Réforme et conservatisme
Si on se fie au discours dominant qui nous rejoint, nous serions face à un affrontement entre des conservateurs, (le gagnant de l’élection, M.
Amahdinejad et ses supporters dont le Guide Suprême, M. Khameni) et des réformistes dont le chef de file serait le candidat défait M. Mir Hossein Mousavi. Ça a l’avantage d’une présentation simple et où on peut facilement décider où sont les bons et les méchants. Les réformistes sont présentés comme ceux qui veulent plus de démocratie et se rapprocher de l’Occident singulièrement des Etats-Unis ce qui leur donne une aura bien sympathique. Les conservateurs ne voudraient que maintenir la dure règle religieuse sur le peuple, le tenir à bonne distance de ce qu’on appelle l’Ouest et de mener la guerre contre Isarël. On peut admirer effectivement le courage dont ils et elles font preuve en affrontant le pouvoir en place. Car nous ne sommes pas ici dans une démocratie qui laisse un tant soit peu s’exprimer les opposants au gouvernement.
L’Iran est dirigé par des instances religieuses qui se désignent entre elles, détiennent un pouvoir absolu pour le Guide Suprême et quasi absolu pour les autres niveaux de l’État et du gouvernement. Le président, objet de cette élection, en détient peu. Il a toujours été choisi par le Guide Suprême et son entourage. Historiquement, quant le choisi ne faisait plus l’affaire on l’éliminait d’une manière ou d’une autre : assassinat, exil, emprisonnement etc. Le premier de tous, M. Bani Sadr vit en France depuis le début des années quatre-vingt.
On n’est donc pas dans une situation comparable à celle régnant dans la plupart des pays. Toutefois, quasi curieusement, le régime a toujours permis des élections à partir du niveau de la présidence et au dessous et assoupli ses règles durant ces périodes électorales. Permettant ainsi l’expression publique d’opinions et de revendications impensables en d’autres moments.
Les partis politiques sont interdits et personne ne peut se porter candidat de son propre chef. Les citoyenNEs qui veulent se porter candidatE doivent présenter leur intention au Conseil de la révolution qui choisit les candidats. Le pouvoir s’organise toujours pour que son homme fasse parti du contingent. Ainsi, cette année, quarante-sept personnes se seraient proposées dont une douzaine de femmes. Elles n’avaient aucune chance et seuls quatre hommes ont été ainsi désignés candidats, tous issus d’une manière ou d’une autre des rangs des instances dirigeantes. Car M. Mousavi était premier ministre à la fin des années quatre-vingt, pendant la guerre contre l’Irak et est resté proche du pouvoir.
Quelques enjeux
On a beaucoup insisté sur ce que représentent les foules appuyant M. Mousavi. Il semble bien qu’elles soient principalement citadines mais pas qu’à Téhéran. Il y a eu des rassemblements très importants dans d’autres grandes villes dont Ispahan et même Qom la capitale religieuse. « Les anti Amahdinejad sont nombreux et issus de beaucoup de couches sociales. On y remarque des éléments de la vieille garde fondatrice de la République islamique iranienne, qui sont dégoûtés de M. Amahdinejad et qui voient d’un très mauvais œil l’augmentation des pouvoirs des dirigeants des Gardiens de la révolution (qui le supportent) ; une majorité toujours plus importante de religieux et d’ayatollahs qui tiennent depuis longtemps, en fait depuis qu’il a été élevé à sa fonction de Guide Suprême il y a vingt ans, l’Ayatollah Ali Khameni pour un parvenu et un usurpateur ; presque toute la classe d’affaire iranienne, spécialement celle qui commerce dans le secteur des nouvelles technologies, de l’aviation, du pétrole, et de l’industrie lourde. Elle blâme M.Amahdinejad pour sa gestion de l’économie qu’elle juge catastrophique et pour la détérioration économique apportée par les sanctions internationales(dans la foulée du programme d’enrichissement de l’uranium) ; toute la classe réformiste iranienne qui va des religieux avec un esprit plus libéral comme l’ancien présidant Kathami jusqu’à des centristes comme M. Mousavi (…) ; une grande partie des femmes, actuellement énergisées par l’épouse de M. Mousavi qui fait campagne avec lui et qui défend les droits des femmes [2] ; et finalement toute l’élite iranienne des arts, du cinéma, les intellectuels, les étudiants les écrivains et les musiciens [3]
