Édition du 3 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Israël - Palestine

« Une hideuse atrocité » déclare Noam Chomsky à propos de l'assaut israélien contre Gaza et de l'appui américain à l'occupation (des territoires palestiniens).

Democracy now, Juan Gonzalez : Pour parler plus à fond de la crise à Gaza, nous joignons à Boston, M. Noam Chomsky le réputé dissident politique, linguiste, auteur et professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il y a enseigné pendant 50 ans. Il a écrit pendant les dernières décennies à propos du conflit israélo-palestinien.
Democracy Now, Amy Goodman : Il y a 40 ans ce mois-ci, M. Chomsky publiait Peace in the Middle East ? Reflexions on Justice and Nationhood. Son livre de 1983, The Fateful Triangle : The United States, Israël and the Palestinians, est reconnu comme un travail incomparable sur le conflit israélo-palestinien. (…)

M. Chomsky s.v.p. commentez ce qui vient de se passer (dans le conflit israélo-palestinien).
Noam Chomsky : C’est une hideuse atrocité, sadique, vicieuse, mortifère et sans aucun prétexte crédible que ce soit. C’est un épisode de plus dans les pratiques périodiques israéliennes que ses dirigeantEs nomment par la formule euphémique « tondre le gazon ». Cela veut dire tuer des poissons dans l’étang pour s’assurer que ceux qui restent se tiendront tranquille dans la cage dans laquelle vous les avez installés. Ensuite vous passez à une période dite de cessez-le-feu ce qui signifie que le Hamas l’observe pendant qu’Israël continue à le violer. Ensuite vient le bris par une escalade israélienne et la réaction du Hamas. Puis, vient une période de « tonte du gazon ». Cette dernière a été de bien des manières, plus sadique et vicieuse que celles qui l’ont précédée.

democratienow.org, 7 août 2014,

Traduction, Alexandra Cyr,

J.G. : Quels prétextes Israël a-t-il utilisés pour lancer ces attaques ? Pouvez-vous nous en parler ainsi que du degré de validité que vous leur accordez ?

N.C. : Comme un haut fonctionnaire israélien l’a admis, le Hamas a respecté le précédent cessez-le-feu pendant 19 mois. L’épisode précédent de « tonte du gazon » s’est passé en novembre 2012. Vint ensuite le cessez-le-feu. L’entente voulait que le Hamas ne lance pas de roquettes – ce qu’ils appellent roquettes- et Israël devait mettre fin au blocus et cesser d’attaquer ceux qu’ils nomment les militantsi. Le Hamas s’est conformé à cette entente. Israël l’a subi.

En avril dernier, il est arrivé un événement qui a terrifié Israël : le Hamas et le Fatah se sont entendus pour former un gouvernement d’unité. Depuis bien longtemps Israël travaille désespérément pour empêcher une telle situation. (…) Il était furieux. Et sa fureur a augmenté de beaucoup quand les États-Unis ont en quelque sorte endossé cet aboutissement dans le camp palestinien. Israël l’a reçu comme une grosse claque. Il s’est déchainé en Cisjordanie.
Le meurtre brutal de 3 jeunes colons a servi de prétexte. Ils ont prétendu, au point de départ, qu’ils étaient vivants alors qu’ils savaient très bien qu’ils étaient morts. …..Bien sûr le blâme a été attribué au Hamas. Il fallait qu’ils produisent au moins une ombre de preuve. Mais leurs plus hautes autorités savaient, dès le point de départ, qu’un groupe voyou d’Hébron le groupe Qawasmeh, étaient probablement les responsables. Il gravite autour du Hamas depuis des années mais il n’accepte pas ses ordres.

Quoi qu’il en soit, l’opportunité du déchainement en Cisjordanie était en place. Des centaines de personnes y ont été arrêtées, ceux et celles qui avaient été libéréEs ont été arrêtéEs de nouveau, la plupart proches du Hamas. Le nombre de mort a augmenté. Finalement, le Hamas a réagit : il a lancé ses soit disant roquettes. Et Israël a pu recommencer sa « tonte de gazon ».

