandémie

• Chute inédite du PIB pour les arts et spectacles : En comparant les périodes de mars à juin 2019 et mars à juin 2020, on constate une baisse de 54 % du PIB sur l’année.

• Un choc qui se traduit en pertes d’emplois majeures : Dans le secteur de l’industrie de l’information, de la culture et des loisirs, c’est 24,1 % des emplois qui ont disparu touchant ainsi près de 50 000 personnes.

• Travailleurs autonomes sous le seuil de la pauvreté : Le seuil de faible revenu pour une personne seule au Québec, en 2017, est établi à 24 220 $, montant que les travailleurs autonomes du milieu culturel n’arrivent pas à atteindre.

• Une rémunération horaire en perte de vitesse : Pendant la pandémie, 36,57 % des répondants à notre sondage affirment qu’ils ont dû chercher un travail en dehors du secteur culturel en raison d’une perte d’emploi dans leur secteur. Cela s’explique entre autres par la stagnation de leur rémunération.

Forte détresse psychologique dans le milieu culturel

Sondage auprès de nos membres

• Importante présence de symptômes dépressifs : 43,3 % des répondants au sondage que nous avons réalisé présentent des symptômes de dépression majeure.

• Un manque de ressources humaines et financières qui inquiète : Alors que le nombre de répondants ayant signalé avoir eu des symptômes dépressifs illustre un besoin criant de soutien psychologique professionnel, les ressources semblent actuellement insuffisantes ou inaccessibles.

• Perte potentielle des talents et de l’expertise : Un peu plus de 41 % des répondants ont considéré ou considèrent abandonner leur carrière.

Qui sommes-nous ?

Représentant près de 20 000 travailleurs de tous secteurs confondus à travers le Québec, nous provenons de sept associations œuvrant dans le milieu des arts et de la culture.

Considérant les bouleversements causés par la pandémie de la COVID-19 sur cette industrie, les associations du milieu ont décidé de travailler ensemble afin de démystifier, de façon concertée, les impacts concrets de cette crise sur les travailleurs, tant sur les volets économique que psychologique.

Ayant ainsi participé à une démarche concertée inédite, constituant une première au Québec, nous avons pu rassembler les principaux constats quant à la situation actuelle précaire des artistes au Québec et, ainsi, cibler les défis majeurs auxquels ils sont confrontés.

Le rapport a été préparé par la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC-CSN) qui regroupe 6000 membres de 88 syndicats qui œuvrent dans les trois secteurs suivants : les médias (radio, télévision, hebdomadaires et quotidiens), les communications (multimédia, câblodistribution, cinémas, édition, maisons de sondage et téléphonie) et la culture (salles de spectacle, musées et audiovisuel). La fédération regroupe également des travailleurs contractuels provenant des milieux artistiques, des arts de la scène, de la vidéo et du journalisme.

Etat de la situation économique

Vivant depuis déjà plusieurs années dans une situation de précarité financière, les artistes et les créateurs ont été particulièrement touchés par les impacts économiques de la pandémie. Bien qu’ils contribuent de façon significative au développement culturel, social et économique du Québec, leur faible rémunération ne suffit pas à reconnaitre et à valoriser la juste valeur de leur travail.

Ainsi, afin de chiffrer les impacts économiques de la pandémie et de présenter un portrait de cette situation de précarité dans laquelle les artistes vivent, une analyse a été réalisée par MCE Conseils. Les indicateurs qui ont été observés sont :

• L’évolution du PIB du secteur culturel, nombre d’emplois ;

• L’évolution de la rémunération annuelle et de la rémunération horaire moyennes ;

• Le pourcentage de travailleurs devant chercher un emploi complémentaire en dehors du secteur culturel.

Le portrait de cette analyse est extrêmement préoccupant et permet de mettre en lumière les défis économiques importants auxquels sont confrontés les artistes québécois.

