Édition du 5 novembre 2024

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Israël - Palestine

Gaza : « Anatomie d’un génocide » 7 avril 2024

La semaine dernière, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, a publié un rapport intitulé « Anatomie d’un génocide », car il existe des « motifs raisonnables de croire » que le seuil de perpétration d’un crime de génocide a été atteint.

Par les Artistes pour la Paix – P.J.
http://www.artistespourlapaix.org/gaza-anatomie-dun-genocide-7-avril-2024/

Wikipédia décrit ainsi madame Albanese : née en 1977, elle est nommée le 1er mai 2022 rapporteur spécial des Nations unies sur les territoires palestiniens, pour un mandat de trois ans. Dans son premier rapport, elle recommande que les États membres de l’ONU élaborent « un plan pour mettre fin à l’occupation coloniale israélienne et au régime d’apartheid ». Elle critique l’inaction sur cette question, décrivant les États-Unis comme « subjugués par le lobby juif » et l’Europe par un « sentiment de culpabilité à l’égard de l’Holocauste », arguant que tous deux « condamnent les opprimés » dans le conflit. Pendant la guerre Hamas-Tsahal, Francesca Albanese appelle à un cessez-le-feu immédiat, avertissant que « les Palestiniens courent le grave danger d’un nettoyage ethnique de masse, que la communauté internationale doit « prévenir et protéger les populations des crimes d’atrocité », et que « la responsabilité des crimes internationaux commis par les forces d’occupation israéliennes et le Hamas doit également être immédiatement recherchée ».

Titulaire d’une licence en droit avec mention de l’Université de Pise et d’un master en droits de l’homme de l’université SOAS de Londres, elle termine son doctorat en droit international des réfugiés à la faculté de droit de l’université d’Amsterdam. Chercheuse affiliée à l’Institut pour l’étude des migrations internationales de l’université de Georgetown, conseillère principale sur les migrations et les déplacements forcés auprès de l’organisation à but non lucratif Arab Renaissance for Democracy and Development (ARDD) et chercheuse à l’Institut international d’études sociales de l’université Érasme de Rotterdam, elle rédige en 2020, avec Lex Takkenberg, l’ouvrage Palestinian Refugees in International Law. Francesca Albanese a travaillé pendant une décennie en tant qu’experte en droits de l’homme pour l’Organisation des Nations unies (ONU).

Journaliste, musicien, chef d’orchestre et écrivain juif, Jonathan Ofir a guidé notre lecture du rapport que les médias occidentaux camouflent, comme tout ce qui provient de l’ONU, ce que nous dénonçons sans relâche. Il est à noter que la rapporteuse condamne les crimes commis par le Hamas le 7 octobre en Israël, mais ils ont été commis en dehors de la zone géographique couverte par son mandat, comme le sont aussi la Cisjordanie et Jérusalem Est.

« Après cinq mois d’opérations militaires, Israël a détruit Gaza. Plus de 30 000 Palestiniens ont été tués, dont plus de 13 000 enfants. Plus de 12 000 personnes sont présumées mortes et 71 000 blessées, dont beaucoup ont subi des mutilations qui ont changé leur vie. Soixante-dix pour cent des zones résidentielles ont été détruites. Quatre-vingts pour cent de l’ensemble de la population a été déplacée de force. Des milliers de familles ont perdu des êtres chers ou ont été anéanties. Nombre d’entre eux n’ont pas pu enterrer et faire le deuil de leurs proches, contraints de laisser leurs corps en décomposition dans les maisons, dans la rue ou sous les décombres. Des milliers de personnes ont été arrêtées et systématiquement soumises à des traitements inhumains et dégradants. Le traumatisme collectif incalculable sera vécu pour les générations à venir. »

Albanese décrit les trois aspects essentiels du crime de génocide commis par Israël : le meurtre de membres d’un groupe spécifique de personnes, l’atteinte à leur intégrité physique ou mentale et la destruction volontaire de leurs conditions de vie. Le rapport comporte également une section consacrée à l’intention, qui recense une partie des innombrables déclarations génocidaires des dirigeants israéliens. Constituant presque la moitié du rapport (points 55-92, sur 97 points), se trouve une section consacrée au « camouflage humanitaire : déformer les lois de la guerre pour dissimuler l’intention génocidaire ». Cette section est subdivisée en cinq thèmes centraux :

1-Les boucliers humains et la logique du génocide.
2-Transformer l’ensemble de la bande de Gaza en « objectif militaire ».
3-Les tueries aveugles qualifiées de « dommages collatéraux ».
4-Les évacuations et les zones de sécurité.
5-La protection médicale.