A.G. : Vous avez dit que périodiquement, Israël recommence ce type d’exercice. Pourquoi ?

N.C.  : Parce qu’il veut maintenir un certain état de situation. Il faut voir le déroulement des choses. Depuis plus de 20 ans, Israël s’emploie, avec l’appui des États-Unis, à séparer Gaza de la Cisjordanie. C’est une violation directe des accords d’Oslo signés il y a 20 ans. Il statuait que la Cisjordanie et Gaza ne constituaient qu’un seul territoire dont l’intégrité devait être protégée. Mais, pour les États voyous, les ententes solennelles ne sont qu’une invitation à faire ce qu’ils veulent. Israël, toujours avec l’appui des États-Unis, s’est employé à les garder séparés.

Il y a une bonne raison pour cela. Regardez un peu la carte de ces territoires. Seule Gaza offre une sortie vers l’extérieur à un futur État palestinien. Si la Cisjordanie est séparée de Gaza elle est essentiellement emprisonnée : elle a Israël d’un côté et la dictature jordanienne de l’autre. Pire encore : Israël pousse les PalestinienNEs hors de la vallée du Jourdain en asséchant les puits, en installant les colonies. Il commence par donner le statut de zone militaire à des territoires puis il y installe des colonies. On connait cette histoire. Cela veut dire que le peu d’espaces qu’il laissera aux PalestinienNEs de Cisjordanie, après qu’il se sera accaparé ceux qu’il veut et les aura intégré à l’État israélien, sera une prison. Gaza représente une sortie vers le monde extérieur. Conséquemment, tenir ces deux entités séparées, est une politique de la première importance. C’est la politique israélienne et américaine.

L’accord (palestinien) d’unité est venu menacer cela et autre chose qu’Israël déclare depuis des années. Un de ses arguments pour refuser de négocier est de dire que les Palestiniens sont divisés. Pas moyen de négocier dans ces circonstances. Donc, s’ils ne le sont plus, l’argument ne tient plus. Mais le plus significatif c’est l’instrument géostratégique que je viens de décrire. Donc, l’accord d’unification était une réelle menace et sa timide approbation par les États-Unis en ajoutait. Israël a donc réagi immédiatement.

J.G. : …Vous dites qu’Israël veut maintenir le statu quo et continuer à changer la réalité sur le terrain en développant les colonies. Que dites vous des refus successifs des administrations américaines, les unes après les autres le l’expansion de la colonisation israélienne ? Elles s’opposent officiellement mais refusent aussi d’obliger Israël à discuter de ses politiques de colonisation.

N.C. : L’expression « opposition officielle » est plutôt exacte. (…) Il faut distinguer le discours et les actes et surtout, les discours et les actes des politiciens. Cela devrait être évident. Il est plutôt facile de voir comment les États-Unis sont engagés dans cette politique. Par exemple, en février 2011, le Conseil de sécurité de l’ONU a discuté d’une résolution qui demandait à Israël de mettre fin à l’expansion des colonies. Remarquez que l’expansion des colonies n’est pas le vrai problème. Le vrai problème ce sont les colonies ; elles sont, avec le développement des infrastructures une violation flagrante de la loi internationale. Cela a été établi par le Conseil de sécurité et la Cour internationale de justice. Pratiquement tous les pays au monde, sauf Israël le reconnaissent. C’était une résolution qui demandait la fin de l’expansion des colonies, donc conforme à la politique officielle des États-Unis. Qu’est-ce qui est arrivé ? Le Président Obama a opposé son véto. Cela en dit long.