Perte inédite de 54 % du PIB pour les arts et spectacles

La crise économique qui découle de la pandémie touche les différents secteurs avec une intensité variable. Le secteur des arts, spectacles et loisirs a été le plus lourdement touché d’un point de vue économique, notamment en raison de la fermeture des lieux de représentation. En comparant les périodes de mars à juin 2019 et mars à juin 2020, on constate une baisse de 54 % du PIB sur l’année.

Les secteurs culturels n’ont pas pu autant bénéficier du rebond de l’été comme l’ont fait d’autres secteurs. Un bref état des lieux nous permet de constater que les mesures du Plan d’urgence en culture annoncé au printemps et à l’été 2020, bien qu’accueillies favorablement, n’ont pas eu l’impact souhaité, puisque ces sommes ne se sont pas toujours rendues aux artistes, créateurs et professionnels autonomes du secteur.

Outre les pertes d’emplois, il est important de souligner les disparités financières au sein de ce milieu, qui existaient bien avant la crise actuelle.

Depuis la pandémie, le gouffre s’élargit. Les artistes se retrouvent avec peu de protection et de filet social, et ont très peu de recours pour s’assurer que leurs contrats soient honorés. Par ailleurs, très peu de nouveaux contrats sont signés. Les prochains paragraphes démontrent qu’avec la situation prépandémique, il pouvait être difficile pour certains de s’y préparer.

L’ensemble de l’économie canadienne a baissé de près de 20 % entre janvier et avril pour récupérer une large part de cette perte entre mai et septembre1 . À la fin de septembre, la perte du PIB global n’était que de 4 %. En comparaison, notre secteur a chuté de 60 % au printemps pour ne revenir qu’à 54 % de son niveau initial à la fin de septembre 2020.

Un choc qui se traduit en pertes d’emplois majeures

L’arrêt des activités économiques au Canada et au Québec a eu l’effet d’un choc sur le nombre d’emplois dans l’industrie de l’information, de la culture et des loisirs au Québec, qui a diminué considérablement. En février 2020, le nombre d’emplois dans l’industrie des arts, spectacles et loisirs atteignait 179 300 personnes alors qu’en juillet 2019 on en comptait 209 700. C’est une perte de 28 600 emplois.

L’arrêt des activités non essentielles au Québec a généré une perte de 47 800 emplois dans l’industrie en avril 2020, soit une réduction de 26,7 % en deux mois. La reprise graduelle des activités culturelles au courant de l’été a fait bondir le nombre d’emplois à 181 100 en juillet 2020.

Notons que les emplois salariés semblent avoir bénéficié de la reprise au cours de l’été, alors que le nombre de travailleurs autonomes ayant repris leurs activités dans cette industrie continue de décroitre.

En août 2020, à l’échelle du Canada, les emplois du secteur des arts, spectacles et loisirs ont connu d’importants contrecoups à cause de la COVID-19. Si par rapport à l’année précédente, 5,3 % des emplois ont été supprimés, dans le secteur de l’industrie de l’information, de la culture et des loisirs, c’est 24,1 % des emplois qui ont disparu touchant ainsi près de 50 000 personnes. L’art d’interprétation est particulièrement affecté avec une diminution atteignant 53,2 %.

Travailleurs autonomes sous le seuil de la pauvreté

Il est important de souligner que les conditions d’emploi ne sont pas homogènes entre les secteurs d’activité ou les statuts d’emploi. Les travailleurs autonomes de la culture sont ceux qui ont le plus souffert d’une diminution de leurs conditions de travail ces dernières années, notamment dû à la numérisation de la diffusion et de la pression sur les budgets de production. Le graphique 3 compare les rémunérations horaire et annuelle moyennes des travailleurs autonomes et des salariés selon les secteurs d’activité depuis le début des années 2000. Considérant que les dernières modifications des lois sur le statut de l’artiste datent de 2004, nous prenons cette année à titre de comparaison avec 2019.

Au Québec, deux lois encadrent les conditions de travail des artistes :

Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma

Ces lois, adoptées à la fin des années 1980, ont été revues pour la dernière fois en 2004. Au début 2020, une consultation publique pour la révision de ces lois a été enclenchée, mais la pandémie de COVID-19 a suspendu le processus dès le mois de mars. Ces lois protègent les travailleurs autonomes et encadrent leurs conditions de travail dans les secteurs culturels.

