Édition du 20 mai 2025

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Afrique

Stella Akiteng : la voix des populations spoliées de leurs terres dans le district de Kiryandongo en Ouganda

Les terres fertiles de Kiryandongo, communauté agricole jadis prospère de l’ouest de l’Ouganda, sont devenues le théâtre d’accaparements de terres par des multinationales étrangères.

Tiré de Entre les lignes et les mots
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2025/04/04/larticulation-des-femmes-decvc-envoie-une-lettre-ouverte-a-hansen-sur-la-position-des-femmes-dans-la-vision-pour-lagriculture-et-lalimentation-autre-texte/?jetpack_skip_subscription_popup

Situé à 225 kilomètres de Kampala, la capitale de l’Ouganda, Kiryandongo est un creuset de populations venues de tout le pays. Beaucoup ont migré ici après avoir fui les catastrophes naturelles, la guerre ou la violence dans leur région d’origine. Le district accueille également une importante population de réfugié·es, ce qui renforce la diversité et la résilience de cette communauté.

Pour la plupart des habitant·es, la vie à Kiryandongo est l’histoire d’un double déplacement, une histoire marquée par la douleur, l’humiliation et la faim. Les terres de Kiryandongo, qui abritaient autrefois une riche communauté agricole et produisaient de la nourriture pour les familles et pour la nation, ont été transformées en plantations industrielles de soja et de maïs. Les femmes, en particulier, ont subi de plein fouet ces bouleversements, voyant leurs moyens de subsistance fragilisés et leur avenir incertain.

Les sols riches et le climat idéal du district en ont fait une cible de choix pour des entreprises comme Agilis Partners, Kiryandongo Sugar Limited et Great Season SMC Limited. Ces entreprises, qui agissent souvent main dans la main avec les autorités locales, ont violemment expulsé des milliers de familles de leurs maisons et de leurs fermes. À leur place, de vastes monocultures de soja et de maïs s’étendent désormais à perte de vue, effaçant les traditions agricoles dynamiques qui caractérisaient autrefois ce territoire.

Pour Stella Akiteng, agricultrice dépossédée de ses terres et leader communautaire, l’histoire est profondément personnelle. « J’étais agricultrice », dit-elle. « Je cultivais des haricots, du maïs, des arachides et d’autres cultures. Une partie de la récolte était vendue, et le reste nourrissait ma famille. Mais quand les investisseurs sont arrivés, ils ont tout pris. »

Le périple de Stella a commencé par un double déplacement forcé. Après avoir été mise à la porte de chez elle par son mari pour n’avoir donné naissance qu’à des filles, elle est retournée sur les terres de son père, où elle s’est vu attribuer 60 hectares. Mais en 2017, des grandes entreprises sont arrivées, soutenues par la police et l’armée, et ont saisi ses terres. « Ils ont trompé les responsables du district en prétendant avoir été envoyés par le gouvernement central », se souvient-elle. « Maintenant, ma famille et moi sommes sans terre. »

L’impact de ces saisies de terres va bien au-delà de la perte des moyens de subsistance. Les familles qui cultivaient autrefois du maïs pour nourrir l’Ouganda et d’autres pays ont désormais du mal à subvenir à leurs propres besoins. Des écoles ont fermé, privant des enfants d’accès à l’éducation. Même les lieux de sépulture sont interdits aux habitant·es, ce qui oblige les familles endeuillées à abandonner les corps de leurs proches dans les plantations de canne à sucre qui étaient autrefois leurs terres.

« Les plantations de canne à sucre ont apporté calamités et maladies », explique Stella. « Les moustiques, les serpents venimeux et les animaux sauvages circulent librement, rendant la zone dangereuse pour les enfants, les femmes et les hommes. »

Le rôle de Stella en tant que leader communautaire est devenu plus crucial que jamais. Autrefois conseillère et membre de l’association des agriculteurs de Nyamaleme, elle dirige aujourd’hui un réseau de familles déplacées qui luttent pour récupérer leurs terres et reconstruire leurs vies.

