Édition du 16 avril 2024

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Solidarité internationale

Seattle, dix ans après

Trente novembre, 1er, 2 et 3 décembre 1999. Pour plusieurs, ces dates n’évoquent rien de particulier. Pour d’autres, elles rappellent ce qui est communément appelé la Bataille de Seattle, qui eut lieu lors de la 3e Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Curieuse coïncidence : la prochaine grande rencontre de l’OMC se tiendra exactement aux mêmes dates cette année, à Genève.

Texte publié dans le numéro d’octobre-novembre de la revue Relations

Cependant, aucune négociation n’est au programme. Il ne faut donc pas s’attendre à quoi que ce soit de similaire aux événements de Seattle, d’autant que cela est devenu presque impossible en raison des imposants dispositifs répressifs désormais mis en place lors des sommets officiels. Mais il y aura des mobilisations, car même affaiblie, l’OMC continue d’affecter négativement la vie de millions d’êtres humains et de réduire à l’état de marchandise ce qui ne saurait l’être.

S’il nous intéresse, dans ce numéro, de commémorer Seattle et de réfléchir à partir de cet événement reconnu comme l’un des moments fondateurs du mouvement altermondialiste, c’est par devoir de mémoire et parce qu’à nos yeux, dix ans après, le « cri »de Seattle résonne toujours. En font foi les manifestations contre le G20, à Londres, en avril dernier. Le fait est que les élites économiques et politiques du capitalisme globalisé n’entendent toujours pas. Elles veulent relancer l’économie par la consommation alors qu’il faut reconnaître que les ressources de la planète ne sont pas illimitées et qu’il y a urgence de changer nos modes de production et de vie ainsi que leurs finalités pour inverser tant la tendance au réchauffement climatique que celle à l’accroissement des inégalités. Ces élites imposent leur règne clanique (à l’OMC, au G8, au G20, etc.) en marginalisant les Nations unies et leurs 192 États membres. Elles s’appliquent à sauver un système en crise plutôt que d’admettre qu’il faut le changer fondamentalement.

Ce que les manifestations de Seattle ont réussi à « mondialiser » en 1999, dans une convergence exceptionnelle entre la résistance du Sud et celle du Nord, c’est un cri contre ce que d’aucuns ont bien nommé l’oppression mondiale par le commerce, qui réduit l’individu à son seul pouvoir d’achat et qui l’exclut, le condamne et l’exploite s’il n’en a aucun. Cela passe par le système du libre-échange qui, loin d’être une solution à la crise globale actuelle, la nourrit en entraînant, entre autres, la perte de souveraineté alimentaire des pays, l’affaiblissement de leur capacité d’établir des protections économiques, sociales et environnementales et la déréglementation du secteur financier.

Si ce numéro concentre davantage son attention sur Seattle et après, ce n’est pas pour prétendre que tout a commencé là. Non, la mouvance altermondialiste s’inscrit bien dans le temps long de l’histoire et des luttes menées contre la domination exercée sur les peuples par les forces de l’argent et de la cupidité. Mais pensons-y, « il y a à peine deux décennies, de grandes parties du monde n’étaient pas touchées par la globalisation économique. La majorité des gens sur la Terre vivaient toujours de l’agriculture et dépendaient très peu des marchés étrangers » (Alternatives à la globalisation économique. Un monde meilleur est possible, Montréal, Écosociété, p.165). Avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, l’OMC a changé rapidement cette situation. Et non sans violence. Celle, pernicieuse, des ententes commerciales – une orgie de droit pour, essentiellement, défaire d’autres règles et droits démocratiques et humains –, qui privent des populations d’accès aux médicaments, de services essentiels et de moyens de survie, pour servir les intérêts de multinationales prédatrices. « Je veux que vous me perceviez avec une barre de fer à la main, forçant l’ouverture des marchés pour les entreprises américaines et les maintenant ouverts pour servir nos intérêts », a déclaré un jour la négociatrice américaine en chef, Carla Hills (citée dans OMC, le pouvoir invisible, Paris, Fayard, 2002, p.90).

Face à cela, dès les années 1980, l’anti-globalisation naissait et se manifestait lors des rencontres du Forum économique mondial (Davos), du G7, du FMI, de la Banque mondiale, etc. Au début des années 1990, c’est dans l’hémisphère Sud qu’on se mobilise en premier contre le GATT, qui conduira à la création de l’OMC et à ses ententes en vigueur (sur l’agriculture, les services, les investissements, la propriété intellectuelle). À la même époque, les zapatistes se soulèvent au Chiapas contre l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), en 1994.

Dans la séquence, la Bataille de Seattle incarne le moment où les puissants ont perdu la face – et leur police, la tête –, cela au cœur même du système (les États-Unis), grâce au pouvoir de la mobilisation, des blocages de rue, de l’action directe non violente. Cette pratique militante a toutefois perdu du terrain – surtout au Nord – sujet sur lequel nous reviendrons dans un dossier à venir sur la désobéissance civile. Mais surtout, c’est le refus courageux des pays du Sud de boucler les négociations qui a été déterminant. Ceux-ci n’ont eu de cesse de résister aux pressions des pays riches dont l’hypocrisie est sans nom, car ils refusent aux autres les outils sur lesquels reposent précisément leur puissance économique et leur prospérité.

La globalisation est une sourde recolonisation du monde. Reste qu’elle ne peut se comprendre comme un strict affrontement Nord-Sud. Car comme le dit l’une des collaboratrices de ce dossier, Maude Barlow, « les grandes sociétés apatrides ont donné naissance à l’État-entreprise ». Ensemble, ils ne travaillent plus dans l’intérêt des peuples, ni ceux du Nord, ni ceux du Sud, mais bien pour le profit, le tout dans un processus de désintégration des souverainetés – un simulacre de démocratie.

Notre espoir réside maintenant dans le fait que la crise globale actuelle donne raison aux altermondialistes qui n’ont cessé de décrier l’emprise démesurée de la finance et du commerce déréglementés sur la société. Le dogme néolibéral est discrédité plus que jamais auparavant. À nous, dans l’esprit de Seattle, de nous mobiliser et de saisir l’occasion pour qu’une transformation sociale radicale, si nécessaire à l’avenir de la Terre, à la réalisation des droits humains et à la reconquête de la pleine liberté humaine, s’impose enfin.

« Nous, peuples du monde, devons cesser de n’être que des victimes passives de ces négociations, et nous devons devenir des protagonistes de notre présent et de notre futur. »
Evo Morales Ayma
Président de la République de Bolivie, 2008

Catherine Caron

Rédactrice en chef adjointe de la revue Relations.

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