Notons que le seuil de faible revenu pour une personne seule au Québec, en 2017, est établi à 24 220 $, montant que les travailleurs autonomes des trois secteurs d’activité n’arrivaient pas à atteindre en 2019.

(…)

Pour le secteur des arts d’interprétation et connexes (Secteur 71A), la rémunération des travailleurs autonomes a évolué de +13,1 %, alors que celle des salariés a augmenté de +38,0 %, creusant l’écart préexistant entre les deux groupes de travailleurs. Le même constat peut être tiré pour l’industrie de l’enregistrement sonore (-7,7 % vs +16,7 %) et pour l’industrie de l’enregistrement du film et de la vidéo (+12,3 % vs +33,7 %). L’industrie de l’enregistrement sonore, pour les salariés comme pour les travailleurs autonomes, a connu un choc aux alentours de 2011 ce qui a freiné la progression de la rémunération.

Pour chacun des trois secteurs présentés, les salariés sont rémunérés, en moyenne, près de trois fois plus que les travailleurs autonomes par heure travaillée. En fait, les conditions de travail des salariés dans ces secteurs se sont beaucoup mieux adaptées à l’augmentation du coût de la vie, ce qui n’est pas le cas pour les travailleurs autonomes qui se sont au contraire appauvris en regard de l’inflation.

Nous soutenons qu’il faut revoir la chaîne de financement et la hauteur de la contribution publique pour s’assurer qu’elle ruisselle jusqu’aux artistes, créateurs et professionnels de la culture. Les lois sur le statut de l’artiste doivent aussi être revues de toute urgence afin qu’elles remplissent adéquatement leur raison d’être initiale, soit d’améliorer les conditions de vie socio-économiques. Ces dernières étaient déjà inacceptables, mais la pandémie a mis en lumière toute la précarité qui guette nos artistes, nos créateurs, nos professionnels et nos artisans.

Une rémunération horaire en perte de vitesse

L’essor de la production indépendante s’est fait au détriment des conditions d’emplois du secteur. Alors que le gouvernement est un acteur très important dans la détermination des règles de financement de ces producteurs, une réflexion profonde doit être faite quant aux moyens à prendre afin que les artistes, créateurs et professionnels de la culture puissent vivre dignement.

Sur une base horaire moyenne, la rémunération des travailleurs autonomes en culture a stagné, alors que la rémunération horaire des salariés a augmenté jusqu’en 2011, avant de se stabiliser.

Quel que soit le secteur, la rémunération horaire moyenne des travailleurs autonomes représente environ 35 % de la rémunération horaire des salariés. Les observations disponibles indiquent qu’ils ont connu une plus grande diminution du nombre d’heures de travail avec la pandémie.

De plus, la faible rémunération horaire des travailleurs autonomes dans le secteur des arts d’interprétation et des industries de l’enregistrement sonore est sous le seuil du salaire minimum établi par la CNESST depuis quelques années.

En effet, en 2019, la rémunération horaire moyenne des travailleurs autonomes des industries de l’enregistrement sonore était 0,66 $ de moins que le salaire minimum établi. Les travailleurs autonomes du secteur arts d’interprétation et connexes gagnaient quant à eux 1,69 $ de moins que le salaire minimum établi. Seuls les travailleurs de l’industrie du film et du vidéo réussissent à maintenir un salaire horaire au-dessus de ce seuil, mais de façon assez marginale.

Cette diminution des conditions de travail a fait presque doubler le nombre de travailleurs du secteur des arts et de la culture cumulant plusieurs emplois depuis 2004. Au niveau des emplois techniques, 4 900 travailleurs du secteur cumulaient alors plus d’un emploi, tandis qu’en 2019 le total atteignait 9 300. Pour les emplois professionnels, le total est passé de 3 600 à 7 000 sur la période.

Plus précisément, pendant la pandémie, 36,57 % des répondants à notre sondage2 affirment qu’ils ont dû chercher un travail en dehors du secteur culturel en raison d’une perte d’emploi dans leur secteur.