Albanese démontre comment les trois principes centraux du droit international humanitaire – distinction, proportionnalité et précaution – ont été détournés par Israël dans le but de fournir un voile juridique à des actes illégaux et arbitraires. « Les attaques indiscriminées, qui ne distinguent pas les cibles militaires des personnes et des objets protégés, ne peuvent jamais être proportionnées et sont toujours illégales. Depuis le 7 octobre, les Palestiniens ont été « décivilisés » en utilisant des concepts du droit humanitaire international tels que les boucliers humains, les dommages collatéraux, les zones de sécurité, les évacuations et la protection médicale d’une manière si arbitraire et permissive qu’elle a vidé ces concepts de leur contenu normatif, subverti leur objectif de protection et érodé finalement la distinction entre les civils et les combattants dans les actions israéliennes à Gaza. (...) Les hauts responsables politiques et militaires d’Israël ont présenté systématiquement les civils comme des agents du Hamas, des « complices » ou des boucliers humains qui protègent le Hamas. Le droit international ne permet pas d’affirmer de manière générale qu’une force adverse utilise l’ensemble de la population comme boucliers humains en bloc. Cette accusation est donc un simple prétexte pour justifier le meurtre de civils sous le couvert d’une prétendue légalité, des meurtres perpétrés à une telle échelle que l’intention génocidaire ne peut faire de doute. »

Nettoyage ethnique des civils, déclarés « dommages collatéraux ».

Le droit international stipule que les attaques doivent être « strictement limitées » à des cibles qui « doivent offrir un avantage militaire certain ». Mais, note Albanese, «  Israël a détourné cette règle pour ‘militariser’ les objets civils et ce qui les entoure, justifiant ainsi leur destruction aveugle ». Ainsi, «  la population civile de Gaza et les infrastructures sont considérées comme des obstacles situés au milieu, devant ou au-dessus des cibles [...et] Israël considère tout objet qui aurait été ou pourrait être utilisé militairement comme une cible légitime, de sorte que des quartiers entiers peuvent être rasés ou démolis sous une apparence de légalité ».

Israël cherche à dissimuler le ciblage à grande échelle des civils en les qualifiant de « dommages collatéraux ». « L’ordre d’évacuation massive du 13 octobre – lorsque 1,1 million de Palestiniens ont reçu l’ordre d’évacuer le nord de Gaza en 24 heures vers des ‘zones de sécurité’ désignées par Israël dans le sud - [...], au lieu d’accroître la sécurité des civils, l’ampleur même des évacuations au milieu d’une campagne de bombardements intense et le système de zones de sécurité communiqué de manière désordonnée, ainsi que les coupures de communication prolongées, ont accru les niveaux de panique, les déplacements forcés et les tueries de masse. Lorsque les habitants du nord ont été évacués vers le sud, Israël a illégalement classé les habitants du nord de la bande de Gaza qui étaient restés (y compris les malades et les blessés) comme « boucliers humains » et « complices du terrorisme », transformant ainsi des centaines de milliers de civils en cibles militaires.

Et les zones de sécurité n’étaient pas sûres non plus : «  L’effacement des protections civiles dans la zone évacuée a été combiné à un ciblage aveugle des personnes évacuées et des habitants des zones désignées comme sûres… Sur les quelque 500 bombes de 2 000 livres larguées par Israël au cours des six premières semaines d’hostilités, 42 % ont été déployées dans les zones désignées comme sûres dans les régions méridionales  ». « En d’autres termes », résume Albanese, les « zones de sécurité » ont été « délibérément transformées en zones de massacres ».

Il s’agit d’un outil de nettoyage ethnique : « Le schéma des meurtres de civils qui ont été évacués vers le sud, associé aux déclarations de certains Israéliens de haut rang affirmant leur intention de déplacer de force les Palestiniens hors de Gaza et de les remplacer par des colons israéliens, permet de déduire raisonnablement que les ordres d’évacuation et les zones de sécurité ont été utilisés comme des outils génocidaires pour parvenir à un nettoyage ethnique.
 »
«  Les médias ont contesté les allégations d’Israël selon lesquelles le Hamas utilisait les hôpitaux comme boucliers, affirmant qu’il n’y avait aucune preuve que les pièces reliées à l’hôpital avaient été utilisées par le Hamas ; les bâtiments de l’hôpital (contrairement aux images 3D de l’armée israélienne) n’étaient pas reliés au réseau de tunnels. Que les accusations d’Israël concernant la protection de l’hôpital d’Al-Shifa soient vraies ou non – ce qui reste à prouver -, les civils dans les hôpitaux auraient dû être protégés et ne pas être soumis à un siège et à une attaque militaire ».