Pire encore, l’avis officiel à Israël à propos de l’expansion des colonies était accompagné de ce qui s’appelle en diplomatie, « un clin d’œil ». C’est une remarque qui signifie qu’on ne parle pas vraiment sérieusement. Autre exemple : la condamnation de ce qu’ils appellent les récentes manifestations de violence de la part de toutes les parties, s’est accompagnée d’une livraison supplémentaire d’aide militaire à Israël qui comprend ce langage. Et c’est comme cela depuis les débuts (de cette relation). Quand Barack Obama a pris ses fonctions, il a répété les déclarations habituelles contre l’expansion de la colonisation. Au cours des conférences de presse, les porte paroles du pouvoir ont été interrogéEs au sujet de possibles actions de la part de M. Obama un peu comme M. G.W. Bush l’avait fait timidement, mais il avait tenté de bloquer cette expansion. Ils ont reçu comme réponse : « Non ce n’est que symbolique ». Cela donne l’heure juste au gouvernement israélien. Et en examinant de près les faits, vous verrez que l’aide militaire continue, que l’aide économique continue, que la protection diplomatique continue comme l’idéologie se poursuit aussi. Ce que je veux dire, c’est que la tâche de structuration des problèmes comme Israël l’exige, est prise en charge (par les É.U.). Et ça devient une sorte de tic, on répète : « Nous n’aimons pas cela et cela ne contribue pas à l’instauration de la paix ». Tous les gouvernements comprennent ce discours.

A.G. : Voici un extrait de la conférence de presse internationale d’hier du Premier ministre Nétanyahu :
« Le 15 juillet dernier, Israël a accepté le cessez –le-feu négocié par l’Égypte ; le Hamas l’a refusé. Je veux que vous sachiez que c’est à ce moment là que le nombre de victimes est passé à 185. Le Hamas a fini par accepter la proposition lundi soir seulement et le cessez-le-feu a pris effet mardi matin. Cela veut dire que 90%, tout un 90%, des victimes auraient pu être évitées si le Hamas avait accepté le cessez-le-feu dès le point de départ. Le Hamas doit être tenu responsable de ces tragiques pertes de vies ».
Noam Chomsky, pouvez-vous répondre à cette déclaration ?

N.C. : (…) une courte réponse et une réponse plus élaborée. La courte réponse est bien sûr que M. Netanyahu sais très bien que la proposition de cessez-le-feu a été élaborée par les militaires de la dictature égyptienne et Israël. Les deux sont très hostile au Hamas qui a appris ce projet par les médias sociaux ce qui l’a enragé naturellement. Il a déclaré qu’il n’accepterait pas cette proposition telle qu’élaborée. C’est donc la courte réponse étroite.
Si Israël avait respecté le cessez-le-feu à compter de novembre 2012, au lieu de constamment le violer pour ensuite augmenter la violence comme je l’ai décrit précédemment, dans le but d’empêcher la mise en place d’un gouvernement palestinien d’unité, ce sont 100% des pertes de vie qui auraient été évitées. Ça c’est la réponse élaborée, plus complète. Israël a persisté dans sa politique, celle de se saisir de tout ce qu’il veut en Cisjordanie, de la tenir séparée de Gaza, et de maintenir Gaza sous « diète » selon le fameux commentaire de Dov Weissglas.

Celui qui a négocié le soi-disant retrait de 2005 a souligné que l’objectif était de mettre fin à toute discussion à propos de quelque règlement politique que ce soit, de bloquer toute possibilité d’établissement d’un État palestinien. À partir de là, les Gazaouis seraient maintenuEs sous diète, c’est-à-dire qu’on leur donnerait juste assez de calories pour qu’ils et elles ne meurent pas –parce que ça ne serait pas positif pour la faiblissante réputation d’Israël – mais pas plus. Avec d’importantes capacités techniques ses expertEs ont calculé précisément combien de calories leur seraient nécessaires en temps de siège, coupéEs de toute exportation et de toute importation. Les pêcheurs peuvent aller en mer, les navires israéliens les repoussent vers le rivage. Ils n’ont pas accès à au moins un tiers de leurs terres arables. On appelle cela une « barrière » et c’est la norme. C’est la diète. Le gouvernement israélien veut les maintenir ainsi et séparéEs de la Cisjordanie. Il veut poursuivre son projet de saisie (je pourrais vous décrire les détails, ce n’est pas obscur) s’approprier les parties de la Cisjordanie qu’il veut intégrer à Israël et probablement avec une forme d’annexion quelconque aussi longtemps que les États-Unis l’appuient et bloquent tous les efforts internationaux pour arriver à un règlement politique.