Il va sans dire qu’avec ce faible niveau de rémunération, les artisans de ces secteurs n’ont pu se constituer des réserves financières pour soutenir de longs mois d’inactivité. Cette diminution des conditions de travail a fait presque doubler le nombre de travailleurs du secteur des arts et de la culture cumulant plus d’un emploi, donc même avant la pandémie, entre 2004 et 2019.

Le portrait économique des travailleurs du secteur culturel est sans équivoque très préoccupant. Vivant pour la plupart depuis des années sous le seuil de faible revenu, les artistes ont dû multiplier les emplois et faire preuve d’une grande résilience. Les pertes d’emplois et la diminution drastique du PIB du secteur culturel en 2020 et 2021 n’ont qu’amplifié cette précarité, touchant plus fortement les travailleurs autonomes.

L’impact de la pandémie sur la santé psychologique des artistes

La crise touche l’industrie d’une manière brutale comme l’indiquent les chutes de revenus et les baisses de niveau d’emplois documentées dans la section qui précède. Mais elle touche également les individus, ainsi que la capacité de rétention des artistes dans un domaine central à la qualité de vie des Québécois et dans son attraction comme destination touristique et économique.

Nous avons donc mené la première étude sur l’état de santé psychologique des artistes au Québec dans le cadre de la pandémie.

Les 19 630 membres des sept associations (voir tableau en pages 2 et 3), soit l’AQAD, l’APASQ, l’ARRQ, la GMMQ, TRACE, l’UDA et l’UNEQ, ont été invités à participer à un sondage web sur la santé psychologique. Ce sondage a été envoyé par les associations le 15 décembre 2020 et la collecte s’est terminée le 31 janvier 2021. Au total, 2 117 membres des sept associations ont répondu au sondage. Globalement, le niveau de confiance de ce sondage est de 99 % avec une marge d’erreur de ∓ 3 % . En d’autres mots, si on reproduisait ce sondage, on obtiendrait les mêmes résultats dans 99 % des cas avec une variation de plus ou moins 3 % dans les réponses.

Notez par ailleurs que le nombre de répondants fluctue parfois d’une question à une autre. En effet, considérant la sensibilité du sujet, les répondants n’étaient pas dans l’obligation de répondre à l’entièreté des questions.

Nous présentons les données de plusieurs indicateurs comme :

• L’indice de détresse psychologique (Kessler) ;

• Les symptômes dépressifs et de détresse psychologique ;

• La consommation régulière de médicaments ;

• La présence de pensées suicidaires ;

• Les sources de stress ;

• La consultation et les obstacles à la consultation de professionnels de la santé ;

• Les intentions des répondants quant à l’avenir de leur carrière d’artistes.

Résultats alarmants à l’indice de détresse psychologique (Kessler)

L’indice de détresse psychologique (K6) est un indicateur précoce d’atteinte à la santé psychologique qui évalue deux des plus fréquents troubles de santé psychologique, soit l’anxiété et la dépression. Il s’agit d’une échelle de mesure qui, en raison de sa brièveté, de sa fiabilité et de sa validité, sert depuis plusieurs années notamment à Statistique Canada pour mener ses enquêtes de santé nationales et également dans plusieurs pays du monde, notamment aux États-Unis et en Australie.

Cet indicateur ne fournit donc pas de diagnostic, mais nous renseigne plutôt sur le nombre de personnes le plus à risque de développer un trouble de santé psychologique. C’est plus particulièrement le niveau élevé (score ≥ 7 à l’échelle de Kessler) qui nous permet d’identifier ces personnes plus à risque. Les répondants se situant au niveau très élevé ( ≥ 13) indiquent la probabilité d’une maladie mentale grave. C’est ce dernier niveau qui a été retenu par l’INSPQ dans ses différents sondages réalisés depuis le début de la pandémie.