Mais cette analyse ne serait pas complète. Il faut y ajouter tous les éléments de la classe ouvrière qui se sont déjà opposés au pouvoir dictatorial et dont les dirigeants se sont retrouvés en prison, plus souvent qu’à leur tour. Ce pouvoir n’a pas agit différemment avec eux, que ne l’avait fait le pouvoir du Shah en son temps. [4]
Ces opposants ont plus, semble-t-il voté plus contre M. Amahdinejad que pour les trois autres candidats, même M. Mousavi considéré comme leur chef de file. Chose certaine, il ne s’agit pas d’une révolution peut-être même pas d’une révolte populaire au sens ou elle impliquerait toutes les couches du peuple. Il s’agit certainement d’une campagne de revendications de la part d’une partie importante de la population, pour plus de démocratie dans les structures de l’État et dans les règles de la vie quotidienne. Mais, ceux et celles qui revendiquent sont en fait sans direction, sans chef. Tous ceux qui tenaient ce rôle ont déjà été éliminés par le régime. CertainEs ont été emprisonnéEs tout juste avant la campagne électorale. Mir Hossein Mousavi est un pis allé dans les circonstances et son épouse n’aurait rien d’une féministe. [5] « Mousavi et ses supporters ne demandent pas le renversement de la République islamique… [6] Et cet auteur souligne que l’Occident, les Américains en tête, n’ont jamais pris la mesure de la profondeur du rôle de la religion dans la population iranienne.
Mais, dans le contexte d’un État théocratique dictatorial, il s’agit d’un moment très important pour l’avenir de tout le peuple iranien. On peut peut-être le comparer à la révolte du printemps de Tienanmen en Chine il y a vingt ans et dans notre propre histoire, à celle des Patriotes et de leurs alliés du Haut-Canada en mille huit cents trente-sept. Risquer la mort pour obtenir des libertés individuelles, un certain statut politique pour les femmes, une vraie représentation du peuple dans les instances politiques, une autre gestion dans ce pays croulant sous la détérioration économique, [7]. etc. etc., est une position politique qui ne peut être renvoyée au seul opportunisme de classe.
Des appuis extérieurs
En voyant la campagne de M. Mousavi se colorer en vert, nous revenaient immédiatement en mémoire les campagnes oranges en Ukraine il y a trois ans, roses en Géorgie un peu plus tard et certaines autres dans les pays d’Europe de l’est. Il a été établi que toutes avaient été orchestrées par le gouvernement américain par des voies diverses dont la CIA, et le NED [8]
Serions-nous ici dans la même situation ? C’est bien possible et cela conforterait le rejet que porte le pouvoir iranien sur cette protestation au nom de la « manipulation étrangère » Bien sûr les États-Unis sont visés directement mais aussi le Canada !
Paul Craig Roberts [9] donne des indications qui portent à réfléchir mais que peu, sinon aucun média n’a jusqu’ici évoquées. L’auteur souligne que les marques de la CIA dans le processus sont si évidentes qu’il faut se fermer les yeux volontairement pour ne pas les voir. Cela n’étonnera personne, car il semble clair que les Etats-Unis aient poursuivi une politique de déstabilisation du pouvoir iranien depuis bien des années. Au cours des deux dernières, un programme et son financement ont été mis en place à cette fin, et certains montants seraient allés au financement de la campagne de M. Mousavi. [10] On sait aussi que le président Obama n’a pas rejeté toutes les politiques de l’ancienne administration, loin s’en faut.
Quant à Israël, l’élection de M. Amahdinejad l’arrange. Il est plus facile de poursuivre une politique agressive contre un ennemi peu sympathique que le contraire. Le gouvernement Nétanyaou se ferait fort de convaincre sa population de l’existence d’un vrai danger iranien en rappelant les discours antérieurs du gouvernement Amahdinejad sur la nécessité de détruire l’État Juif. Ils sont une arme de conviction facile à utiliser pour déclencher une guerre qu’Israël planifie depuis bien longtemps. Et il ira de l’avant, même sans le soutien américain. Devant un adversaire plus conciliant et d’apparence plus modérée…… ?
Disqualification du mouvement ?