J.G. : Noam, tout au long de ce mois, nous avons vu les images du carnage à Gaza, le monde entier les a vues. Quel jugement posez-vous quant à leur impact sur les relations épouvantables qui existent en ce moment entre les États-Unis le monde arabo-musulman ? Je pense spécialement aux jeunes musulmans et arabes partout dans le monde qui n’avaient peut-être pas été exposéEs aux atrocités antérieures du conflit israélo-palestinien.

N.C. : Premièrement, il faut distinguer entre les populations arabes et musulmanes et leurs gouvernements. Il y a là une énorme différence. La plupart de ces gouvernements sont des dictatures. Quand la presse déclare que les Arabes soutiennent ceci ou cela, ils parlent du soutient des dictateurs, pas de celui des populations. Les dictatures soutiennent modérément ce que les États-Unis et Israël font. J’inclus dans cela les militaires égyptiens qui forment une dictature brutale et l’Arabie saoudite. Elle est le plus proche allié des États-Unis dans la région et l’État islamique le plus radicalement fondamentaliste du monde. Il répand sa doctrine salafiste et wahabite partout dans le monde ; ce sont des doctrines d’un fondamentalisme extrême. Elle est l’allié principal des États-Unis depuis des années après avoir été celui des Britanniques. Ces deux dictatures ont préféré l’Islam radical à ce qu’ils percevaient comme les dangers du nationalisme séculier et de la démocratie. Ils supportent quelque peu le Hamas même s’ils ne l’aiment pas, ils le détestent. Ils n’ont aucun intérêt pour les PalestinienNEs. Ils tiennent un discours pour ne pas radicaliser leurs populations. Mais, encore une fois, il y a une différence entre les discours et les actes. Donc, ces dictatures ne sont pas interpelées par ce qui se passe en ce moment. Probablement qu’elles s’en réjouissent tranquillement.

La réaction des populations est totalement différente comme toujours. Par exemple, au moment des manifestations de la place Tahrir en Égypte qui ont fini par renverser le dictateur Moubarak, il y a eu un sondage international mené par des agences américaines de haut niveau. Il montrait qu’environ 80% de la population égyptienne jugeait qu’Israël et les États-Unis constituaient la menace principale. De fait, cette condamnation des États-Unis et de ses politiques était si importante qu’une majorité considérait que, même si elle n’aimait pas l’Iran, elle se sentirait plus en sécurité s’il avait des armes nucléaires. Si vous examinez les sondages au fil des ans, ils ont tendance à varier autour de cet axe. Ça ce sont les populations (de la région). Et bien sûr, ailleurs les populations musulmanes réagissent de la même manière. Et ce ne sont pas que les populations musulmanes. Par exemple, il y a eu une manifestation récemment à Londres. Il y avait des centaines de milliers de personnes environ. C’était une grande manifestation contre les atrocités commises à Gaza. Et cela se passe ailleurs dans le monde. Il faut s’en souvenir. Il y a quelques années, Israël était un des pays les plus admiré du monde. Maintenant c’en est un des plus craint et méprisé qui soient. Ses propagandistes aiment à dire que ce sont des manifestations d’antisémitisme. Il y a surement une dose d’antisémitisme dans ces actions, mais se sont les actes d’Israël qui les provoquent. Ce sont des réactions à ses politiques. Et aussi longtemps qu’il persistera avec ces politiques, c’est ce qu’il récoltera.

C’est tout-à-fait clair depuis les années soixante-dix. J’ai écrit à ce sujet depuis cette époque, mais c’est si évident que je n’en demande pas de reconnaissance. En 1971, Israël a pris une décision fatidique, probablement la plus fatidique qu’il ait jamais pris. Le Président Sadate d’Égypte a offert de faire la paix avec Israël en contre partie de l’évacuation du Sinaï. Le Parti travailliste détenait le pouvoir à ce moment ; le Parti travailliste soit disant modéré. L’offre a été considérée puis rejetée. Il y avait un plan de développement important pour le Sinaï. On devait y construire une très grande ville sur les bords de la Méditerranée avec des douzaines de colonies, des kibboutz, d’autres installations avec d’énormes infrastructures. Cela voulait dire de déloger des dizaines de milliers de BédouinEs hors de ce territoire, de détruire leurs villages etc. C’étaient les plans et ils allaient être exécutés. Israël a pris la décision de l’expansion aux dépends de la sécurité. Un traité de paix avec l’Égypte représentait la sécurité ; elle est la seule nation du monde arabe à avoir une force armée significative. C’est ce genre de politique qui prévaut depuis tout ce temps.