Dans la population québécoise, en fonction de l’enquête de l’INSPQ, 17 % des Québécois ont un score égal ou supérieur à 13 selon l’échelle de Kessler alors que notre résultat est à 21 %. En fonction de ces chiffres, les artistes auraient un niveau de détresse psychologique plus élevé que la moyenne des Québécois.

Par ailleurs, selon un sondage mené au printemps par une équipe de recherche de l’Université Laval3 , 48 % des travailleuses et travailleurs québécois présentaient une détresse psychologique élevée ( ≥ 7).

Peu importe que l’on compare les résultats obtenus par l’équipe de recherche de l’Université Laval ou à ceux de l’INSPQ, la proportion d’artistes et de créateurs se situant dans les niveaux élevé et très élevé de détresse psychologique est plus importante que dans la population québécoise.

Pour 72 % des répondants, cette détresse psychologique est associée entièrement (26 %) ou partiellement (46 %) à la pandémie. Les répondants indiquent que ces symptômes sont apparus au cours du dernier mois (12 %) ou au cours des 2 à 10 derniers mois (67 %). Une proportion plus faible indique que ces symptômes sont présents depuis plus d’un an (17 %), ce qui demeure tout de même préoccupant.

Ces symptômes de détresse psychologique ne sont pas sans impact sur le travail des artistes, ayant des conséquences graves sur leur créativité et leur productivité. Parmi les répondants qui ont ressenti des symptômes de détresse psychologique « tout le temps », « la plupart du temps » ou « parfois », le tableau suivant présente la proportion de ceux qui ont vécu des conséquences négatives sur leur capacité à travailler.

Importante présence de symptômes dépressifs

Les symptômes dépressifs ont été estimés à l’aide d’un indice composé de deux symptômes clés, soit une humeur dépressive et la perte d’intérêt ou de plaisir pour la plupart des activités habituelles (anhédonie). Cet indicateur a été utilisé dans l’Enquête québécoise sur les conditions de travail et d’emploi et la santé et la sécurité au travail (EQCOTESST) et il est tiré du Primary Care Evaluation of Mental Disorders (PRIMEMD). Il permet de dépister les personnes présentant des symptômes de dépression majeure. Il a été démontré qu’une réponse positive à ces deux questions a une sensibilité de 96 % et une spécificité de 57 % pour dépister des personnes ayant un diagnostic de dépression sévère parmi la clientèle d’un service hospitalier d’urgence (Whooley et al., 1997). De plus, la même étude a montré que cet instrument avait les mêmes caractéristiques que plusieurs autres tests de dépistage de la dépression, tels que l’inventaire de dépression de Beck ou l’échelle de dépression du Centre américain des études épidémiologiques (CESDS), tout en étant moins long à compléter. Cet indice permet aux spécialistes de la santé de dépister les personnes ayant des symptômes de dépression.

Une réponse positive aux deux questions suivantes permet de dépister la proportion de personnes présentant des symptômes de dépression majeure.

1. Au cours des douze derniers mois, vous êtes-vous senti(e) triste, mélancolique ou déprimé(e) pour une période de deux semaines consécutives ou plus ?

2. Au cours des douze derniers mois, vous est-il arrivé, pendant une période de deux semaines ou plus, de perdre intérêt pour la plupart des choses que vous aimiez faire ou auxquelles vous preniez généralement plaisir, comme le travail dont une pratique artistique, un passe-temps ou autre chose ?

Comme le tableau suivant l’indique, 43,3 % des personnes qui ont participé au sondage présentent des symptômes de dépression majeure. La plupart d’entre eux auraient avantage à consulter un professionnel de la santé pour ces symptômes et selon le cas, recevoir un traitement médical approprié. Par ailleurs, seulement 7 % parmi ceux-ci ont reçu un diagnostic lié à un trouble de santé psychologique au cours de la dernière année.