Si ces analyses ont du crédit, est-ce qu’elles discréditent complètement ce qui se joue dans les rues iraniennes depuis maintenant une semaine, avec son lot de morts (probablement une vingtaine maintenant), de blessés et d’arrestations ? Je ne crois pas. Il arrive sans doute que les intérêts politiques et économiques des uns et des autres, Américains et Iraniens protestataires coïncident. Cela s’est vu dans l’histoire.
Mais, si l’on sait bien dégager la nature réformiste de ce mouvement mené par les classes plus aisées et éduquées, et leurs alliéEs populaires il y a lieu me semble-t-il, d’y voir une marche vers une forme de progrès politique et social. Si elles réussissent à obliger ce pouvoir quasi dictatorial à consentir des libertés liées à la démocratie, fut-elle la démocratie de classe capitaliste, ce serait une certaine victoire pour tout le peuple iranien. Mais pas la victoire ultime, si jamais elle existait.
Pas plus que le fait que ce mouvement, qui ne semble pas avoir de programme politique solide dépassant ses intérêts de classe propres, ne l’invalide. Et il se peut fort bien que le peuple ne profite pas immédiatement du mouvement comme tel ni des résultats possibles à court terme, mais ne serait-ce qu’entrevoir une sortie de dictature serait une perspective non négligeable.
Selon Paul Craig Roberts [11], les supporters de M. Amahdinejad seraient plus issus des couches pauvres et rurales du pays. Mais il est complètement abusif de penser que la totalité de ces populations soient derrière lui [12].. Ses appuis viennent aussi de la droite religieuse mais surtout des Gardiens de la Révolution, d’une milice non officielle, les Basij, de la police et de l’armée, et de membres des services de sécurité à qui il verserait un salaire. Une bonne partie du clergé ultra conservateur de la ville sainte de Qom est derrière lui de même que leurs étudiants.
Il est de notoriété publique qu’au cours de sa campagne il a distribué des biens (ex. des sacs de pommes de terre à Téhéran), et de l’argent aux plus pauvres. Ses opposants l’accusent d’avoir, au cours de son mandat qui se termine, utilisé l’argent du pétrole [13] pour s’assurer l’appui des couches populaires. En somme on l’accuse de populisme. Par contre il ne faut pas oublier que la corruption fait parti du jeu politique iranien comme de celui de beaucoup de pays.
D’autres facettes de cette lutte,
Ce qui se joue dans les rues iraniennes en ce moment, est aussi et peut-être surtout, le reflet de luttes de pouvoir à l’intérieur même du cercle le plus élevé de l’État islamique. La contestation y est présente depuis un moment, probablement depuis la première élection de M. Amahdinejad. Le consensus politico-religieux n’est plus aussi solide que dans le passé et dans toutes les instances il existe une contestation plus ou moins organisée, plus ou moins forte pour que des changements politiques soient introduits. Même dans la direction du corps des Gardiens de la Révolution, le plus dur des organes de gouvernement, une certaine opposition se serait constituée. En plus, de vielles divergences à l’intérieur du groupe des mollahs sont plus visibles en cette période et ne sont pas insignifiantes.
C’est donc toute la société iranienne qui est traversée par un courant de déstabilisation des certitudes sinon des structures politiques depuis les plus hauts échelons du pouvoir jusqu’au plus simple citoyen. Personne n’avait prévu une telle situation pas même les quatre candidats au poste de président. [14] La réponse du pouvoir donne en ce moment dans la répression à outrance. Le mouvement protestataire semble vouloir poursuivre ses actions, notons-le, pacifiques. Si nous ne nous trompons pas sur les fragilités déjà présentes ou introduites par le courant politique actuel, à l’intérieur même des institutions islamiques iraniennes, il se peut que la ligne dure du gouvernement ne puisse se poursuivre très longtemps. Mais l’histoire iranienne nous enseigne que rien n’est acquis à ce chapitre. La plus récente répression majeure d’un mouvement social a eu lieu contre les étudiants il y a une quinzaine d’années. Les armes habituelles de ce pouvoir en sont venues à bout.
N.B. pour ceux et celles que la question de l’utilisation des moyens électroniques de communication chez les protestataires, intéresse, voir, Henry Giroux, The Iranian Uprising and the Challenge of the New Media, sur counterpunch.com, 19 juin 2009.