Édition du 16 avril 2024

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Europe

Pourquoi la recherche d’un « accord » avec Nafissatou Diallo est un aveu de culpabilité de DSK

Les journaux français répètent à l’envi que la recherche par Dominique Strauss-Kahn (DSK) d’un accord financier n’est pas un aveu de culpabilité. Les chaînes de télévision font venir le même avocat qui est cité par la presse écrite pour dire la même chose ; et personne ne dispute ni ne discute cette assertion.

Le système américain est différent sur beaucoup de points du système français. Dans le système français, l’aspect civil – le dédommagement des victime – est compris dans le procès pénal. S’il n’y a pas de condamnation au pénal – donc par l’État – il n’y a pas non plus de dédommagements pour les individus qui s’estiment lésés : les parties appelées civiles par opposition au procureur qui représente la chose publique.

Aux États-Unis en revanche le procès pénal est uniquement pénal : l’État poursuit, et jamais il ne demande de dédommagements ; s’il estime l’accusé coupable, il ne peut demander qu’une sanction. En France aussi la différence est claire, si on prend la peine de distinguer, dans le même procès, les plaidoiries des parties civiles—qui ne peuvent demander que des dommages et intérêts—de celles du procureur qui ne peut demander que des sanctions. Mais le fait que ces plaidoiries se suivent dans le temps et dans le même lieu entraîne souvent la confusion.

Aux États-Unis, le procès civil n’a pas lieu en même temps que le procès pénal. Il se tient des mois plus tard.

Et il ne juge pas de la responsabilité pénale de la personne accusée puisqu’on est dans une juridiction civile, qui ne traite que de dommages et intérêts et pas de sanctions.

Et pourtant il s’agit de la même chose, de la même affaire. Mais les mots sont différents : on établit, ou non, la responsabilité de la personne « défenderesse » ; ce dont elle est responsable, ce n’est pas de crime ou de délit mais d’avoir causé un dommage à autrui. Par exemple, accusé de meurtres au pénal, au civil O.J. Simpson devient responsable de « wrongful deaths » : de morts « fautives » ou « commises par faute ». Bref on évite d’employer les mêmes mots qu’au pénal. Dans le cas de DSK et Nafissatou Diallo également, le vocabulaire est différent de celui du procès pénal avorté. « Dommages émotionnels permanents » au lieu de « viol » d’un côté, « responsabilité » au lieu de « culpabilité » de l’autre.

Ce qui est différent aussi par rapport à la France, c’est qu’aux États-Unis le procès civil, peut servir de session de rattrapage d’un procès loupé au pénal. Car les conditions nécessaires à une condamnation au pénal sont beaucoup plus difficiles à réunir qu’en France : il faut que les 12 jurés soient unanimes – tous d’accord – et de plus que chacun soit convaincu de la culpabilité au delà d’un doute raisonnable. Enfin, l’accusé peut rester silencieux pendant tout le procès ; il n’a pas, comme il doit le faire en France, à répondre aux questions du président.

Or dans le procès civil, il est beaucoup moins difficile d’obtenir une condamnation, qui portera sur des dommages et intérêts, et qui aura donc établi la réalité de ces dommages. Il suffit que 9 jurés sur 12 se prononcent. D’autre part ces jurés n’ont pas à être convaincus « au delà d’un doute raisonnable » : il leur suffit de penser que la majorité des preuves va dans le sens d’une « responsabilité » du « défendeur ».

Enfin, le défendeur doit répondre aux questions des avocats et du président.

Une session de rattrapage, c’est ce qui s’est passé dans le cas d’O.J Simpson, qui avait été acquitté du meurtre de sa femme et de l’amant de celle-ci, bien que les preuves soient accablantes : lors du procès civil, il a été condamné à d’énormes dommages et intérêts, qu’il a d’ailleurs réussi à ne pas payer. Mais les parents des victimes recherchaient avant tout un soulagement moral, à effacer l’injustice de l’acquittement ; le tribunal, en prononçant ce jugement, disait que leurs enfants étaient bien mort.es par la faute de Simpson, qu’il était bien coupable.

Aux États-Unis, au civil comme au pénal, on peut s’arrêter avant le procès ; au pénal, on plaide coupable et on négocie avec le procureur une peine, ce qui évite le travail et l’argent que coûte un procès. Au civil aussi : dans le cas DSK-Nafissatou Diallo le juge du tribunal de Brooklyn pousse comme d’habitude les parties à trouver un accord, ce qui sera autant d’économisé pour la Justice. La presse française traite ceci comme une espèce d’arrangement extra-judiciaire, quasiment comme un paiement au noir : mais c’est faux, c’est un accord prévu par la loi et que le juge doit valider.

La presse hexagonale prétend aussi que si DSK est prêt à payer des millions de dollars, c’est « pour ne plus avoir d’ennuis avec la justice »….Elle laisse ainsi penser que n’importe quelle femme peut traîner un homme devant les tribunaux, sans raison, et qu’il n’a d’autre issue que de payer pour s’en débarrasser. Est-le cas ? Si oui, pourquoi DSK n’insiste-t-il pas pour aller plaider sa « non-responsabilité » devant le tribunal, et expliquer, comme le lui demande Kenneth Thompson, « comment en sept minutes de présence de Nafissatou Diallo dans sa chambre, il a été capable comme il le prétend d’avoir une relation sexuelle consentie » ? L’arrangement au civil – le plaider coupable au pénal – se fait quand l’accusé (au civil le « défendeur ») pense qu’il n’a pas intérêt à aller au procès, quand il pense que le procès aura une issue pire pour lui que la négociation. C’est ce que pense, de toute évidence, DSK. Il n’aurait pas le droit dans un procès civil de se taire, il devrait s’expliquer, raconter sa version, et s’assurer qu’elle est convaincante, ou au moins vraisemblable ; une tâche difficile, et c’est pourquoi l’avocat de Nafissatou Diallo le met au défi du procès. S’il est prêt à payer, c’est qu’il sait, et que ses avocats savent, et que tout le monde sait, qu’il ne parviendra pas à convaincre que Nafissatou Diallo n’a pas été forcée. S’il est prêt à payer, c’est qu’il sait que s’il va au procès, il sera jugé « responsable » : sans tâche sur son casier judiciaire, mais coupable quand même. Ce que tout le monde sait outre-Atlantique, et subodore ici, pourquoi les médias français veulent-ils le cacher ?

Christine Delphy, 4 décembre 2012

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