Les résultats de l’EQCOTESST (2008) rapportaient que 12 % des travailleuses et travailleurs québécois présentaient des symptômes dépressifs. Par ailleurs, 4,4 % des Québécoises et des Québécois de 15 ans et plus ayant répondu à l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes - Santé mentale (ESCC) 2012 4 rapportaient ces mêmes symptômes dépressifs. Bien que ces enquêtes n’aient pas été menées en période de pandémie et que le niveau de détresse psychologique de l’ensemble de la population ait assurément augmenté au cours de la dernière année, le fait que notre échantillon présente des symptômes dépressifs dans une proportion de 43 % est très inquiétant.

Nous avons également évalué la consommation régulière (à tous les jours ou quelques fois par semaine) de médicaments au cours du dernier mois soit à tous les jours ou quelques fois par semaine.

Globalement, ce sont 30 % des répondants qui consomment au moins un type de psychotrope comparativement à 11 % des répondants de l’EQCOTESST (2008)

Forte proportion de pensées suicidaires

Parmi les répondants, 11,7 % indiquent avoir eu des pensées suicidaires durant la dernière année. À titre de comparaison, selon un sondage pancanadien mené en septembre dernier par une équipe de recherche de l’Université de la Colombie-Britannique en collaboration avec l’Association canadienne pour la santé mentale, 7 % des Québécoises et Québécois ont eu des pensées suicidaires5 .

Ces résultats sont plus que préoccupants et nécessitent au minimum une intervention rapide de sensibilisation et des références à des ressources d’aide. L’ensemble de ces données sont révélatrices d’une réelle crise de santé mentale dans le secteur culturel, causée en partie par les fortes pressions économiques, exacerbées par la pandémie et par la précarité de leur statut d’artiste. Cette prise de conscience dévastatrice révèle une urgence d’agir afin de soutenir les travailleurs du milieu. À l’exception des programmes de PCU et de PCRE, très peu de mesures ont bénéficié directement aux artistes. Les gouvernements doivent donc agir de façon concertée avec les différentes institutions de production et de diffusion afin d’offrir un réel soutien à l’industrie et ses membres.

L’argent et l’incertitude, deux causes de stress importantes pour les artistes

Dans le but d’identifier les principales sources de stress des participants, la question suivante a été posée : Quelles sont les trois plus importantes sources de stress qui contribuent aux sentiments de stress que vous pouvez avoir dans votre vie de tous les jours ?

Un coefficient de correction a été multiplié à chacun des énoncés pour les trois premiers choix de réponses afin d’établir un ordre d’importance. Chaque répondant devait classifier leurs trois premiers choix. Par exemple, pour l’insécurité liée à la durée indéterminée de la situation, le moment du retour à la normale est inconnu, le nombre de personnes qui ont mis cette réponse au 1 er rang a été multiplié par 3 (399*3), ensuite le nombre de personnes qui ont mis cette réponse au 2e rang a été multiplié par 2 (323*2) et le 3 e rang a été multiplié par 1 (314). La somme des trois produits a été effectuée et le résultat est 2 157.

Un manque de ressources humaines et financières qui inquiète

Finalement, afin de comprendre les enjeux auxquels sont confrontés les artistes lorsqu’ils font face à des problèmes de santé mentale, les questions suivantes leur ont été posées :

Avez-vous consulté un professionnel de la santé (psychologue ou travailleur(euse) social(e)) ou une des différentes ressources d’aide psychosociale ?

(...)

Alors que le nombre de répondants ayant signalé avoir eu des symptômes dépressifs exprime un besoin criant de soutien psychologique professionnel, les ressources semblent actuellement insuffisantes. En effet, les travailleurs du milieu culturel sont confrontés à des délais trop longs et à des coûts trop élevés comparativement à leurs moyens afin d’accéder à des services de soutien psychologique. Devant vivre avec des revenus sous le seuil de la pauvreté, les artistes n’ont pas la capacité financière d’aller consulter des professionnels de la santé dans le secteur privé.

L’aide gouvernementale de 42 millions de dollars qui est demandée par nos organisations pourrait ainsi permettre de faciliter l’accès aux ressources nécessaires au bien-être des artistes du Québec.

