De Paris, Omar HADDADOU

Poussée dans ses retranchements miséreux, l’Afrique se rebelle ! Au péril de leur vie, les migrants bravent l’impossible et réussissent à regagner l’Europe… Dans l’obscurité d’une nuit drue et glaciale, la Méditerranée farde son côté cimetière. Paniquard, le passeur maghrébin perd soudainement le sens de navigation, en ce début d’octobre.

Dans l’antre de son embarcation de fortune, parée pour l’Ile de Lampedusa sur les côtes tunisiennes, les migrants émoussés, transis de froid, se mettent à pleurer ! Il y a 3 enfants, 7 femmes et 18 jeunes, tous clandestins, candidats à l’exil en quête d’un lendemain meilleur.
Ils viennent grossir les rangs des 186 000 personnes arrivées depuis le 1er janvier 2023 dans le sud de l’Europe. Une hausse de 80 % par rapport à l’année dernière. Plus de 7000 exilés ont accosté en 3 jours en septembre. L’accord signé entre l’Union européenne et la Tunisie, n’est qu’une imposture protocolaire boyautante. Pour Macron et son gouvernement, il en faut davantage pour qu’une tragédie humaine les émeuve.

Eux qui ont la « Longue vue » résolument braquée sur les Jeux olympiques, Paris 2024. Allez ! A toute biture, cachez leur cette Seine polluée, ces SDF pouilleux sur les boulevards, et ces bataillons de punaises incommodants au prestige de la capitale !. Paris dont Emile Zola aimait à débusquer ses frasques en fouettant l’arrogance de sa bourgeoisie, reste fidèle à sa lubie d’occulter la tare sociétale par le tamis des grand-mères. A l’endroit des Africains (es), le Président français s’est gardé de la périphrase : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », déclara -il- le 24 septembre dernier sur deux chaînes publiques. Encore un plagiat et point d’excuses. Cette formulation, somme toute allégorique, il la doit à feu Michel Rocard, alors Premier ministre pour la période 1988 -1991. Pas la misère hideuse, certes ! Mais les trésors des tréfonds des purotins, à bras déployés, si ! Pour l’heure, le calvaire des migrants se poursuit. Un coupe - faim pour les tablées aristocratisées occidentales.

Plus de 2 500 ont péri ou disparus en Méditerranée en 2023. Cela représente une hausse de 50%.
Arrivés à Paris la veille du 6 octobre, après avoir débarqué à l’Ile de Lampedusa (Italie), ils choisirent comme abri le viaduc insalubre de la station métro Stalingrad, dans le 19ème arrondissement. Nous sommes allés à leur rencontre. Le campement respire la déchéance humaine. Des matelas et couvertures encrassés posés à même les dalles constellées de fientes de pigeons, au milieu des détritus épars, des restes de nourriture convoités par les mouches, des bouteilles en plastique et de bouts de carton en guise de brise-vent. Ici et là, de petites tentes des primo arrivants et du linge sale étendu sur la vieille palissade métallique du métro.
Défiants, les Africains s’opposent à notre requête d’échanger avec eux ou de les prendre en photo.

La communauté compte une cinquantaine de personnes. Somaliens, Erythréens, Soudanais et Ethiopiens.

Un seul élément va peser pour leur arracher l’assentiment : leur parler en arabe… ! Un Sallamou Allaïkoum valant un sauf-conduit, deux groupes maîtrisant la langue, agréent à notre invitation de se ressourcer et de prendre un bon café chez le Turc. Les mots peinent à décrire leur joie. La chaleur de l’établissement les plonge les visages hâves dans un bonheur extatique.
Fait empreint de générosité, un compatriote du genre silencieux, attablé à notre gauche, s’est brusquement levé, glissant discrètement des billets de 10 euros dans la main de chaque migrant, lui souhaitant protection et bénédiction du Seigneur, avant de s’éclipser en toute discrétion. Très touchant ! Les infortunés sont sciés.

Henok, l’éthiopien est prié de savourer d’abord son café avant de relater les faits marquants du long périple. Le narratif, séquences vidéos à l’appui, coupe notre souffle. Regard lointain, le migrant confesse : « En haute mer, nous avons bravé la mort 17 heures durant. Vomissements, maux de maux de tête, fièvre. A un moment, tout le monde s’est mis à sangloter quand le passeur s’est fourvoyé. Nous l’avons supplié de rebrousser chemin. Non ! vocifère le timonier, il n’en est pas question. J’ai de l’expérience. Nous y parviendrons ». La voix chargée de trémolos, il poursuit : « Je ne peux pas tout vous raconter. Regardez l’épuisement sur les visages de mes compagnons. Wallah, c’était l’enfer ! Nous avons marché, traversé le grand désert algérien, les maquis, les villages perdus dans les étendues arides, avant d’atteindre la rive du continent européen. Mais on va pas rester à Paris. Les gens ne sont pas comme les Italiens ; humains et hospitaliers. Ici, on n’est pas les bienvenus. Les autorités nous chassent. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé d’aller au Royaume-Uni et aux Pays-Bas ».
Rien n’arrêtera un migrant en détresse à aller au bout de son rêve, quand sa condition est circonscrite dans la dépossession de sa richesse et la misère ! Porosité aux frontières, il y en aura toujours et aussi longtemps que le Nord assouvi se complait dans son arrogance envers le Sud famélique.

L’hémorragie migratoire sera à l’Europe et aux Etats-Unis, ce que le lichen invasif à l’écorce d’un arbre bien « frondaisonné ».
O.H

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