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Europe

Theresa May, plus combative que jamais dans la tempête du Brexit

16 novembre 2018 | tiré de médiapart. fr

Après la publication du projet d’accord sur le Brexit, Theresa May a encaissé jeudi la démission de deux ministres et de cinq autres membres du gouvernement. Malgré les critiques, elle tient le cap, en jouant sur une alternative : si le texte n’est pas voté, ce sera le chaos du « no deal ».

Londres (Royaume-Uni), de notre correspondante.- Le Brexit, Theresa May en a fait le combat de sa vie. La leader conservatrice, qui avait fait campagne sans conviction pour le maintien du pays dans l’Union européenne au printemps 2016, s’est donné pour mission d’« honorer » le résultat du référendum sans mener le pays à sa ruine.

Le visage bouffi de fatigue et le regard fiévreux, jeudi soir, la première ministre britannique a confirmé au cours d’une conférence de presse qu’elle irait « jusqu’au bout ». En cette période politiquement très instable, c’est la seule certitude dont peuvent se prévaloir les Britanniques.

Les implications des 585 pages du projet d’accord sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, rendu public dans ses grandes lignes mercredi soir, demeurent encore obscures pour la très grande majorité des électeurs. À Westminster, le « filet de sécurité » imaginé par les négociateurs britanniques et européens pour éviter le rétablissement d’une frontière en dur entre l’Irlande du Nord et la République irlandaise – frontière qui a disparu depuis l’accord du Vendredi saint signé en 1998 – déchaîne les passions.

Mais, alors qu’une très grande agitation s’est emparée du Parlement, Theresa May affiche un calme et une détermination hors du commun.

Certes, la démission de Dominic Raab, son ministre du Brexit, et celle d’Esther McVey, la ministre du travail et des retraites, sont malvenues à l’heure où la leader conservatrice doit faire ratifier l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne par les députés.

Nul doute que le départ des deux ministres et celui de cinq autres membres du gouvernement critiques du projet d’accord sur le Brexit ont enhardi les détracteurs les plus radicaux de Theresa May dans son propre camp : jeudi après-midi, Jacob Rees-Mogg a appelé les députés conservateurs à suivre son exemple en réclamant par courrier le vote d’une motion de défiance contre la leader de son parti.

Pourtant, l’effritement de son équipe gouvernementale et ce nouvel assaut contre la leader conservatrice orchestré par le très snob M. Rees-Mogg, le président du European Research Group, le groupe des conservateurs anti-européens du Parlement (lire son portrait dans Mediapart), n’affaiblissent pas Theresa May autant qu’il y paraît au premier abord.

Tout d’abord, en dépit de son titre officiel, Dominic Raab a tenu un rôle limité dans les pourparlers menés par Londres avec Michel Barnier, le négociateur de la Commission européenne pour le Brexit. Quand le député Brexiter de 44 ans a succédé à David Davis le 9 juillet dernier, la place de négociateur du Royaume-Uni était déjà occupée de longue date par Olly Robbins, un haut fonctionnaire très proche de Theresa May.

Ensuite, les Brexiters les plus fanatiques n’ont pas de solution alternative à proposer au projet d’accord défendu par la première ministre. Dans sa lettre de démission, Dominic Raab n’a d’ailleurs évoqué aucun modèle d’entente avec l’Union européenne qui aurait ses faveurs. Par le passé, le député conservateur s’est dit très confiant dans la capacité du Royaume-Uni de faire face à une sortie sans accord le 29 mars prochain, mais le « no deal » – l’absence d’accord sur le divorce – effraie à juste titre une part grandissante de la population, inquiète des pénuries qu’entraînerait une sortie brutale de l’UE.

Enfin, le retrait programmé du Royaume-Uni de l’Union européenne approche à grand pas – il sera amorcé fin mars 2019. Si le projet d’accord de Theresa May n’est pas ratifié par les parlementaires avant la mi-décembre, il semble très improbable, voire impossible, que l’accord de divorce avec l’UE puisse être remanié au cours du premier trimestre 2019. Les Britanniques devront alors se préparer à une sortie sans accord. À moins qu’ils ne revotent. Mais, pour l’instant, malgré l’allusion faite jeudi par Theresa May à la possibilité d’un « no Brexit » parmi les scénarios envisageables, l’organisation d’un nouveau vote reste hypothétique.

La force de Theresa May réside dans son extraordinaire résilience. Au cours des dernières 48 heures, elle a également révélé des trésors de patience insoupçonnés. Jeudi, la première ministre a passé trois heures à exposer calmement ses arguments en faveur du projet d’accord sur le Brexit aux députés courroucés. « Sur les bancs du Parlement, le filet de sécurité irlandais suscite des inquiétudes que je partage, a admis la locataire du 10 Downing Street. La décision n’a pas été facile à prendre mais elle est nécessaire, et elle serait nécessaire pour aboutir à n’importe quel accord. »

Jeudi soir, au terme d’« une journée un peu chargée », a-t-elle admis, la leader conservatrice a recommencé son travail de pédagogie au cours d’une conférence de presse donnée à Downing street. « Avec toutes les fibres de [s]on être », la cheffe de l’exécutif britannique a redit que le projet d’accord sur le Brexit était « dans l’intérêt national ». Ce matin, au saut du lit, la première ministre a pris une demi-heure pour répondre aux questions des auditeurs d’une radio privée.

D’habitude très mal à l’aise dans cet exercice d’improvisation, Theresa May est apparue sincère et chaleureuse. Plutôt que de se retrancher derrière des formules creuses comme elle l’a souvent fait dans le passé, la cheffe de l’exécutif a répondu aux interrogations des auditeurs sur le ton de la conversation.

Si l’accord de Theresa May « ne tient pas debout », dixit le leader de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn, la première ministre, elle, est bien campée sur ses deux jambes. La crise politique qu’elle traverse la fait même apparaître sous un jour plus avantageux – résolue sans être cassante, déterminée sans être sourde aux critiques.

Ce nouveau style permettra-t-il à Theresa May de se maintenir au pouvoir ? Le verdict pourrait tomber de manière imminente. Pour les médias britanniques ce matin, le vote de défiance réclamé par Jacob Rees-Mogg risquait de se dérouler dans la journée. Mais, selon Sky News, ils ne sont que 20 députés, à ce stade, à avoir envoyé une lettre réclamant un vote de défiance – en deçà du seuil des 48 élus nécessaires pour la tenue d’un tel vote.

La bonne nouvelle pour Theresa May est qu’en cas de vote, les élus pro-européens du parti conservateur ne semblent pas prêts à s’allier aux partisans les plus fanatiques du Brexit pour provoquer sa chute. Nicholas Soames, le petit-fils de Winston Churchill, envisage au contraire l’hypothétique vote de défiance comme l’occasion de battre en brèche Jacob Rees-Mogg et ses troupes. « Ce serait un honneur de clouer le bec au European Research Group [présidé par Jacob Rees-Mogg – ndlr], s’est enthousiasmé le député conservateur. Ces partisans d’une droite dure nuisent au parti depuis des années ».

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