Si les artistes doivent se réinventer, le système aussi

La pandémie a mis en évidence les enjeux de précarité et de détresse psychologique auxquels les artistes font face depuis plusieurs années et qui n’ont été qu’accentués par la crise actuelle. Début 2021, alors que le Québec planifie la reprise de ses activités, la plus grande part de mesures d’urgence est arrivée ou approche de l’échéance.

Quant aux emplois du secteur de la culture, ils restent dans une situation de grande précarité. De longs mois d’hibernation culturelle sont encore devant nous. La culture doit être protégée durant la crise et soutenue durant sa relance qui prendra plusieurs mois avant de pouvoir se déployer à pleine capacité.

Pour encore de longs mois, les secteurs de la culture et des communications devront faire face à un effondrement des dépenses publicitaires des entreprises, au tarissement du financement privé, à l’interdiction de se produire pour les arts vivants ainsi qu’à une perte de revenus importante pour les écrivaines et écrivains. Ces secteurs ont besoin de mesures spéciales pour survivre en apnée durant le confinement, ainsi que des mesures qui permettront leur relance une fois que cela sera permis.

La durée de la reprise économique aura également des impacts directs sur la capacité réelle d’un retour à la normale pour la culture et les communications. En effet, ces secteurs sont grandement tributaires des revenus disponibles des ménages, de la viabilité financière des entreprises et de la philanthropie, et de l’accès aux lieux publics à différents égards :

• La consommation de biens culturels est une des premières dépenses affectées par les baisses de revenus des ménages ;

• Les investissements en publicité et commandites sont parmi les premiers affectés par les baisses de revenus des entreprises. Les productions télévisuelles et radiophoniques, les festivals et plusieurs événements et institutions culturelles dépendent de ces revenus pour être viables financièrement ;

• Les mesures de distanciation physique limitent la capacité, voire l’accès, aux lieux de diffusion culturels, ce qui influence les revenus de billetteries et de revenus des ventes en boutique, restauration et bars ;

• Les mesures de distanciation physique engendrent des coûts supplémentaires dans la production des œuvres culturelles, notamment par des dépenses en équipements de protection individuelle (EPI).

• Les campagnes et événements de financements sollicitant les dons du public pour les organismes culturels subissent les contrecoups de la baisse des revenus des ménages et l’accès aux espaces de diffusion culturels.

Nos solutions

Nous proposons donc un ensemble de mesures de soutien visant à maintenir le secteur de la culture et des communications à flot et à investir dans une relance d’activité efficace lorsque les conditions le permettront.

Ces mesures favoriseront la capacité des organisations à maintenir leur lien d’emploi avec les salariés et les contractuels, et contribueront à réduire l’impact négatif substantiel que l’industrie et ses artisans ressentent.

1) Réformes législatives qui permettront d’améliorer les conditions de vie socio-économiques des artistes

a. Modification du régime d’assurance emploi afin d’y inclure les travailleurs autonomes.

b. Réformes de la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs et de la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma afin qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle dans l’amélioration des conditions de vie socioéconomiques des artistes.

c. Adapter les cadres législatifs et réglementaires au numérique afin de garantir une rémunération juste et équitable aux artistes, créateurs, professionnels et ayant droits.

2) Révision des modèles de financement de la culture – Une approche à l’air de son temps pour pleinement représenter les créateurs culturels du Québec

a. Intégrer les nouveaux enjeux et les réalités du milieu culturel (ex. : intensification de la numérisation et changement dans les habitudes de consommation du contenu culturel) dans les nouvelles lois et programmes gouvernementaux.

b. Assurer une représentativité de la diversité des travailleurs de l’industrie par la mise en place d’une grille d’analyse qui réfléchit chaque politique en ayant en tête les répercussions sur les artistes et les créateurs.

c. Adapter les pratiques et les programmes afin de s’assurer que les infrastructures culturelles soient mises au bénéfice des créateurs culturels.

d. S’assurer, par la mise en place de mécanismes de reddition de comptes, qu’une juste part de l’argent public investit ruisselle jusqu’aux créateurs qui sont la force vive des produits culturels et que le respect des ententes collectives existantes fasse partie des critères d’admissibilité aux fonds publics.