Poursuivre une politique de répression et d’expansion aux dépends de la sécurité induit des conséquences : le moral de la nation va s’en ressentir et l’opposition, la rancœur et l’hostilité vont se développer chez les populations vivant hors du pays. Vous conserverez peut-être le soutient des dictateurs et celui des administrations américaines mais, vous allez perdre celui des populations. Il y a un prix à payer pour cela. On peut prédire, (en fait dans les années 70, moi et d’autres l’avons prédit) ; je vais me citer : « ceux qui se disent les supporters d’Israël sont en fait les supporters de sa dégénérescence morale de son isolement international et très possiblement de sa destruction finale ». C’est ce qui est en train d’arriver.
Ce n’est pas le seul exemple dans l’histoire. Il y a beaucoup d’analogies à faire avec l’Afrique du Sud et qui me paraissent plutôt évidentes. Il y en a une qui me semble plus réaliste et qui n’est guère discutée. Pourtant ce devrait l’être. En 1958, le gouvernement nationaliste sud africain qui imposait le dur régime d’apartheid a reconnu qu’il était en voie de s’isoler sur la scène internationale. Nous savons maintenant, grâce à des documents rendus publics, que le ministre des affaires étrangères d’Afrique du Sud a appelé l’ambassadeur américain dans le pays. Essentiellement, il lui a dit : « Nous sommes en voie de devenir un État paria. Nous perdons, tous votent contre nous aux Nations Unies. Nous sommes de plus en plus isolés. Mais ça n’a pas vraiment d’importance parce que seule votre voie compte. Aussi longtemps que vous nous appuyez ce que le monde peut bien penser a peu d’importance ». Ce n’était pas une erreur de vision. Si vous vous arrêtez sur ce qui c’est passé par la suite, au fil des ans, vous constatez que l’opposition à l’Afrique du sud et à l’apartheid a été en augmentant et en se développant. Les Nations Unies ont décrété un embargo sur les armes, les sanctions ont commencé de même que les boycotts. La situation était devenue si extrême au cours des années quatre-vingt, que même le Congrès américain adoptait des sanctions. Le Président Reagan y a apposé son véto Le Congrès les a adoptées à nouveau ce qui l’a forcé à les violer. Il a été le dernier appui à ce régime d’apartheid. Aussi tard qu’en 1988, l’administration Reagan a encore eut un sursaut en déclarant l’ANC (African National Congress), le parti de Nelson Mandela, le groupe le plus notoirement terroriste dans le monde. Donc, les États-Unis continuaient à soutenir l’Afrique du sud. Ils soutenaient aussi, au même moment l’Unita, le groupe terroriste d’Angola. Finalement, ils ont fini par rejoindre le reste du monde et très vite, le régime d’apartheid s’est effondré.

Ce qui se passe avec Israël n’est en aucune façon semblable. Il y avait d’autres raisons pour que le régime d’apartheid s’effondre. L’une d’elles était qu’il y avait une proposition de règlement acceptable à l’Afrique du sud et au monde des affaires international. Une proposition simple : sauvegardons le système socioéconomique et permettons –métaphoriquement dit- permettons aux noirs, à certains noirs de se promener en limousines. C’était le règlement proposé et c’est, en gros, ce qui s’est passé, même si ce n’est pas complètement. Il n’y a aucun règlement de la sorte sur la table entre Israël et les PalestinienNEs. (…)

A.G. : (…) Je veux vous faire entendre le Président Obama lors de sa conférence de presse à Washington :
« À long terme, il faut qu’il soit reconnu que Gaza ne peut être maintenu complètement coupé du monde, rendu incapable de fournir des ouvertures en matière d’emploi, de croissance économique à sa population particulièrement dense et jeune. Il faut que nous arrivions à voir un mouvement vers des opportunités en faveur du peuple gazaouis. Je n’ai aucune sympathie pour le Hamas. J’ai une grande sympathie pour le commun des mortels qui se débat pour survivre à Gaza ».
(…) M. Chomsky, pouvez-vous réagir s.v.p.?

