Édition du 26 mars 2024

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La guerre en Ukraine - Les enjeux

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On assiste à une guerre d’usure entre l’Ukraine et la Russie depuis presque un an et rien ne permet d’en prévoir la fin ni quelle en sera l’issue. Chaque camp refuse de céder du terrain. Le "jusqu’au boutisme" règne de part et d’autre.

L’appui occidental à Kiev, en particulier américain, se confirme et se renforce, ce qui rend possible la résistance prolongée de l’Ukraine. Les protagonistes de ce conflit ferment la porte à toute solution négociée. On observe une résurgence de la guerre froide nouvelle version, opposant les États-Unis et l’Union européenne d’une part à la Russie et à la Chine d’autre part. C’est d’autant plus vrai que Washington redoute l’ambition chinoise de conquérir Taïwan comme Moscou tente de le faire pour l’Ukraine. Les tensions mondiales croissent dangereusement.

Pourtant subsistent dans ce gâchis sanglant quelques lueurs d’espoir.

Tout d’abord, un fait modeste mais qui n’en n’a pas moins son importance : le gouvernement allemand hésite toujours à fournir aux Ukrainiens des chars Leopard qui sont parmi les plus perfectionnés au monde (ah la technologie germanique !) au contraire de Londres qui va envoyer des chars Challenger. Donner de l’équipement militaire trop sophistiqué à Kiev ne fera qu’envenimer le conflit et le prolonger sans pour autant procurer l’assurance d’une victoire aux Ukrainiens et Ukrainiennes, quoi qu’en pense le président Volodymyr Zelensky.

Ensuite, Vladimir Poutine et sa garde rapprochée ont selon toute vraisemblance renoncé à conquérir toute l’Ukraine, devant la résistance opiniâtre de l’ennemi et le soutien technologique et logistique fourni à celui-ci par les Occidentaux. L’armée russe a même perdu du terrain en septembre et octobre derniers. Elle vient toutefois de reprendre la petite ville de Soledar dans l’est au prix de combats acharnés. Est-ce un tournant dans le conflit ? On le saura bientôt.

Selon toute vraisemblance, Moscou va s’accrocher aux zones qu’il détient déjà, soit une bonne partie du Donbass à l’est et certains territoires situés au sud. Le Kremlin ne peut se permettre une défaite sans mettre en péril sa crédibilité à l’interne et à l’externe.

Dans ce contexte, encourager Zelensky à l’intransigeance ne rend pas service au peuple ukrainien ni à la cause de la liberté. On a beaucoup traité des déboires de l’armée russe et du terrain qu’elle a du céder, mais on doit aussi tenir compte des ravages que causent ses drones et ses missiles qui multiplient les victimes civiles. Rien n’indique par ailleurs que les forces ukrainiennes parviendront à repousser les Russes de la totalité du territoire que les troupes du Kremlin contrôlent encore.
Plutôt que d’encourager Zelensky et ses proches à une résistance butée au résultat incertain et de multiplier les coups de gueule contre les maîtres du Kremlin, ne serait-il pas préférable pour Biden et consorts d’amorcer des démarches diplomatiques en vue de futures négociations de paix ?

La renonciation de fait de Poutine à s’emparer de tout le territoire ukrainien pourrait permettre à ce dernier de s’engager dans ces pourparlers sans perdre la face ; en échange, Volodymyr Zelensky serait en mesure d’envisager de céder le Donbass (dont une bonne partie de la population souhaite le rattachement à la Fédération de Russie, semble-t-il) et la partie du sud de l’Ukraine que tient toujours l’armée russe.
Il n’existe pas dans le cas du conflit russo-ukrainien de paix parfaite et intégralement équitable. Les deux parties devront bien en arriver à une solution de compromis au lieu de continuer à s’embourber dans un conflit aussi dramatique que ruineux.
Il faut dire que la Maison-Blanche trouve son profit dans la continuation de cette guerre. Elle lui permet de redorer son blason terni par l’épisode désastreux de Trump et de consolider son leadership auprès de ses alliés européens, du moins certains d’entre eux. L’OTAN était "en état de mort cérébrale" (dixit Emmanuel Macron) avant le déclenchement du conflit le 24 février 2022, mais l’Organisation resserre depuis les rangs autour des États-Unis. De plus, pour la présidence Biden (comme pour n’importe quel gouvernement fragile), rien de mieux qu’un ennemi extérieur pour rassembler la population derrière lui.

Du côté de Moscou, on ne note aucune contestation importante et durable vis-à-vis de la politique belliqueuse de Poutine. Certes, on a bien observé certaines manifestations de protestation, mais elles furent sans lendemain ; rien de comparable à l’opposition croissante d’une bonne partie de la population américaine contre l’engagement militaire direct de son pays au Vietnam de 1964 à 1972. Cela ne signifie pas nécessairement que tous les Russes approuvent l’invasion de l’Ukraine mais leur opposition est étouffée par le caractère très répressif du régime en place et dans leur cas aussi, il y a hésitation à s’opposer à la politique du président, question de "patriotisme"... Quelques parlementaires à la Douma dénoncent l’agression russe en Ukraine, mais il s’agit de groupes qui s’opposaient déjà au régime de Poutine avant février 2022. Il y a bien des désertions parmi les mobilisés et des réfractaires parmi les appelés, mais ce phénomène ne paraît pas trop affecter jusqu’à présent la capacité opérationnelle du corps expéditionnaire, même si elle éclaire peut-être en partie ses difficultés sur le terrain. Mais il est loin d’une déroute. Les sanctions commerciales et économiques occidentales imposées à la Russie n’affectent pas encore son effort de guerre.

Dans ces circonstances, accentuer de part et d’autre l’effort militaire ne peut que prolonger une impasse qui dure depuis déjà trop longtemps. La diplomatie doit prendre au plus vite le pas sur l’intransigeance et offrir une porte de sortie honorable à Poutine et à Zelensky.

Selon le proverbe, le mieux est souvent l’ennemi du bien.

Jean-François Delisle

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