Le premier jour de leur expulsion a été particulièrement éprouvant. « Nous n’arrêtions pas de pleurer », se souvient Stella. « Au début, tout le monde était accablé, mais avec le temps, nous avons commencé à nous encourager les un·es les autres. Nous avons décidé de créer des associations et des groupes pour nous entraider. Avant de nous réunir, nous pensions que nous étions condamné·es, sans espoir. Maintenant, nous avons de l’espoir, l’espoir de retrouver nos vies et nos terres. »

Ces groupes sont devenus une source de force et de solidarité. «  Nous partageons nos joies entre nous », dit Stella. «  Survivre n’a pas été facile, mais nous avons trouvé des moyens de nous soutenir mutuellement.  »

Un réseau de résistance

Le rôle de leader de Stella va désormais au-delà de Kiryandongo. Avec son groupe, elle a organisé des visites dans d’autres communautés ougandaises touchées par les accaparements de terres. Ces visites ont révélé le caractère généralisé du système d’exploitation mis en place par les multinationales.

À Kalangala, Stella a découvert comment les agriculteurs et agricultrices avaient été attiré·es dans des partenariats avec des entreprises leur promettant des parts dans des plantations de palmiers à huile. «  On leur a dit que cela leur apporterait des avantages, mais une fois les palmiers plantés, les entreprises leur ont interdit de produire des cultures vivrières  », explique-t-elle. Les produits chimiques utilisés dans les plantations ont contaminé le lac Victoria, tuant les poissons et dévastant l’industrie locale de la pêche.

À Mubende, Stella a pu observer les impacts environnementaux des plantations d’eucalyptus. « Ces arbres absorbent toute l’eau et assèchent les puits et les rivières », explique-t-elle. On a interdit aux agriculteurs et agricultrices de faire paître leur bétail et de ramasser du bois de chauffage, les privant ainsi de ressources essentielles.

À Hoima, la destruction de la forêt de Bugoma pour laisser place à des plantations de canne à sucre l’a particulièrement marquée. « La forêt était une ressource vitale pour la communauté : elle fournissait des plantes médicinales, du bois de chauffage et bien d’autres choses encore. Aujourd’hui, elle a disparu, tout comme leur mode de vie », explique Stella.

Ces visites ont incité Stella à rassembler les communautés touchées. « Nous avons compris que ce n’était pas seulement notre problème, mais que cela se produisait partout », affirme-t-elle. Elles ont formé un réseau informel contre les investissements fonciers en Ouganda, qui a maintenant rejoint l’Alliance informelle contre l’expansion des plantations industrielles de palmiers à huile en Afrique de l’Ouest, qui travaille en réseau avec d’autres groupes à travers le continent pour partager des stratégies et des ressources.

Pour Stella, la lutte ne se limite pas à la récupération des terres : il s’agit d’assurer l’avenir de la prochaine génération. «  Si cela continue, il n’y aura plus de terres pour les cultures vivrières, seulement des plantations de canne à sucre et des exploitations forestières », prévient-elle. « Si nous n’agissons pas maintenant, il ne restera plus rien pour nos enfants. »

En tant que leader élue par sa communauté, Stella est animée par un profond désir de changement. «  Tout ce que je veux, c’est un avenir meilleur pour notre communauté et notre pays », affirme-t-elle. « Nous apprenons les unes des autres, nous demeurons déterminées et nous nous associons à d’autres. Ensemble, nous pouvons relever tous les défis. »

Son message aux autres femmes est un appel à la résilience et à la solidarité. «  J’encourage les femmes à tenir bon et à surmonter les difficultés », dit-elle. « Si je meurs, les femmes qui me connaissent suivront mon exemple. Si l’on me donne l’occasion d’en faire plus, je tiendrai bon et je saisirai cette chance. »

L’histoire de Stella montre la force de l’action collective. «  Lorsque je raconte mon histoire à l’église, les femmes pleurent et me demandent comment je fais pour tenir bon, comment je surmonte la situation », confie-t-elle. « Ma réponse est toujours la même : ne souffrez pas seule. La résilience vient du fait d’être ensemble, d’écouter les autres et de faire preuve de compassion. Le monde est plein de douleur, mais ensemble, nous pouvons guérir et reconstruire ce qui a été brisé. »

https://grain.org/fr/article/7263-la-voix-des-femmes-semons-la-resistance-a-l-agriculture-industrielle

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