N.C.  : He ! bien, comme toujours, pour ce qui concerne les États et les dirigeantEs politiques, il faut faire la différence entre les mots et les actes. Ils ont tous et toutes des discours « aimables ». Même Hitler et Staline en avaient. Ce qu’il faut se demander, c’est : « Que font-ils » ?

Donc, qu’est-ce que M. Obama avance comme moyen pour venir à bout du siège, du blocus américano-isralien contre Gaza qui est à la source de la situation actuelle ? Qu’a-t-il fait dans le passé ? Qu’est-ce qu’il propose pour le futur ? Les États-Unis pourraient facilement agir immédiatement sur certains aspects. Encore une fois, même si je ne veux pas coller à l’analogie avec l’Afrique du sud, il y a là des indications intéressantes. Et ce n’est pas le seul cas. La même chose est survenue au Timor oriental. Les États-Unis et son président, M. Clinton, ont finalement dit aux militaires indonésiens : « La partie est finie » ! Ils se sont retirés immédiatement. Le pouvoir américain est déterminant. Avec Israël, c’est fondamental compte tenu qu’il compte sur l’appui unilatéral des États-Unis. Il y a toutes sortes de choses que les Américains pourraient faire pour mettre en action ce dont parle M. Obama. (…) parce que quand les États-Unis donnent des ordres, Israël obéit. Ça s’est produit de multiples fois déjà. Donc il y a des choses qui peuvent être faites. Ms G.W.Bush, Clinton et Reagan en ont fait ; les États-Unis pourraient intervenir à nouveau. Nous saurions alors si ces mots que nous venons d’entendre ne sont rien d’autre qu’un gentil discours.

J.G. : Parlant de distinguer les paroles et les actes : Israël clame avec insistance qu’il n’occupe plus Gaza. Récemment, nous avons parlé à M. Joshua Hartman, premier conseiller auprès de l’ambassadeur israélien aux États-Unis et ancien porte-parole du ministère de la défense israélien. Il nous disait : « Israël a évacué la bande de Gaza en 2005. Nous avons fait évacuer toutes les colonies. Les forces militaires se sont retirées. Nous avons obligé 10,000 juifs à quitter leurs maisons en guise de pas vers la paix. Parce que Israël veut la paix et il a fait des pas en ce sens ». Qu’en dites- vous ?

N.C.  : Il y a là plusieurs aspects. Premièrement, les Nations Unies, tous les pays du monde les États-Unis compris considèrent Israël comme une puissance occupante et cela pour diverses raisons : il contrôle tout là-bas, les frontières, la terre, la mer et les airs. Il décide de qui entre et ce qui sort de Gaza, de combien de calories les enfants gazaouis ont besoin pour ne pas mourir sans se développer normalement. C’est l’occupation selon la loi internationale et personne ne questionne cette situation en dehors d’Israël. Même les États-Unis sont d’accord ; ils ne questionnent pas. Dans ces conditions, nous cessons toute discussion sur leur statut d’occupant.

Pour ce qui concerne le désir de paix, il faut analyser le soit disant retrait (de 2005). N’oubliez pas que ça n’a pas fait d’Israël un non occupant. À ce moment-là, les faucons israéliens avec M. Ariel Sharon comme leader, (le faucon pragmatique), ont reconnu que maintenir quelques milliers de colons dans Gaza dévasté, d’y affecter une part importante des forces armées pour les protéger, de dépenser encore pour diviser Gaza en diverses parties etc., n’avait plus aucun sens. Sortir les colons des installations subventionnées où ils résidaient illégalement et les transférer dans d’autres colonies tout aussi illégales et subventionnées en Cisjordanie, mais dans des lieux qu’Israël veut conserver, avait bien plus de sens. Ce n’était qu’une décision pragmatique.