3) Plus jamais pareil - Une situation sans précédent demande des budgets inédits en culture

a. Prévoir un budget exceptionnel de relance des institutions muséales, des salles de spectacle, des théâtres et des festivals de 25 M$.

b. Prévoir un programme de soutien en santé mentale auprès des travailleurs du secteur des arts et de la culture de 41,56 M$.

c. Assurer une flexibilité dans les programmes de financement et reconduire le financement pour adapter l’offre culturelle 50 M$.

d. Prévoir un programme temporaire d’appui à la création de 3,75 M$ et programme de renouvellement des expertises de 5,80 M$.

e. Offrir une compensation pour le manque à gagner en termes de revenus de bienfaisance de 31 M$.

f. Augmenter la capacité de financement de la production télévisuelle en réponse à la baisse des recettes publicitaires et la hausse des coûts de production 20 M$.

Conclusion

La crise économique et psychologique qui accable le secteur culturel ne peut plus durer. En effet, les travailleurs du milieu sont à bout de souffle. Le sondage conduit auprès de nos membres révèle qu’un peu plus de 41 % d’entre eux ont considéré ou considèrent abandonner leur carrière. Cette statistique dégage un réel essoufflement des personnes qui œuvrent dans le secteur culturel, ce qui constitue une menace à la pérennité et à la vitalité du secteur culturel québécois.

Le portrait présenté est choquant et doit servir de son de cloche pour démarrer une action concertée afin de soutenir les travailleurs du milieu, car le succès de la relance du secteur des arts et de la culture dépend largement de ses artistes, créateurs, professionnels et artisans. La contribution du gouvernement et des institutions culturelles sera primordiale afin d’assurer l’accessibilité aux ressources nécessaires et d’offrir une qualité de vie à ces artistes qui font briller le Québec ici et à l’international, par leurs talents et leur créativité.

Le Québec ne peut se permettre de perdre ces talents et cette expertise. Essentiels au rayonnement de la culture québécoise, les artistes sont des ambassadeurs et des créateurs de notre culture collective. Permettant de nous définir, la culture est au cœur de notre identité et engendre, chaque année, des retombées économiques importantes pour la province.

En effet, en 2012, le ministère de la Culture a établi qu’en 2009, les entreprises des domaines composant le secteur de la culture et des communications ont engagé des dépenses de fonctionnement de 13,1 milliards de dollars. L’économie québécoise a bénéficié de ces dépenses. Une contribution de 10,11 milliards de dollars a été injectée dans l’économie, représentant 4,1 % du produit intérieur brut (PIB) aux prix de base de l’ensemble du Québec. Ces dépenses ont entraîné la création de 130 345 emplois totaux (en personnes - années), le versement de 5,8 milliards de dollars en salaires et gages avant impôts et des revenus de 1,9 milliard de dollars aux gouvernements provincial et fédéral.

Les dernières données de Statistique Canada sur les indicateurs de la culture révèlent pour le Québec en 2018 une valeur de production de 19,1 milliards $, un niveau de valeur ajoutée (PIB) de 9,3 milliards $ et la génération de 126 400 emplois.

Il faut donc agir collectivement pour venir en aide aux travailleurs de cette industrie qui permet de nous définir et au Québec de s’épanouir. La politique culturelle du gouvernement du Québec mentionnait que « La culture constitue une extraordinaire force pour l’épanouissement et le développement de la société québécoise. Elle s’enrichit au fil du temps par les réalisations d’artistes, d’artisans et de travailleurs culturels visionnaires et par l’inspiration d’entrepreneurs audacieux. L’engagement des citoyens, des gouvernements de proximité et de l’État témoigne de la valeur de ce trésor collectif. » Ce constat de 2018 est autant plus vrai alors que 2021 prend son envol.

Si la pandémie doit avoir un impact positif, cela doit être de nous donner l’occasion de redorer cette industrie et de bonifier les conditions de travail de ces membres. Il faut saisir cette occasion d’agir pour ne pas retourner en arrière et éviter de perdre notre fierté et notre vitalité culturelle.

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