Édition du 16 avril 2024

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Politique québécoise

À Québec, les itinérantEs sont répriméEs à coup de tickets et ne disposent pas des moyens pour se défendre

La ligue des droits et libertés rendait publique jeudi dernier une étude sur les excès policier vis-à-vis les personnes en situation d’itinérance dans la région de Québec. Le phénomène de la judiciarisation des personnes marginalisées n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années, le service de police de la Ville de Québec distribue les avis d’infraction chez les jeunes punk, les personnes identifiés comme sans-abris ou, plus récemment, les carrés rouges.

Un phénomène documenté

Déjà en 2008, le Barreau du Québec déclarait qu’il « déplore par ailleurs la judiciarisation de l’itinérance, soit la propension à recourir au système judiciaire, et au droit pénal en particulier, dans la résolution des conflits liés aux personnes en situation d’itinérance. La pénalisation et la judiciarisation, rappelle le bâtonnier, finissent par devenir des expressions concrètes de l’itinérance et, de surcroît, elles portent atteinte aux droits et libertés des itinérants. » Nombreux sont les intervenants et observateurs qui, à l’instar du Barreau, dénoncent le fait que ces moyens entraînent des coûts exorbitants pour la société et ne réussissent en rien à enrayer le phénomène. » (1) Portant au royaume de Régis Labeaume, la poursuite des itinérantEs se poursuit de plus belle.

En 2009, deux chercheuses, Marie-Ève Sylvestre, avocate et professeure à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa et Céline Bellot, chercheuse au Collectif de recherche sur l’itinérance et au Centre international de criminologie comparée affirmaient devant la commission parlementaire sur le phénomène de l’itinérance que « la judiciarisation des personnes itinérantes a au contraire des effets désastreux et totalement contre-productifs. » (2) En février dernier, les même chercheures révélaient que « le nombre de contraventions données aux sans-abri à Montréal a plus que sextuplé entre 1994 et 2010. » (3)

Et la Ville de Québec en rajoute une couche

Conséquence des multiples plans de revitalisation des quartiers centraux, le prix des logements atteint des sommets : selon Le Soleil, le prix des maisons a augmenté de 27% au cours des 3 dernières années ; (4) De 2007 à 2009, la hausse fut de 31%. La plupart des études sur le sujet parlent d’une augmentation de plus de 100% au cours des 10 dernières années. La courbe du prix des logements a suivi le même rythme. En conséquence, un processus de gentrification qui expulse les personnes à revenu modeste, l’accès à un logement décent se réduit et les personnes se retrouvent à la rue.

Plus récemment, La Ville de Québec a évoqué son nouveau “Règlement sur la paix et le bon ordre” pour faire annuler certaines activités de la Nuit des sans-abri. Ce règlement élaboré en vue de la manifestation étudiante du 22 juin vise à interdire la fréquentation des parcs la nuit, le flânage, de dormir dans un endroit public, de causer le désordre, d’injurier un policier ou même d’inciter une personne à le faire, d’ériger une construction temporaire ou autre et surtout de participer à une manifestation illégale (article 19.2). (5)

Face à cette répression systématique, les organismes communautaires et la Ligue des droits et liberté ont convenu qu’il était temps de documenter et mieux comprendre le phénomène dans la région de Québec.

Sans faire abstraction de l’ampleur du problème de l’émission de constats d’infraction par le service de police de la Ville de Québec (les variations annuelles du nombre de constats d’infraction émis en raison de ce règlement ou bien sous des prétextes de profilage social), les chercheurEs ont plutôt choisi de mettre l’emphase sur les conséquences pour les personnes marginalisées. Endettement massif par l’accumulation de “tickets”, criminalisation des personnes qui refusent ou qui sont dans l’incapacité de payer les amendes,contrôle abusif d’identité, profilage social dans les endroits publics. Surtout au centre-ville, tout est en mis en place pour réprimer les personnes marginalisées.

Face à cette situation, les victimes sont sans recours. Et les organismes communautaires ne sont pas outillés pour agir à titre de conseillers. En conséquence, les personnes vivent un sentiment d’exclusion, elles sont confrontées à la violence verbale et/ou physique des policiers, elles n’ont pas accès à l’aide juridique car la contestation de constats d’infraction n’est pas couverte par ce service. La déontologie policière n’est pas une solution pratique car peu y ont recours et lorsque c’est le cas, le taux de succès est passablement mince. Bref, la situation actuelle développe le cynisme envers la justice et la répression des personnes marginalisées.

Des perspectives

Le rapport mentionne quelques pistes de solutions : offrir une meilleure formation aux policierEs comme ce qui fut fait avec plus ou moins de succès à Montréal ; qu’une ressource de conseil juridique soit mise en place par les organismes communautaires ; une formation pour mieux comprendre le système judiciaire pour les intervenantes communautaires de façon à ce que les accompagnantes des personnes marginalisées soient en mesure de faire les démarches de contestation d’effraction ou en déontologie.

Mentionnons par ailleurs qu’une commission parlementaire sur l’itinérance s’est tenue en 2008 et depuis, c’est silence radio au gouvernement. Dans son discours inaugural, le PQ s’est engagé à mettre sur pied une politique globale en itinérance. Or, en matière d’engagements tenus, le PQ n’a pas le dossier le plus reluisant. Que l’on pense à la taxe santé ou au virage vert. Les groupes de défense des personnes itinérantes devront faire montre de vigilance s’ils ne veulent pas que la question soit tablettée. Par ailleurs, le dossier de la judiciarisation est de compétence municipale et c’est le maire Labeaume qui doit être dans la ligne de mire des mobilisations des organismes.

Pour télécharger l’étude : http://liguedesdroitsqc.org/2012/11/recherche-action/

Notes

1- http://www.barreau.qc.ca/fr/actualites-medias/communiques/2008/11/04-itinerance

2- http://www.ledevoir.com/societe/justice/244907/criminaliser-les-itinerants-est-une-erreur-selon-deux-chercheuses

3- http://www.radio-canada.ca/regions/Montreal/2012/02/22/004-etude-itinerance-contraventions.shtml

4- http://www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/actualite-economique/201209/17/01-4574788-la-valeur-des-maisons-bondit-de-276-en-trois-ans-a-quebec.php

5- http://reglements.ville.quebec.qc.ca/fr/showdoc/cr/R.V.Q.1091


Voir en ligne : Le site de la Ligue des droits et libertés

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