Et c’était facile à faire. Ils pouvaient simplement informer les colons qu’au premier août, les militaires allaient se retirer et à ce moment-là, les colons seraient montés dans les camions qui leur étaient fournis et se seraient dirigés vers les colonies de Cisjordanie et même sur les hauteurs du Golan. Mais ils ont décidé d’en faire un « trauma national ». Donc nous avons assisté à la dramatisation du « trauma national ». Les principaux spécialistes du pays comme le sociologue Baruch Kimmerling, ont tourné cela en ridicule. Mais la dramatisation a permis de montrer un petit garçon suppliant les soldats de ne pas détruire sa maison et de publiciser le slogan : « Plus jamais ça » ! Ce qui veut dire, ne nous obligez plus jamais à quitter quoi que ce soit, en référant avant tout à la Cisjordanie. C’était particulièrement ridicule parce que c’était une répétition de ce qu’Israël nomme le « trauma national de 1982 ». Le même scénario avait été organisé lors du retrait de Yamit, la ville qui avait été construite illégalement dans le Sinaï. Mais, l’occupation continue, ils persistent.

Je vais répéter ce que M. Weissglas à dit. Rappelez-vous ; il était le négociateur face aux États-Unis, le confident d’Areil Sharon. Il a déclaré que l’objectif du retrait était de mettre fin aux négociations sur un éventuel État palestinien et les droits Palestiniens ; elles devaient s’arrêter, être gelées avec l’appui des États-Unis. S’en est suivi l’imposition de la diète aux Gazaouis qui leur permet de vivre mais pas de s’épanouir et le siège. Dans les semaines qui ont suivi le soit disant retrait, Israël y a accentué les attaques et imposé des sanctions sévères toujours appuyé par les États-Unis. Ce sont les élections libres qui ont eut lieu en Palestine avec leur résultat contraire aux attentes israéliennes qui ont provoqué ces réactions. Israël et les États-Unis disent vouloir la démocratie mais il faut que les élections donnent les résultats qui leur conviennent. Donc, les dures sanctions ont été imposées (à Gaza) instantanément par les deux pays. Les attaques ne se sont jamais arrêtées et sont allées en augmentant. Pour sa grande honte, l’Europe s’y est associée. Immédiatement également, les deux pays ont commencé à planifier un coup militaire pour renverser ce nouveau gouvernement. Quand le Hamas a eut vent de ce coup projeté, ce fut la furie en Israël et aux États-Unis. Les attaques militaires ont augmenté. Et nous sommes passés à ce dont nous venons de discuter, les épisodes de « tonte du gazon ».
(…)

A.G. : …en ce moment beaucoup de médias américains disent que les États-Unis sont marginalisés parce que c’est l’Égypte qui mène les négociations. Qu’est-ce qui devrait se passer maintenant ? La trêve va se terminer dans quelques heures si elle n’est pas reconduite. Quel genre de trêve doit être mise en place en ce moment ?

N.C. : En ce moment, Israël appuyé par les États-Unis, est dans une situation gagnante sous tous rapports. Si le Hamas accepte une prolongation du cessez-le-feu il peut poursuivre ses politiques habituelles, celles dont j’ai parlé plus tôt : saisir ce qu’il vise en Cisjordanie, la séparer de Gaza, maintenir les Gazaouis sous diète etc. Si le Hamas refuse, M. Netanyahu pourra faire un nouveau discours aussi cynique que celui dont vous avez diffusé un extrait plus tôt. Une seule chose peut changer la situation : c’est que les États-Unis changent de politique comme ils l’ont fait dans d’autres cas dans le passé, dont ceux dont j’ai parlé, l’Afrique du sud et le Timor oridental. Cela ferait la différence. Le changement dans la situation repose sur cela. Depuis 40 ans, les États-Unis ont presque toujours supporté Israël qui refuse toujours d’entrer dans le consensus dominant dans le monde en faveur de la création des deux États.
(…)

Sur le même thème : Israël - Palestine

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...