L’Organisation mondiale de la santé avait signalé à la mi-novembre qu’une « catastrophe de santé publique » se développait à Gaza, 26 des 35 hôpitaux n’étant plus opérationnels en raison des bombardements et du siège d’Israël. Deuxièmement, Israël savait que son opération militaire faisait un nombre important de blessés. Les traumatismes physiques constituent la principale cause de surmortalité à Gaza. Il était prévisible que la suspension forcée des services du plus grand hôpital de Gaza porterait gravement atteinte aux chances de survie des blessés, des malades chroniques et des nouveau-nés en couveuse. Par conséquent, en prenant pour cible l’hôpital Al-Shifa, Israël a sciemment condamné des milliers de malades et de personnes déplacées à des souffrances et à une mort qui auraient pu être évitées ».

Conclusions et recommandations du rapport

1- Constats : « La nature et l’ampleur écrasantes de l’assaut israélien sur Gaza et les
conditions de vie destructrices qu’il a infligées révèlent une intention de détruire physiquement les Palestiniens en tant que groupe. Israël a cherché à dissimuler sa conduite génocidaire des hostilités, en utilisant le droit humanitaire international pour couvrir ses crimes. En détournant les règles coutumières du droit international humanitaire, notamment la distinction, la proportionnalité et les précautions, Israël a de facto traité tout un groupe comme ‘terroriste’ ou ‘soutenant le terrorisme’, transformant ainsi tout et tout le monde en cible ou en dommage collatéral, donc éliminable ou destructible »
.
2- Historique : «  Le génocide perpétré par Israël contre les Palestiniens de Gaza est une
escalade d’un processus d’effacement colonial d’un peuple autochtone qui remonte à loin. Depuis plus de sept décennies, Israël étouffe le peuple palestinien en tant que groupe – démographiquement, culturellement, économiquement et politiquement – en le déplaçant, en l’expropriant et en contrôlant ses terres et ses ressources. La Nakba en cours doit être arrêtée et réparée une fois pour toutes. C’est un impératif que l’on doit aux victimes de cette tragédie qui aurait pu être évitée, ainsi qu’aux générations futures de ce pays
 ».
3- Les deux derniers points (96-97) du rapport portent sur ce que la communauté
internationale peut et même doit faire, pour éviter ce génocide. « La rapporteuse exhorte les États membres à faire respecter l’interdiction du génocide conformément à leurs obligations auxquelles ils ne peuvent se soustraire. Israël et les États qui se sont rendus complices de ce que l’on peut raisonnablement considérer comme un génocide doivent rendre des comptes et indemniser le peuple palestinien à la hauteur de la destruction, de la mort et du préjudice infligés ».
Les moyens à disposition : les Artistes pour la Paix en ont appliqué les principaux en alertant la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly :
 Mettre en œuvre immédiatement un embargo sur les armes à destination d’Israël, ainsi que d’autres mesures économiques et politiques nécessaires pour garantir un cessez-le-feu immédiat et durable, y compris des sanctions.
 Soutenir la plainte de l’Afrique du Sud auprès de la CIJ qui accuse Israël de génocide.
 Garantir une « enquête approfondie, indépendante et transparente » sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, y compris des missions d’enquête internationales, en saisissant la Cour pénale internationale et en appliquant la compétence universelle.
 Qu’Israël et les autres États complices du génocide s’engagent à ne pas récidiver et à payer l’intégralité du coût de la reconstruction de Gaza.
 S’attaquer aux causes profondes par l’intermédiaire des Nations unies, notamment en reconstituant le Comité spécial des Nations Unies contre l’apartheid.
 À court terme, déployer «  une présence internationale protectrice pour limiter la violence régulièrement utilisée contre les Palestiniens dans le territoire palestinien occupé  ».
 Garantir l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens qui a fait l’objet d’une campagne de propagande israélienne visant à empêcher son financement.

Enfin, Albanese appelle le Haut-Commissariat aux droits de l’homme à «  intensifier ses efforts pour mettre fin aux atrocités actuelles à Gaza, notamment en promouvant et en appliquant avec précision le droit international, en particulier la Convention sur le génocide, dans le contexte de l’ensemble du territoire palestinien occupé ».

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