Édition du 23 avril 2024

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Amérique latine

Venezuela - Les effets de la surévaluation du bolivar et de la dévaluation

Des élections législatives sont prévues le 26 septembre prochain au Venezuela. Le scrutin vise à élire la nouvelle Assemblée nationale. Presse-toi à gauche poursuit la publication d’une série d’articles sur le pays et le processus en cours. Le pays que plusieurs voient comme le laboratoire du socialisme du XXIe siècle connaît des avancées mais aussi plusieurs situations contradictoires. Nous souhaitons que les prochains témoignages pourront éclairer davantage une situation cruciale pour l’avenir du mouvement anticapitaliste. Cette semaine :les effets de la politique monétaire sur l’économie du Venezuela.

Bien que l’État tente de mettre en oeuvre une politique de développement endogène, tourné vers la satisfaction de la demande intérieure par une augmentation de la production réalisée à l’intérieur du pays, la manière dont s’opère la redistribution de la rente pétrolière, combinée à la surévaluation du bolivar, tend à renforcer le secteur capitaliste et ses tendances à l’importation.

Au Venezuela, depuis 2003, les entreprises qui veulent importer des marchandises et des services doivent acheter des dollars à une administration de l’État appelée Cadivi. Cette mesure de lutte contre la fuite des capitaux est utile. Le problème, c’est que le taux de change entre le bolivar et le dollar a surestimé la valeur du premier. Cela a renforcé un comportement pervers : en effet, pour un capitaliste qui dispose de bolivars en grande quantité, il est plus rentable d’échanger ceux-ci contre des dollars vendus bon marché par l’État et d’importer des produits venant des États-Unis ou d’ailleurs, plutôt que de les investir dans l’appareil productif du pays.

La politique du bolivar surévalué a inhibé l’investissement productif et a favorisé l’activité commerciale tournée vers l’importation frénétique de marchandises et la vente de celles-ci via les grands réseaux privés de distribution. Cette importation massive est de fait subventionnée par l’État puisque celui-ci vend au secteur privé des dollars bon marché qu’il a accumulés grâce à l’exportation de pétrole. Le bolivar surévalué et le haut niveau d’importation qu’il permet, augmentent le taux d’inflation qui est particulièrement élevé ces dernières années au Venezuela (plus de 25 % en 2009). Cette inflation rogne les augmentations de salaires décidées par le gouvernement ou conquises par la lutte des travailleurs.

Exemple des effets négatifs de cette politique du bolivar surévalué et des cadeaux du gouvernement aux banques privées : l’État vénézuélien a acheté des titres de la dette émis par l’Argentine en 2004-2005. Le problème c’est qu’il a vendu une partie de ces titres argentins, qui étaient libellés en dollars, aux banques privées. Elles les ont achetés en bolivars au taux de change officiel surévalué. Un grand nombre d’entre elles ont vendu aux États-Unis ces titres argentins contre des dollars. Cela leur a permis de contourner le contrôle qu’exerce l’État vénézuélien sur les mouvements de sortie de capitaux. En effet, officiellement, elles n’ont pas exporté de capitaux, elles n’ont fait que sortir du pays des titres de la dette argentine.

Depuis lors, les cadeaux de l’État aux banques privées ont continué selon la même astuce. L’entreprise pétrolière PDVSA, et d’autres entités publiques, émettent des titres de la dette publique libellés en dollars. Ces titres sont achetés avec des bolivars par les banques vénézuéliennes au taux de change officiel. Ensuite elles revendent une partie de ceux-ci sur le marché international contre des dollars (1). Bref, la politique de l’État a deux conséquences négatives : premièrement, elle permet la fuite des capitaux sous une forme détournée et parfaitement légale ; deuxièmement, elle favorise le comportement rentier des banques (l’achat de titres de la dette) aux dépens de l’investissement productif.

Bien que l’État tente de mettre en oeuvre une politique de développement endogène, tourné vers la satisfaction de la demande intérieure par une augmentation de la production réalisée à l’intérieur du pays, la manière dont s’opère la redistribution de la rente pétrolière, combinée à la surévaluation du bolivar, tend à renforcer le secteur capitaliste et ses tendances à l’importation.

