Tiré du site d’Alternatives.
Si à peu près tout le monde s’entend sur ces précédentes affirmations, il n’en reste pas moins que nous subissons chez nous, depuis son arrivée à la Maison-Blanche, une nouvelle et dangereuse vague de raccourcis intellectuels via nos chers journalistes, chroniqueuses et chroniqueurs à la mémoire courte.
En effet, un point clé au nouvel ordre du jour américain est la renégociation des ententes de libre-échange maintenant qualifiées de catastrophe par le président élu. En doutant de capacité de celui-ci de diriger un pays, plusieurs mettent en doute ses politiques tout azimut. Ainsi, si Trump adopte des politiques protectionnistes, il ne serait que raisonnable, nous fait-on croire, de valoriser les politiques inverses de libre-échange. Or, il s’agit là d’un important raccourci intellectuel. Un faille logique accentuée par la présentation de Justin Trudeau et de la ministre des affaires étrangères, Chrystia Freeland comme de preux chevaliers, chargés de sauver la mise, éloigner le dangereux Trump protectionniste et préserver les « droits » de nos entreprises exportatrices à accéder aux marchés américains.
L’éternel problème du bois d’oeuvre québécois qui risquerait d’être surtaxé par les États-Unis si aucune entente de libre-échange n’intervenait représente justement une aubaine facile permettant à nos médias de jouer la carte de la peur du protectionnisme américain. Non seulement le conflit sur cette question précède Trump, mais, surtout, il est reconnu par plusieurs que le marché québécois de la construction pourrait absorber toute la production de bois d’oeuvre locale. Autrement dit, nous n’aurions même pas besoin d’avoir cette discussion avec les Américains.
Un raisonnement dangereusement fallacieux
Les États-Unis sont, historiquement, les principaux promoteurs du libre-échange tel qu’on le connaît aujourd’hui et ils s’en sont servi pour installer leurs système d’impérialisme financier de par le monde. D’abord avec l’entente Canada-États-Unis, puis avec l’ALENA et des dizaines d’autres, les Américains ont utilisé le concept de libre-échange pour permettre à leurs entreprises d’imposer leurs conditions commerciales aux États plus faibles tout en diminuant la responsabilité sociale des entreprises. Au nom de la maximisation des profits des sociétés transnationales, le libre-échange affaiblit les lois nationales protégeant les droits des travailleuses et travailleurs, préservant les écosystèmes locaux ou encore permettant le développement des régions éloignées.
Le concept de libre échange, développé à coup d’ententes secrètement négociées sans même permettre aux élus locaux de se prononcer, a même pu introduire la dangereuse notion d’un « droit au profit » des méga-entreprises qui peuvent désormais poursuivre des entités nationales osant vouloir protéger leurs ressources, leur culture ou même leurs secteurs privés souvent incapable de faire compétition aux géants commerciaux américains. Que reste-t-il, sous l’égide du libre-échange, de l’idée de souveraineté nationale quand des ententes supranationales rendent impossible pour des élus de protéger les ressources et les droits dans leurs propres pays ?
Pourtant, le discours actuel escamote les notions de bases du concept et profite du comportement peu reluisant de Donald Trump pour occulter sans vergogne les réalités du libre-échange et surtout les luttes immenses que les mouvements sociaux progressistes, québécois et canadiens, comme partout de par le monde, ont fait depuis 1994 aux divers projets d’ententes.
Je me souviens : plus de vingt ans de lutte au libre-échange
Comment oublier par exemple que l’Armée Zapatiste de Libération Nationale fut créée au Mexique le jour même de l’entrée en vigueur de l’entente Canada - États-Unis - Mexique (l’ALENA, le 1er janvier 1994) pour clairement marquer l’autonomie des peuples autochtones du Chiapas et le rejet des principes contenus dans l’Accord.
Plus près de nous, comment oublier l’Opération SalAMI de 1998 alors qu’une centaine de manifestant.e.s étaient arrêtés parce qu’ils et elles faisaient la lumière sur l’infâme Accord multilatéral sur les investissements – l’AMI - négocié secrètement au sein des vingt-neuf pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) entre 1995 et 1997. En 1998, l’AMI fut défait par des mobilisations internationales sans précédent.
Comment oublier le mois d’avril 2001, alors que la ville de Québec recevait plus de 60 000 manifestantEs de partout dans la Amériques opposé.e.s à la mise sur pied de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), laquelle ne sera jamais ratifiée.
Si les mobilisations actuelles contre le libre-échange sont moins spectaculaires, elles n’en demeurent pas moins constantes. En décembre dernier, plus de 450 organisations signaient une lettre conjointe appelant au rejet de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union Européenne. Des deux côtés de l’Atlantique, provenant entre autres des milieux syndicaux, agricoles, environnementaux, de défense des consommateurs, de la santé publique, des droits sur Internet, un large éventail d’organisations sociales ainsi que des petites et moyennes entreprises (PME) s’opposent à l’accord. Ils dénoncent l’AECG qui présente les mêmes tares que toutes les autres ententes du même genre : négociations secrètes, absence de consultations publiques, octroi aux entreprises du pouvoir de poursuivre des gouvernements, impact négatif sur plusieurs droits fondamentaux, dont le droit à la vie privée et à la protection des données, et affaiblissement des productions locales forcées de se mesurer aux entreprises européennes bien plus fortes. Malgré cela, le 16 mai dernier, l’AECG a reçu la sanction royale (fédérale) sans que les provinces et le Québec ne soient mis dans le coup.
Non au Néo-ALENA de Donald Trump
Au cours des vingt-trois années écoulées depuis l’entrée en vigueur de l’ALÉNA, nous avons assisté à un accroissement sans précédent des bénéfices et des droits des sociétés multinationales qui ont contribué à élargir les inégalités économiques en Amérique du Nord. Il est illusoire de penser que Trump agira, sous prétexte de son protectionniste, pour une quelconque justice sociale. Trump ne déchirera l’ALENA actuelle que pour conclure une autre entente où les bénéfices américains seront plus importants. Ce faisant, le Canada et le Mexique feront plus de compromis.
Au mieux, la renégociation de l’ALENA devient une opportunité de réfléchir à une stratégie de retrait. D’une part, nous avons tout à perdre à baisser les bras devant des États-Unis bien moins forts que jadis. D’autre part, des solutions simples existent et peuvent être mises en place pour contourner ce sacro-saint besoin d’exporter. Sur la question du bois d’oeuvre par exemple, Québec solidaire proposait récemment d’adopter une réglementation imposant l’utilisation du bois québécois dans toutes les constructions où cela est techniquement possible. L’adoption d’une telle réglementation éliminerait d’un coup de besoin d’exporter la ressource vers les États-Unis.
Les 26 et 27 mai prochains, les représentantEs de centaines d’organisations du Canada (du Québec), des États-Unis et du Mexique se retrouveront à Mexico pour adopter une nouvelle stratégie de lutte contre les ALENA, anciens et nouveaux. En parallèle, la société civile se doit que réfléchir et de proposer. Nous avons besoin d’un modèle de commerce fondamentalement différent et nouveau, qui priorise les besoins en développement de tous les peuples, la protection de notre planète, et la réduction des asymétries entre et au sein de ces trois pays.
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