Les effets de la dévaluation

En janvier 2010, le gouvernement a mis en oeuvre une dévaluation. En quoi consiste-t-elle ?

Deux cours officiels de la monnaie ont été instaurés : le premier représente une dévaluation de 21 % du bolivar par rapport au dollar (au lieu de 2,15 bolivars, il faut dorénavant 2,6 bolivars pour se procurer un dollar) ; le deuxième cours représente une dévaluation de 100 % (il faut payer 4,3 bolivars pour un dollar au lieu de 2,15 bolivars).

Le premier cours (2,6 bolivars pour 1 dollar) est en vigueur pour des achats considérés comme vitaux ou en tout cas prioritaires : importation d’aliments, de médicaments, de technologies, d’équipements pour la production industrielle ou agricole, les importations réalisées par le secteur public, le paiement des bourses aux étudiants vénézuéliens à l’étranger, le versement des pensions aux retraités résidant à l’extérieur du pays. Le second cours (4,3 bolivars pour 1 dollar) est appliqué pour l’importation d’automobiles, de boissons, de tabac, de téléphones portables, d’ordinateurs, d’électroménagers, de textiles, de produits chimiques et métallurgiques, du caoutchouc…

A court terme, cette dévaluation va augmenter les recettes fiscales de l’État. Les dollars que procure à l’État la vente du pétrole à l’étranger seront vendus contre une quantité plus importante de bolivars. C’est certainement un des objectifs principaux poursuivis par le gouvernement qui a vu fondre ses recettes fiscales en raison de l’impact de la crise internationale sur l’économie du pays. Mais attention, l’État vénézuélien n’est pas gagnant à tous les coups. Le remboursement de la dette publique, dont 67,8 % est libellée en dollars, va coûter plus cher au gouvernement. Les banquiers vénézuéliens, et les autres capitalistes qui ont acheté des titres de la dette libellés en dollars, vont s’enrichir une fois de plus.

Il y a bien sûr d’autres conséquences : pour les travailleurs et tous ceux qui ont de faibles revenus et qui ne les perçoivent qu’en monnaie nationale, la dévaluation signifie une perte de pouvoir d’achat car le coût des produits qu’ils consomment a augmenté dans la mesure où une grande partie de ceux-ci sont importés ou sont fabriqués dans le pays mais avec une composante importante de produits importés. Les importateurs, les commerçants, les fabricants vont répercuter dans le prix de vente aux consommateurs les coûts additionnels qu’eux-mêmes vont subir. Cette perte de pouvoir d’achat ne peut être limitée ou annulée que si les salaires augmentent proportionnellement au coût de la vie, ce qui n’est pas le cas. Hugo Chavez a décrété le 1er mai 2010 une augmentation de 15 % du salaire minimum et des retraites mais, comme on l’a vu, l’inflation avait atteint 25 % en 2009 et ce chiffre sera probablement dépassé au cours de l’année 2010.

Cette dévaluation vise des objectifs à plus long terme mais il est hasardeux de se prononcer sur la possibilité de les atteindre. Parmi ces objectifs, la promotion de la substitution d’importation est certainement le plus important. Dans la mesure où importer coûte dorénavant 21 % ou 100 % plus cher (selon le type de produits importés), les importations devraient baisser et les producteurs locaux devraient être dans une meilleure position pour écouler leur production sur le marché national. Mieux : la dévaluation devrait les convaincre qu’il est rentable de produire une partie de ce qui auparavant était importé. Cela pourrait générer un cercle vertueux par lequel le pays renforcerait sa base industrielle et sa production agricole en substituant des produits locaux à ceux qui viennent de l’étranger. •

* Éric Toussaint, président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM), est membre du Comité international de la IVe Internationale et militant de sa section belge (LCR-SAP).

1. Les journaux financiers étrangers The Economist et le Financial Times soulignent régulièrement que les banques privées vénézuéliennes sont très contentes de cette possibilité offerte par l’État de contourner le contrôle sur les mouvements de capitaux.

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